1 00:00:07,530 --> 00:00:09,550 Nous avons vu dans les vidéos précédentes 2 00:00:09,550 --> 00:00:13,250 les règles de compétence de la juridiction administrative 3 00:00:13,950 --> 00:00:19,500 et nous avons vu que le droit français est, de ce point de vue, relativement complexe, 4 00:00:19,750 --> 00:00:28,050 car on ne peut pas dire que, en France, au juge judiciaire relèvent, de sa compétence, 5 00:00:28,050 --> 00:00:30,300 les questions de droit privé, et au juge administratif, 6 00:00:30,600 --> 00:00:35,250 tous les litiges impliquant l'administration dans ses activités administratives. 7 00:00:35,320 --> 00:00:40,000 Nous avons vu que, hélas, les choses sont un peu plus compliquées, 8 00:00:40,150 --> 00:00:43,100 notamment que le juge judiciaire peut s'immiscer 9 00:00:44,900 --> 00:00:47,280 au sein même du contentieux administratif. 10 00:00:48,510 --> 00:00:53,200 Par conséquent, des erreurs sont inévitables. 11 00:00:54,450 --> 00:00:57,300 Un juge, qu'il soit administratif ou judiciaire, 12 00:00:57,300 --> 00:01:04,000 peut de bonne foi légitimement se tromper et commettre une erreur sur sa compétence. 13 00:01:04,000 --> 00:01:06,650 Il peut se croire compétent alors qu'il est incompétent, 14 00:01:06,810 --> 00:01:12,000 ou alors il peut se déclarer incompétent et rejeter le recours d'un justiciable, 15 00:01:12,150 --> 00:01:13,900 alors qu'en réalité, il est compétent. 16 00:01:14,550 --> 00:01:17,700 Il ne faut pas non plus exclure des hypothèses 17 00:01:18,350 --> 00:01:23,000 où le juge commettrait sciemment une erreur 18 00:01:23,000 --> 00:01:28,850 parce qu'il souhaite revendiquer un champ de compétence 19 00:01:28,950 --> 00:01:31,900 dont il estime qu'il devrait lui revenir, 20 00:01:31,900 --> 00:01:35,200 plutôt que d'appartenir à l'autre ordre juridictionnel. 21 00:01:35,250 --> 00:01:41,650 Il ne faut pas évacuer, éclipser des questions de stratégie institutionnelle, 22 00:01:41,750 --> 00:01:48,200 de rivalité, de concurrence entre juges, même si selon la formule en usage, 23 00:01:48,350 --> 00:01:53,350 les juges essayent de recourir entre eux à un dialogue 24 00:01:53,550 --> 00:01:56,500 plutôt qu'à des situations conflictuelles. 25 00:01:56,570 --> 00:02:02,550 Bref, il faut que le droit français organise les moyens de résoudre 26 00:02:02,880 --> 00:02:06,500 les éventuelles difficultés de répartition des compétences entre, 27 00:02:06,840 --> 00:02:11,000 d'une part, le juge administratif, et d'autre part, l'autorité judiciaire. 28 00:02:12,930 --> 00:02:20,400 C'est à cet objectif que correspond l'instauration de mécanismes destinés 29 00:02:20,400 --> 00:02:27,022 à surmonter, à résoudre, à organiser les conflits 30 00:02:27,020 --> 00:02:29,777 ou les difficultés de répartition des compétences 31 00:02:29,770 --> 00:02:34,800 entre l'ordre juridictionnel administratif et l'ordre juridictionnel judiciaire. 32 00:02:35,620 --> 00:02:39,550 Il y a fondamentalement deux mécanismes qui garantissent, à un juge, 33 00:02:39,800 --> 00:02:43,400 qu'il statue bien sur les litiges qui relèvent de sa compétence. 34 00:02:44,310 --> 00:02:47,050 Le premier mécanisme, c'est celui des questions préjudicielles, 35 00:02:47,190 --> 00:02:49,980 le second, c'est celui du tribunal des conflits. 36 00:02:50,180 --> 00:02:53,800 Commençons par les questions préjudicielles. 37 00:02:55,310 --> 00:02:58,650 Toutes les règles de compétence que nous avons examinées, jusqu'à présent, 38 00:02:59,000 --> 00:03:03,500 étaient toutes relatives à des actions en justice. 39 00:03:04,460 --> 00:03:11,050 Je vous ai donc indiqué devant quel le juge un recours direct doit être porté. 40 00:03:11,160 --> 00:03:13,550 S'agit-il du juge administratif ou s'agit-il du juge judiciaire ? 41 00:03:13,740 --> 00:03:19,550 Mais tout ce dont nous avons parlé précédemment ne vous dit rien des questions indirectes, 42 00:03:20,250 --> 00:03:24,000 des questions annexes, des questions incidentes, 43 00:03:24,150 --> 00:03:27,100 qui peuvent émerger au cours d'un procès. 44 00:03:29,310 --> 00:03:33,450 Même régulièrement saisi d'une action en justice principale 45 00:03:33,550 --> 00:03:38,900 entrant dans le champ de sa compétence, un juge, en cours de procès, 46 00:03:39,540 --> 00:03:44,250 peut se trouver confronter à des questions qui sont d'annexes, 47 00:03:44,950 --> 00:03:47,200 qui ne relèvent pas de l'action en justice principale, 48 00:03:47,460 --> 00:03:52,750 mais dont la solution détermine pourtant l'issue du litige principal, 49 00:03:56,570 --> 00:04:01,450 questions annexes pour lesquelles ce juge principal n'est pas, a priori, compétent. 50 00:04:02,750 --> 00:04:08,650 Depuis le droit romain, il existe un vieil adage qui est censé résoudre ces difficultés, 51 00:04:09,300 --> 00:04:14,850 qui dit depuis des siècles que le juge de l'action est le juge de l'exception. 52 00:04:15,400 --> 00:04:21,900 Le juge de l'action principale est également compétent pour résoudre les questions annexes, 53 00:04:21,950 --> 00:04:24,950 les questions exceptionnelles, les questions accessoires, 54 00:04:25,750 --> 00:04:31,000 dans une sorte de plénitude de compétences pour éviter de scinder, 55 00:04:31,000 --> 00:04:35,600 de saucissonner le litige et de le renvoyer à un autre juge, par simplicité, 56 00:04:35,600 --> 00:04:38,150 par souci de bonne administration de la justice. 57 00:04:38,300 --> 00:04:44,330 Un seul juge va être compétent pour vider intégralement le litige. 58 00:04:45,230 --> 00:04:47,850 Mais cet adage, le juge de l'action, 59 00:04:48,600 --> 00:04:53,200 le juge du principal et le juge accessoire ou le juge de l'action et le juge de l'exception, 60 00:04:53,550 --> 00:04:59,550 ces adages classiques du droit administratif et du droit processuel dans son entier, 61 00:05:00,400 --> 00:05:02,550 peuvent connaître des exceptions. 62 00:05:03,140 --> 00:05:05,950 Précisément en droit français, 63 00:05:07,450 --> 00:05:11,050 le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, 64 00:05:11,350 --> 00:05:17,900 la conception française de la séparation des pouvoirs, vont faire obstacle à ce principe, 65 00:05:18,140 --> 00:05:21,250 le juge de l'action et le juge de l'exception parce que,  66 00:05:21,500 --> 00:05:23,700 comme nous avons un système de dualité de juridiction, 67 00:05:24,150 --> 00:05:26,900 il n'est pas possible de toujours considérer 68 00:05:27,300 --> 00:05:32,850 que le juge judiciaire juge d'un litige principal puisse, de manière accessoire, 69 00:05:33,300 --> 00:05:36,350 être compétent à l'égard de questions qui relèvent normalement du juge administratif, 70 00:05:37,000 --> 00:05:37,800 et inversement. 71 00:05:40,180 --> 00:05:42,760 C'est ce qu'on appelle la question préjudicielle. 72 00:05:43,570 --> 00:05:45,955 Une question est dite préjudicielle 73 00:05:47,022 --> 00:05:55,250 lorsqu'une question annexe de fond détermine nécessairement la solution du litige principal, 74 00:05:55,800 --> 00:06:01,200 tout en échappant à la compétence de ce juge principal, 75 00:06:01,860 --> 00:06:06,150 obligeant ainsi celui-ci à suspendre l'instance en cours 76 00:06:06,550 --> 00:06:14,750 jusqu'à ce que la question préjudicielle soit résolue par la juridiction compétente. 77 00:06:16,030 --> 00:06:21,100 Nous pouvons donc imaginer qu'au cours d'une instance devant le juge judiciaire, 78 00:06:21,500 --> 00:06:27,700 celui-ci doit suspendre le cours de l'instance pour poser la question préjudicielle 79 00:06:28,250 --> 00:06:31,250 à l'ordre juridique administratif, seul compétent, 80 00:06:32,000 --> 00:06:35,350 et inversement, on peut imaginer qu'au cours d'un litige porté devant lui, 81 00:06:35,650 --> 00:06:38,900 le juge administratif soit saisi d'une question annexe 82 00:06:39,500 --> 00:06:42,700 qui relève du champ de compétence de l'autorité judiciaire. 83 00:06:43,420 --> 00:06:48,000 Voilà ainsi comment naissent des questions préjudicielles 84 00:06:49,550 --> 00:06:55,450 qui n'ont pas toujours bonne presse parce qu'elles ralentissent le cours de la procédure, 85 00:06:55,700 --> 00:07:00,750 elles illustrent les difficultés de notre dualisme juridictionnel français, 86 00:07:01,050 --> 00:07:04,750 et surtout parce que les parties peuvent se prêter à des manœuvres dilatoires. 87 00:07:04,930 --> 00:07:08,050 Les parties et leurs avocats pourraient très bien avoir la tentation, 88 00:07:08,320 --> 00:07:10,850 histoire de ralentir le cours d'un procès, 89 00:07:11,050 --> 00:07:14,500 de poser en vrac plein de questions préjudicielles, et ainsi, à chaque fois, 90 00:07:14,500 --> 00:07:17,100 d'obliger le juge principal à surseoir, à statuer, 91 00:07:17,200 --> 00:07:21,700 à poser la question aux juges de la question préjudicielle et d'attendre sa réponse. 92 00:07:23,050 --> 00:07:26,350 C'est pour cette raison que les questions préjudicielles n'ont pas toujours bonne presse. 93 00:07:26,520 --> 00:07:31,900 Du reste, elles ont été réformées récemment par un décret du 27 février 2015. 94 00:07:33,520 --> 00:07:41,550 Quelques mots d'abord très simples sur le régime de ces questions préjudicielles. 95 00:07:45,100 --> 00:07:53,450 Il faut d'abord que le juge du principal soit confronté à une question accessoire, 96 00:07:53,700 --> 00:07:58,800 annexe, incidente, mais il faut que ce soit une question de fond. 97 00:08:01,970 --> 00:08:04,350 Ce peut être une question de fait. 98 00:08:05,440 --> 00:08:09,700 Ce peut être une question de droit, une question de qualification juridique, 99 00:08:10,800 --> 00:08:17,450 la qualification d'héritier à une succession, la délimitation d'un bien du domaine public, 100 00:08:18,800 --> 00:08:21,750 l'identification d'un agent public dans ses fonctions. 101 00:08:22,430 --> 00:08:27,500 Il se peut être une question portant sur un acte juridique. 102 00:08:28,890 --> 00:08:38,300 Une question préjudicielle, pour être posée -sinon le juge est dispensé de la soulever- 103 00:08:39,050 --> 00:08:41,200 une question préjudicielle doit être sérieuse. 104 00:08:42,260 --> 00:08:44,250 Elle doit soulever une difficulté réelle, 105 00:08:44,650 --> 00:08:47,250 digne d'être prise en considération 106 00:08:47,450 --> 00:08:51,450 au regard des allégations des parties ou des éléments du dossier. 107 00:08:51,850 --> 00:08:54,350 Une question de nature, comme l'écrivait Laferrière, 108 00:08:54,540 --> 00:08:57,650 a fait naître un doute dans un esprit éclairé. 109 00:08:58,470 --> 00:09:00,450 La question, par ailleurs, doit être pertinente. 110 00:09:01,350 --> 00:09:04,950 Elle doit avoir un rapport avec l'objet principal du litige 111 00:09:05,300 --> 00:09:09,950 et elle doit avoir une incidence sur la solution du litige principal, 112 00:09:10,370 --> 00:09:15,200 sinon ce n'est pas une question préjudicielle digne de ce nom. 113 00:09:15,740 --> 00:09:18,800 Le juge n'aura pas à la poser. 114 00:09:19,520 --> 00:09:23,750 Il faut savoir que pour le bon fonctionnement du système, 115 00:09:23,950 --> 00:09:28,650 pour la simplicité du système, le juge estime depuis longtemps que, 116 00:09:30,460 --> 00:09:34,650 en tant que juge du principal, il peut résoudre des questions préjudicielles 117 00:09:34,850 --> 00:09:37,150 dès lors que celles-ci ne sont pas sérieuses, 118 00:09:37,370 --> 00:09:38,900 dès lors que celles-ci ne sont pas pertinentes, 119 00:09:38,900 --> 00:09:41,400 ou tout simplement dès lors que celles-ci sont simples. 120 00:09:41,650 --> 00:09:43,800 Elles ne soulèvent pas une difficulté sérieuse. 121 00:09:44,090 --> 00:09:48,900 Le juge du principal s'estime alors pleinement compétent pour résoudre lui-même 122 00:09:49,050 --> 00:09:52,350 cette question d'une évidente simplicité. 123 00:09:52,610 --> 00:09:54,500 C'est souvent ce qu'on a appelé, 124 00:09:54,650 --> 00:09:59,600 dans la jurisprudence aussi bien judiciaire qu'administrative, la théorie de l'acte clair. 125 00:09:59,600 --> 00:10:03,200 Cela veut dire que les dispositions d'un contrat de droit privé sont suffisamment précises, 126 00:10:03,200 --> 00:10:04,350 sont suffisamment claires. 127 00:10:04,400 --> 00:10:08,060 Le juge démonstratif peut apprécier lui-même cet acte. 128 00:10:08,330 --> 00:10:14,100 Inversement, le juge judiciaire est confronté à une question relative à un acte administratif, 129 00:10:14,100 --> 00:10:18,700 mais la question est totalement évidente. 130 00:10:18,900 --> 00:10:20,600 L'interprétation, l'appréciation de la légalité, 131 00:10:20,600 --> 00:10:23,900 l'acte est très clair dans ses dispositions, il n'y a pas de difficulté. 132 00:10:26,130 --> 00:10:31,800 La question préjudicielle, qu'elle soit soulevée par les parties ou d'office par le juge, 133 00:10:32,450 --> 00:10:35,900 va contraindre le juge du principal à, 134 00:10:35,950 --> 00:10:39,250 comme on dit dans le vocabulaire procédural, surseoir à statuer. 135 00:10:41,260 --> 00:10:43,750 Contrairement à ce qui était le cas avant 2015, 136 00:10:44,150 --> 00:10:49,800 les parties n'ont plus à prendre elles-mêmes l'initiative de saisir le juge de renvoi. 137 00:10:50,470 --> 00:10:53,500 Depuis le décret du 27 février 2015, 138 00:10:53,800 --> 00:10:58,150 la juridiction initialement saisie va transmettre elle-même automatiquement 139 00:10:58,150 --> 00:11:03,400 la question préjudicielle à la juridiction compétente dit juridiction de renvoi. 140 00:11:04,750 --> 00:11:06,600 Quant à ce juge de renvoi,  141 00:11:06,700 --> 00:11:11,700 le juge saisi de la question préjudicielle par le juge du principal, 142 00:11:11,950 --> 00:11:15,700 ce juge de renvoi a une obligation, c'est qu'il est tenu de répondre à la question posée. 143 00:11:15,790 --> 00:11:20,000 S'il ne répondait pas à la question posée, c'est la séparation des pouvoirs, 144 00:11:20,100 --> 00:11:22,650 c'est la séparation des autorités administratives judiciaires 145 00:11:23,500 --> 00:11:24,800 qui seraient en cause. 146 00:11:25,480 --> 00:11:29,400 Les juridictions de renvoi sont, depuis le décret de 2015, invitées à juger, 147 00:11:29,550 --> 00:11:35,250 dans le plus court délai possible, pour que, une fois la réponse apportée,  148 00:11:35,900 --> 00:11:40,600 l'action principale puisse rapidement reprendre son cours. 149 00:11:43,700 --> 00:11:49,400 La décision rendue par le juge de renvoi sur la question préjudicielle s'impose 150 00:11:49,711 --> 00:11:53,150 aux juges de l'action principale qui l'a provoqué. 151 00:11:53,740 --> 00:11:57,150 Il est évident que ça ne servirait à rien de poser une question préjudicielle, 152 00:11:57,800 --> 00:12:02,100 si la réponse apportée à cette question n'avait rien obligatoire, 153 00:12:02,300 --> 00:12:06,600 puisque c'est un autre juge qui est compétent pour statuer sur la question accessoire. 154 00:12:06,730 --> 00:12:07,700 La question exceptionnelle, 155 00:12:07,850 --> 00:12:13,350 il va de soi que sa réponse s'impose au juge qui a posé la question. 156 00:12:16,900 --> 00:12:24,450 Quels sont les grands domaines des  questions préjudicielles dans notre matière ? 157 00:12:25,720 --> 00:12:29,050 Voyons d'abord les questions préjudicielles  posées au juge administratif. 158 00:12:30,670 --> 00:12:36,200 Lorsque le juge judiciaire, saisi d'un litige principal pour lequel il est compétent,  159 00:12:37,300 --> 00:12:41,000 se retrouve confronté à titre accessoire 160 00:12:41,688 --> 00:12:47,111 à l'interprétation d'un acte administratif individuel, 161 00:12:47,244 --> 00:12:52,450 du moins non réglementaire, par exemple les dispositions d'un permis de construire, 162 00:12:54,250 --> 00:12:57,800 on estime que, au nom de la loi des 16 et 24 août 1790,  163 00:12:57,850 --> 00:13:01,150 au nom du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires,  164 00:13:01,550 --> 00:13:06,800 le juge judiciaire doit surseoir à statuer et poser la question préjudicielle 165 00:13:06,860 --> 00:13:08,780 au juge administratif. 166 00:13:08,980 --> 00:13:11,350 Voilà une compétence traditionnelle, 167 00:13:11,400 --> 00:13:14,750 l'interprétation des actes démonstratifs individuels parce qu'on estime que 168 00:13:14,800 --> 00:13:18,750 si le juge judiciaire devait interpréter le contenu d'un permis de construire,  169 00:13:18,950 --> 00:13:21,900 cela reviendrait à s'immiscer dans la décision même d'avoir attribué 170 00:13:22,030 --> 00:13:26,000 ou rejeté le permis de construire, ce serait donc, pour le juge judiciaire,  171 00:13:26,300 --> 00:13:27,890 s'immiscer dans les affaires de l'administration, 172 00:13:28,090 --> 00:13:31,490 ce qui est interdit par la loi des 16 et 24 août 1790. 173 00:13:32,510 --> 00:13:39,000 Le deuxième grand chef de compétence du juge administratif 174 00:13:39,050 --> 00:13:43,700 qui impose au juge judiciaire de lui renvoyer une question préjudicielle, 175 00:13:43,950 --> 00:13:47,650 c'est l'appréciation de la légalité des actes administratifs, et cette fois-ci, 176 00:13:47,650 --> 00:13:52,000 de tous les actes administratifs,  individuels comme réglementaires. 177 00:13:53,060 --> 00:13:56,500 C'est une jurisprudence extrêmement classique qui existe depuis deux cents ans, 178 00:13:56,550 --> 00:14:01,300 mais qui a été explicitement énoncée par un grand arrêt en la matière, 179 00:14:01,550 --> 00:14:05,650 une décision du Tribunal des Conflits du 17 octobre 2011, 180 00:14:05,780 --> 00:14:10,750 l'arrêt SCEA du Chéneau, qui est limpide et qui fait le lien  181 00:14:10,900 --> 00:14:15,100 avec la fameuse décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987. 182 00:14:15,290 --> 00:14:16,133 Je vous la cite : 183 00:14:16,420 --> 00:14:18,822 "Considérant qu'en vertu du principe de séparation 184 00:14:18,820 --> 00:14:21,044 des autorités administratives et judiciaires posées 185 00:14:21,040 --> 00:14:24,511 par l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 186 00:14:24,711 --> 00:14:27,088 et par le décret du 16 fructidor an 3, 187 00:14:27,300 --> 00:14:31,800 sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, 188 00:14:32,150 --> 00:14:34,300 il n'appartient qu'à la juridiction administrative 189 00:14:34,500 --> 00:14:38,050 de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation 190 00:14:38,180 --> 00:14:40,200 des décisions prises par l'administration 191 00:14:40,300 --> 00:14:42,350 dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique". 192 00:14:43,050 --> 00:14:49,300 De même : "Le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, 193 00:14:49,700 --> 00:14:52,200 le cas échéant par voie de question préjudicielle,  194 00:14:52,300 --> 00:14:57,850 sur toute contestation de la légalité de telles décisions soulevées 195 00:14:57,850 --> 00:15:03,300 à l'occasion d'un litige relevant, à titre principal, de l'autorité judiciaire". 196 00:15:05,760 --> 00:15:07,950 Voilà une solution très simple. 197 00:15:08,150 --> 00:15:12,050 Dès que se pose un problème d'appréciation de la légalité d'un acte administratif, 198 00:15:12,100 --> 00:15:15,500 quel qu'il soit, le juge judiciaire doit surseoir à statuer 199 00:15:15,650 --> 00:15:19,450 et renvoyer la question préjudicielle au juge administratif. 200 00:15:20,640 --> 00:15:24,420 Du côté du juge judiciaire, il a son champ de compétence. 201 00:15:24,750 --> 00:15:28,900 C'est pourquoi on estime,  traditionnellement, que confronté, 202 00:15:28,950 --> 00:15:31,900 au cours d'un litige principal pour lequel il est compétent, 203 00:15:32,550 --> 00:15:34,650 d'une question accessoire de droit privé, 204 00:15:34,950 --> 00:15:40,500 le juge administratif doit surseoir à statuer et poser une question préjudicielle 205 00:15:42,250 --> 00:15:47,050 au juge judiciaire dès lors que se pose une difficulté sérieuse 206 00:15:47,150 --> 00:15:51,550 sur la nationalité d'un individu,  sur la qualité d'un héritier,  207 00:15:51,750 --> 00:15:53,800 sur la qualité d'un propriétaire privé,  208 00:15:53,950 --> 00:16:00,900 sur l'interprétation ou l'appréciation de la légalité d'un testament,  209 00:16:01,250 --> 00:16:08,400 d'un contrat, des statuts d'une association, d'une convention ou d'un accord collectif de travail. 210 00:16:08,650 --> 00:16:12,500 Toutes ces questions ne relèvent pas de la compétence du juge administratif. 211 00:16:12,750 --> 00:16:16,150 Il lui revient de poser des questions préjudicielles. 212 00:16:18,180 --> 00:16:21,750 Le système des questions préjudicielles est clairement établi 213 00:16:21,750 --> 00:16:23,950 en droit administratif  français depuis longtemps,  214 00:16:24,100 --> 00:16:28,050 pour garantir la compétence respective du juge judiciaire et du démonstratif, 215 00:16:28,290 --> 00:16:36,250 mais il y a des exceptions prévues afin que l'on ne multiplie pas les questions préjudicielles. 216 00:16:36,900 --> 00:16:40,560 Ces exceptions veulent donc dire que dans certaines circonstances,  217 00:16:41,300 --> 00:16:45,450 le juge principal est dispensé de poser une question préjudicielle. 218 00:16:45,490 --> 00:16:48,480 Il pourra lui-même statuer sur la question préjudicielle. 219 00:16:50,220 --> 00:16:52,800 Ces dispenses sont liées soit à certaines matières,  220 00:16:52,800 --> 00:16:55,150 soit au régime des questions préjudicielles. 221 00:16:55,170 --> 00:17:00,950 S'agissant des matières,  je voudrais vous indiquer 222 00:17:01,466 --> 00:17:09,550 que, en vertu de jurisprudence classique ou de dispositions législatives classiques, 223 00:17:10,000 --> 00:17:14,700 on estime que le juge judiciaire est compétent 224 00:17:15,350 --> 00:17:19,400 pour interpréter lui-même les actes administratifs réglementaires. 225 00:17:19,900 --> 00:17:23,100 Il n'a pas besoin de poser une question préjudicielle au juge administratif  226 00:17:23,100 --> 00:17:25,650 parce qu'interpréter un acte réglementaire, 227 00:17:25,650 --> 00:17:29,250 une disposition générale et impersonnelle,  c'est comme interpréter la loi. 228 00:17:29,500 --> 00:17:31,600 Le juge judiciaire le peut très bien. 229 00:17:31,850 --> 00:17:35,550 Un acte réglementaire n'est pas un acte individuel administratif, 230 00:17:35,730 --> 00:17:39,400 donc on estime que le juge judiciaire peut lui-même procéder 231 00:17:39,550 --> 00:17:42,550 à l'interprétation des actes administratifs réglementaires,  232 00:17:42,550 --> 00:17:47,850 ainsi juge le Tribunal des Conflits 16 juin 1923, arrêt Septfonds. 233 00:17:48,700 --> 00:17:55,660 L'autre dispense classique, c'est que le juge judiciaire est compétent 234 00:17:55,700 --> 00:18:00,620 pour apprécier de manière incidente la légalité de tout acte administratif 235 00:18:01,460 --> 00:18:05,650 individuel ou réglementaire, qui serait à l'origine d'une voie de fait. 236 00:18:06,590 --> 00:18:13,100 Enfin, il faut mentionner cette importante disposition législative, 237 00:18:14,630 --> 00:18:18,550 aujourd'hui codifiée à l'article 111-5 du Code pénal,  238 00:18:18,550 --> 00:18:22,700 qui a été introduit à l'occasion de la réforme du Code pénal en 1994. 239 00:18:23,630 --> 00:18:30,350 En vertu de cette disposition, le juge judiciaire répressif est compétent 240 00:18:30,970 --> 00:18:35,600 pour interpréter et apprécier la légalité de tout acte administratif, 241 00:18:36,000 --> 00:18:38,100 qu'il soit réglementaire ou individuel,  242 00:18:38,450 --> 00:18:43,050 ayant une incidence déterminante sur l'issue d'un procès pénal. 243 00:18:43,420 --> 00:18:47,650 Autrement dit, pour faire simple,  devant le juge judiciaire répressif, 244 00:18:47,800 --> 00:18:49,300 il n'y a jamais de question préjudicielle. 245 00:18:50,700 --> 00:18:53,350 Il peut lui-même tout faire, interpréter,  246 00:18:53,500 --> 00:18:57,900 apprécier la régularité de n'importe quel acte administratif, réglementaire ou individuel.  247 00:19:00,400 --> 00:19:06,650 Certaines dispenses sont également dues au régime des questions préjudicielles. 248 00:19:07,720 --> 00:19:13,350 Il faut mentionner, à nouveau, la jurisprudence que je vous indiquais il y a quelques instants, 249 00:19:13,500 --> 00:19:18,400 l'arrêt du Tribunal des Conflits du 17 octobre 2011 SCEA du Chéneau, 250 00:19:18,400 --> 00:19:24,650 car dans cette affaire, le Tribunal des Conflits a créé, de lui-même,  251 00:19:24,800 --> 00:19:28,200 deux nouvelles exceptions au profit du juge judiciaire 252 00:19:28,250 --> 00:19:32,100 qui n'est donc pas tenu de poser une question préjudicielle. 253 00:19:32,810 --> 00:19:37,650 La première exception, nous dit l'arrêt du SCEA du Chéneau, c'est que, 254 00:19:37,650 --> 00:19:40,100 au nom des exigences européennes et constitutionnelles 255 00:19:40,250 --> 00:19:41,750 d'une bonne administration de la justice, 256 00:19:42,300 --> 00:19:45,950 au nom des principes généraux gouvernant le fonctionnement des juridictions 257 00:19:46,500 --> 00:19:51,350 et afin que tout justiciable puisse être jugé dans un délai raisonnable,  258 00:19:51,700 --> 00:19:57,550 le juge du principal n'est pas tenu de poser une question préjudicielle 259 00:19:57,750 --> 00:20:03,050 lorsqu'il apparaît, je cite : "manifestement au vu d'une jurisprudence établie,  260 00:20:03,750 --> 00:20:06,400 que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal". 261 00:20:06,450 --> 00:20:09,100 Autrement dit, pas de question préjudicielle,  262 00:20:10,200 --> 00:20:13,850 pas simplement quand la question n'est pas sérieuse, quand la question n'est pas pertinente. 263 00:20:13,950 --> 00:20:15,900 Aujourd'hui, une nouvelle exception est apportée,  264 00:20:16,150 --> 00:20:21,000 pas de question préjudicielle si la question peut être résolue 265 00:20:21,300 --> 00:20:23,150 au vu d'une jurisprudence bien établie. 266 00:20:24,050 --> 00:20:29,300 Enfin, deuxième exception importante apportée par l'arrêt SCEA du Chéneau, 267 00:20:29,800 --> 00:20:33,000 au nom de l'article 88-1 de la Constitution,  268 00:20:33,350 --> 00:20:37,200 au nom du principe de l'effectivité du droit de l'Union européenne,  269 00:20:42,450 --> 00:20:48,050 en cas de respect de la primauté et de l'effectivité du droit de l'Union européenne, 270 00:20:48,550 --> 00:20:55,350 il apparaît que le juge judiciaire est dispensé de poser, au juge administratif,  271 00:20:55,550 --> 00:21:02,350 une question préjudicielle qui mettait en cause, à titre incident, 272 00:21:03,500 --> 00:21:10,650 la méconnaissance par un acte administratif du droit de l'Union européenne. 273 00:21:11,000 --> 00:21:14,950 Si jamais devant un litige porté devant le juge judiciaire est mis en cause, 274 00:21:16,650 --> 00:21:18,150 la légalité d'un arrêté administratif,  275 00:21:18,400 --> 00:21:22,500 mais parce que cet acte ne serait pas conforme au droit de l'Union européenne, 276 00:21:23,100 --> 00:21:25,800 le Tribunal des Conflits estime que le juge judiciaire,  277 00:21:25,900 --> 00:21:30,450 au nom de respect de la primauté et de l'effectivité du droit de l'Union européenne,  278 00:21:30,750 --> 00:21:33,350 au nom aussi du fait que c'est le juge national 279 00:21:33,350 --> 00:21:36,200 qui est le jeu de droit commun du droit de l'Union européenne, le juge judiciaire,  280 00:21:36,450 --> 00:21:42,350 juge du principal, peut lui-même statuer directement sur cette question incidente 281 00:21:42,600 --> 00:21:45,800 qui détermine l'issue du litige principal.