1 00:00:05,650 --> 00:00:09,800 Les juridictions nationales qui, en vertu de l'article 267 FUE, 2 00:00:10,690 --> 00:00:16,180 ont soit une obligation de poser une question préjudicielle, 3 00:00:17,290 --> 00:00:21,340 soit la faculté de poser la question préjudicielle. 4 00:00:26,530 --> 00:00:30,580 Si on lit la lettre de l'article 267, on se rend compte que, 5 00:00:31,030 --> 00:00:34,090 a priori, seules les juridictions nationales dont les décisions ne 6 00:00:34,290 --> 00:00:38,500 sont pas susceptibles de recours ont l'obligation de procéder à 7 00:00:38,700 --> 00:00:39,850 un renvoi préjudiciel. 8 00:00:41,530 --> 00:00:47,980 C'est ainsi que, du moins, le traité a formulé l'article 267, 9 00:00:50,110 --> 00:00:53,010 obligation donc sur les juridictions de dernier ressort. 10 00:00:53,210 --> 00:01:00,700 Ce qui est logique parce que ce sont ces juridictions qui font 11 00:01:00,900 --> 00:01:01,750 jurisprudence. 12 00:01:02,260 --> 00:01:05,680 Et de cette manière-là, il s'agit, par cette obligation, 13 00:01:05,880 --> 00:01:09,490 d'éviter qu'une jurisprudence contraire au droit de l'Union européenne 14 00:01:10,120 --> 00:01:14,740 ne se forme, faute d'avoir posé une question préjudicielle. 15 00:01:14,940 --> 00:01:25,750 Néanmoins, on se rend compte ici que cette obligation a été relativisée, 16 00:01:26,470 --> 00:01:29,170 d'abord par certains juges, comme le Conseil d'État, 17 00:01:29,370 --> 00:01:34,450 qui s'est montré dans un premier temps retors à poser des questions 18 00:01:34,650 --> 00:01:37,670 préjudicielles, comme on le voit dans l'affaire des pétroles Shell-Berre 19 00:01:37,870 --> 00:01:44,500 de 1964, ou Cohn-Bendit de 1978. 20 00:01:45,010 --> 00:01:50,680 Même si, depuis, sa position s'est largement adouci envers la Cour 21 00:01:50,880 --> 00:01:51,640 de justice. 22 00:01:54,190 --> 00:01:57,850 C'est cette Cour de justice elle-même qui reconnaît que dans certains cas, 23 00:01:58,450 --> 00:02:01,150 il n'y a pas d'obligation de poser une question préjudicielle pour 24 00:02:01,350 --> 00:02:02,860 les juridictions de dernier ressort. 25 00:02:04,870 --> 00:02:10,300 De la jurisprudence Da Costa de 1963, affaire 30-62, jusqu'à la jurisprudence 26 00:02:10,500 --> 00:02:16,510 CILFIT 283-81, on trouve ici posées les hypothèses dans lesquelles 27 00:02:16,710 --> 00:02:19,360 cette obligation peut être dépassée. 28 00:02:19,560 --> 00:02:24,760 D'abord, l'autorité de l'interprétation donnée par la Cour fait qu'on peut 29 00:02:24,960 --> 00:02:29,890 priver d'intérêts la question préjudicielle, si la question posée 30 00:02:30,090 --> 00:02:32,890 est matériellement identique à une question ayant déjà fait l'objet 31 00:02:34,810 --> 00:02:36,880 d'un renvoi préjudiciel à la Cour de justice. 32 00:02:37,210 --> 00:02:38,110 C'est la première cause. 33 00:02:38,710 --> 00:02:42,040 La deuxième hypothèse, c'est que l'application correcte 34 00:02:42,240 --> 00:02:45,460 du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse 35 00:02:45,660 --> 00:02:49,060 place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question 36 00:02:49,260 --> 00:02:50,020 posée. 37 00:02:50,220 --> 00:02:52,840 C'est ce qu'on appelle aussi la théorie de l'acte clair. 38 00:02:54,050 --> 00:02:56,770 Dans cette hypothèse-là, l'obligation de poser la question 39 00:02:56,970 --> 00:03:00,790 préjudicielle est neutralisée, ce qui est assez logique puisqu'il 40 00:03:01,360 --> 00:03:05,470 n'y a pas de risque ici quant à l'application et l'interprétation 41 00:03:05,670 --> 00:03:07,240 uniforme du droit de l'Union. 42 00:03:08,320 --> 00:03:16,080 On a donc cette obligation relativisée 43 00:03:17,050 --> 00:03:19,660 parce qu'on considère comme l'étant la jurisprudence CILFIT, 44 00:03:19,870 --> 00:03:25,910 que je viens de citer, qui résume ici les trois hypothèses 45 00:03:26,110 --> 00:03:26,980 où il n'y a pas d'obligation. 46 00:03:27,180 --> 00:03:30,280 Un, la question n'est pas pertinente pour la solution du litige. 47 00:03:30,480 --> 00:03:34,690 Deux, il existe un précédent de la Cour, donc un acte déjà éclairé. 48 00:03:34,890 --> 00:03:39,220 Trois, c'est la théorie de l'acte clair, c'est-à-dire que le droit 49 00:03:39,420 --> 00:03:42,460 est très clair, il ne laisse pas de doute raisonnable aux juges. 50 00:03:43,090 --> 00:03:46,450 Ces conditions ont pu être contestées, et notamment l'avocat général Bobek, 51 00:03:47,860 --> 00:03:54,370 dans une affaire RFI-Italie, une affaire C-561/19, 52 00:03:58,330 --> 00:04:00,940 l'avocat général Bobek a cherché à revenir sur cette jurisprudence, 53 00:04:01,140 --> 00:04:01,930 mais il n'y est pas parvenu. 54 00:04:02,380 --> 00:04:03,430 La Cour de justice l'a maintenue. 55 00:04:05,260 --> 00:04:11,170 Voilà cette première obligation 56 00:04:11,370 --> 00:04:17,980 qui pèse sur les juges, mais dont on peut souligner qu'elle 57 00:04:18,180 --> 00:04:20,170 n'est pas devenue uniquement une question de droit de l'Union 58 00:04:20,370 --> 00:04:21,130 européenne. 59 00:04:21,330 --> 00:04:28,570 Il est intéressant de voir qu'ici, cette obligation est également, 60 00:04:28,770 --> 00:04:33,790 le cas échéant, prise en compte dans la jurisprudence de la Cour 61 00:04:33,990 --> 00:04:37,210 européenne des droits de l'homme, et notamment ceci à deux reprises 62 00:04:37,410 --> 00:04:40,150 concernant le Conseil d'État français et la Cour de cassation française, 63 00:04:40,350 --> 00:04:42,730 dans une affaire d'abord Michaud de 2012 contre France, 64 00:04:43,270 --> 00:04:46,390 ensuite dans une affaire de 2020, Sanofi-Pasteur contre France. 65 00:04:46,900 --> 00:04:49,000 La Cour européenne des droits de l'homme a pu considérer que le 66 00:04:49,200 --> 00:04:52,600 défaut de question préjudicielle posée, ou l'abus en quelque sorte de la 67 00:04:52,800 --> 00:04:56,350 théorie de l'acte clair, pouvait constituer une méconnaissance 68 00:04:57,010 --> 00:05:00,980 de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des 69 00:05:01,180 --> 00:05:01,940 droits de l'homme. 70 00:05:02,140 --> 00:05:05,780 Il est intéressant de noter ici que c'est la Cour européenne des 71 00:05:05,980 --> 00:05:09,380 droits de l'homme qui vient au secours du droit de l'Union, 72 00:05:09,580 --> 00:05:13,130 pour garantir cette fois le droit à un procès équitable, 73 00:05:13,430 --> 00:05:14,660 en vertu de l'article 6. 74 00:05:16,610 --> 00:05:21,470 Et la CEDH a quelque peu anticipé la Cour de justice qui, 75 00:05:23,210 --> 00:05:26,810 dans une affaire dite du "précompte" en 2018, a considéré que le Conseil 76 00:05:27,010 --> 00:05:31,700 d'État français avait méconnu l'article de 267 TFUE en ne posant pas une 77 00:05:31,900 --> 00:05:35,420 question préjudicielle dans une affaire fiscale, alors même que 78 00:05:35,620 --> 00:05:38,960 l'interprétation du droit de l'Union ne s'imposait pas avec clarté. 79 00:05:39,160 --> 00:05:41,540 Il n'y avait pas d'acte clair en l'espèce, affaire C-416/17. 80 00:05:45,490 --> 00:05:47,420 Donc une obligation relativisée. 81 00:05:48,620 --> 00:05:50,990 Et pour les autres juridictions, toutes les autres juridictions, 82 00:05:51,190 --> 00:05:52,760 celles qui ne statuent pas en dernier ressort ? 83 00:05:53,840 --> 00:05:58,340 Ces autres juridictions ont simplement une faculté de poser une question 84 00:05:58,540 --> 00:05:59,300 préjudicielle. 85 00:06:03,080 --> 00:06:07,640 Il n'y a pas, selon la lettre de l'article 267, d'obligation de renvoi. 86 00:06:08,350 --> 00:06:12,470 Et la Cour a plutôt insisté sur la faculté la plus étendue depuis 87 00:06:12,670 --> 00:06:14,690 l'arrêt Rheinmühlen, affaire 166/73. 88 00:06:16,400 --> 00:06:19,360 Et puis, la cour est venue quand même apporter, là encore, 89 00:06:19,560 --> 00:06:24,230 une modification du traité non écrite, mais elle interprète le traité, 90 00:06:25,430 --> 00:06:28,970 contre la lettre du traité, puisqu'elle tire de l'article 267 91 00:06:29,480 --> 00:06:32,270 l'obligation de poser la question préjudicielle. 92 00:06:32,750 --> 00:06:35,300 Les juridictions nationales ont l'obligation, quelles qu'elles soient, 93 00:06:35,500 --> 00:06:38,240 de poser la question préjudicielle en appréciation de validité 94 00:06:38,600 --> 00:06:41,820 lorsqu'elles doutent de la validité d'un acte de droit de l'Union. 95 00:06:42,020 --> 00:06:43,460 C'est la jurisprudence Foto-Frost 314/85. 96 00:06:43,730 --> 00:06:49,010 Ici, c'est très clair, il y a une obligation de poser 97 00:06:49,210 --> 00:06:51,410 une question préjudicielle qui pèse sur toutes les juridictions 98 00:06:51,610 --> 00:06:57,320 nationales, lorsque celle-ci doute de la validité de la disposition 99 00:06:57,520 --> 00:06:58,280 de droit de l'Union. 100 00:06:58,640 --> 00:07:03,500 On voit donc très clairement la volonté de la Cour de passer, 101 00:07:04,250 --> 00:07:07,430 en quelque sorte, outre la lettre de l'article 267. 102 00:07:08,870 --> 00:07:10,970 Voilà donc pour la juridiction nationale, qui pose, 103 00:07:11,170 --> 00:07:13,310 paragraphe 2, une question de droit de l'Union. 104 00:07:14,120 --> 00:07:16,250 Paragraphe 2 : la question de droit de l'Union européenne. 105 00:07:16,450 --> 00:07:19,850 Puisqu'il faut bien une question posée à la Cour de justice qui, 106 00:07:20,050 --> 00:07:23,300 selon l'article 267, peut être soit en interprétation, 107 00:07:23,780 --> 00:07:25,370 soit en appréciation de validité. 108 00:07:26,120 --> 00:07:30,320 Il est à noter qu'en pratique, il peut arriver qu'une même juridiction 109 00:07:30,520 --> 00:07:34,250 nationale pose, à l'occasion du litige, une question préjudicielle à la 110 00:07:34,450 --> 00:07:36,770 fois en interprétation et en appréciation de validité, 111 00:07:37,190 --> 00:07:39,710 comme on le voit par exemple dans l'affaire Gauweiler C-62/14, 112 00:07:41,570 --> 00:07:44,480 à propos d'une question posée par la Cour constitutionnelle allemande. 113 00:07:44,680 --> 00:07:46,610 D'abord, l'interprétation. 114 00:07:48,800 --> 00:07:52,010 La Cour de justice est en effet compétente pour statuer à titre 115 00:07:52,210 --> 00:07:54,860 préjudiciel sur l'interprétation du traité. 116 00:07:55,060 --> 00:07:57,320 En réalité, sur l'interprétation du droit de l'Union, 117 00:07:57,680 --> 00:08:02,150 de tout le droit de l'Union : le traité, les protocoles, 118 00:08:02,630 --> 00:08:05,950 la Charte des droits fondamentaux, les accords d'adhésion, 119 00:08:06,150 --> 00:08:08,060 tout le droit primaire, mais aussi tout le droit dérivé, 120 00:08:10,280 --> 00:08:13,340 règlements, directives, décisions, accords internationaux 121 00:08:13,540 --> 00:08:16,310 conclus par l'Union, jurisprudence de la Cour de justice. 122 00:08:16,940 --> 00:08:21,110 On trouve ici nombre d'exemples en jurisprudence, que vous trouverez 123 00:08:21,310 --> 00:08:22,100 aisément dans les manuels. 124 00:08:22,300 --> 00:08:25,520 L'interprétation, c'est sur tout le droit de l'Union. 125 00:08:25,720 --> 00:08:27,410 Et on verra en quoi c'est important. 126 00:08:28,160 --> 00:08:30,920 Et puis, il y a ensuite l'appréciation de validité. 127 00:08:31,250 --> 00:08:34,370 L'appréciation de validité, c'est demander à la Cour de justice 128 00:08:35,060 --> 00:08:40,130 si un acte de droit de l'Union est valide, c'est-à-dire s'il respecte 129 00:08:40,330 --> 00:08:41,360 les règles de droit supérieur. 130 00:08:42,840 --> 00:08:46,610 Autrement dit, par définition, seuls les actes de droit dérivé 131 00:08:46,810 --> 00:08:49,190 sont susceptibles d'un renvoi préjudiciel en appréciation de 132 00:08:49,390 --> 00:08:52,670 validité, puisqu'on ne peut pas remettre en cause la validité du 133 00:08:52,870 --> 00:08:53,630 traité. 134 00:08:53,830 --> 00:08:56,780 Et donc, tous les actes de droit dérivé, quels qu'ils soient, 135 00:08:56,980 --> 00:09:03,590 et ce, depuis la jurisprudence FBF, affaire C-911/19, tous les actes 136 00:09:04,010 --> 00:09:07,130 de droit dérivé, quels qu'ils soient, sont susceptibles d'un renvoi 137 00:09:07,330 --> 00:09:11,060 préjudiciel devant la Cour de justice, en appréciation de validité. 138 00:09:11,510 --> 00:09:13,790 Voilà ce que dit la Cour de justice en la matière. 139 00:09:14,870 --> 00:09:15,770 C'est très, très clair. 140 00:09:16,010 --> 00:09:20,240 Avec une seule limite, ce sont les actes de la PESC qui, 141 00:09:20,440 --> 00:09:26,210 eux, en vertu du traité sur l'Union 142 00:09:26,410 --> 00:09:30,110 européenne, article 24, plus précisément, du TUE, 143 00:09:30,310 --> 00:09:32,000 échappent à la compétence de la Cour de justice. 144 00:09:32,480 --> 00:09:35,390 La seule chose qu'admet la Cour de justice, c'est de contrôler 145 00:09:35,870 --> 00:09:39,470 les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la PESC, 146 00:09:39,770 --> 00:09:44,420 mais correspondant à la mise en œuvre de l'article 275 du traité 147 00:09:44,620 --> 00:09:48,500 FUE qui, elles, sont susceptibles d'un renvoi préjudiciel en appréciation 148 00:09:48,700 --> 00:09:49,460 de validité. 149 00:09:49,660 --> 00:09:50,600 Affaire Rosneft, C-72/15. 150 00:09:56,900 --> 00:10:04,430 Ces deux types de renvoi préjudiciel mis en évidence, la question 151 00:10:04,630 --> 00:10:11,960 préjudicielle est devenue un formidable 152 00:10:12,160 --> 00:10:13,280 ressort pour le juge national. 153 00:10:13,480 --> 00:10:14,840 Je voudrais insister sur ce point. 154 00:10:17,570 --> 00:10:22,280 Parce que même s'il s'agit d'interpréter le droit de l'Union 155 00:10:22,490 --> 00:10:27,290 lorsqu'on a une interprétation, aujourd'hui, il n'est pas rare 156 00:10:27,490 --> 00:10:31,970 que la Cour de justice utilise, à la demande du juge national, 157 00:10:32,630 --> 00:10:37,250 le renvoi préjudiciel pour indirectement se prononcer sur 158 00:10:37,450 --> 00:10:41,540 la compatibilité du droit national avec le droit de l'Union. 159 00:10:42,410 --> 00:10:46,020 Autrement dit, ce que demande le juge national à la Cour de justice, 160 00:10:46,220 --> 00:10:50,690 c'est d'interpréter le droit de l'Union dans un sens qui s'oppose, 161 00:10:50,890 --> 00:10:54,140 ou qui ne s'oppose pas, à des dispositions nationales, 162 00:10:54,340 --> 00:10:55,490 telles que celle du fait d'espèces. 163 00:10:55,970 --> 00:10:58,530 Et donc, le renvoi préjudiciel en interprétation devient 164 00:10:58,730 --> 00:11:03,290 indirectement, j'insiste, indirectement, le moyen pour la 165 00:11:03,490 --> 00:11:05,780 Cour de justice de contrôler le droit national. 166 00:11:06,110 --> 00:11:08,750 Alors qu'en principe, ce contrôle ne s'opère que par 167 00:11:08,950 --> 00:11:12,650 la voie du recours en manquement de l'article 258. 168 00:11:13,200 --> 00:11:13,960 Eh bien, non. 169 00:11:14,180 --> 00:11:18,980 Et vous trouverez donc nombre d'arrêts dans lesquels la Cour de justice 170 00:11:19,180 --> 00:11:21,470 interprète les dispositions du droit de l'Union comme s'opposant 171 00:11:21,670 --> 00:11:25,700 ou ne s'opposant pas à des mesures de droit national, telles que celles 172 00:11:25,900 --> 00:11:28,970 du fait d'espèces, ou laissant le juge national trancher après 173 00:11:29,170 --> 00:11:30,380 lui avoir donné des éléments. 174 00:11:31,880 --> 00:11:34,280 Le renvoi préjudiciel devient aussi un moyen, indirectement, 175 00:11:37,190 --> 00:11:43,070 de contrôler le droit national. 176 00:11:43,710 --> 00:11:49,910 Voilà pour les questions de droit de l'Union, dont je soulignerai, 177 00:11:50,110 --> 00:11:54,080 enfin, une dernière chose, c'est qu'elles sont revêtues d'une 178 00:11:54,280 --> 00:11:55,840 présomption de pertinence. 179 00:11:56,040 --> 00:11:59,660 En effet, et c'est l'obligation, c'est la faculté de renvoi, 180 00:11:59,860 --> 00:12:04,790 certes, de la jurisprudence de la Cour, il est clair qu'en principe, 181 00:12:05,720 --> 00:12:09,980 les questions préjudicielles posées par le juge national sont présumées 182 00:12:10,180 --> 00:12:10,970 être pertinentes. 183 00:12:11,170 --> 00:12:14,180 Et donc, la Cour, elle, a une obligation d'y répondre lorsqu'on 184 00:12:14,380 --> 00:12:15,140 lui pose la question. 185 00:12:15,830 --> 00:12:17,120 Elle a une obligation d'y répondre. 186 00:12:17,320 --> 00:12:24,110 Sauf que peu à peu, aussi pour ne pas engorger trop son prétoire, 187 00:12:24,710 --> 00:12:28,430 la Cour de justice n'a pas hésité à dégager des hypothèses dans 188 00:12:28,630 --> 00:12:32,000 lesquelles la question préjudicielle n'est pas recevable, 189 00:12:33,020 --> 00:12:35,000 ou estime qu'elle n'est pas recevable. 190 00:12:35,900 --> 00:12:39,290 Première hypothèse, c'est celle dans laquelle la solution qu'elle 191 00:12:39,490 --> 00:12:41,990 donnerait, l'interprétation ou l'appréciation de validité, 192 00:12:42,380 --> 00:12:45,950 est sans rapport avec le litige au principal. 193 00:12:46,490 --> 00:12:49,550 Autrement dit, bien comprendre que l'arrêt préjudiciel rendu par 194 00:12:49,750 --> 00:12:52,520 la Cour de justice doit permettre au juge a quo, à celui qui pose 195 00:12:52,720 --> 00:12:56,600 la question, de résoudre le litige qui lui est posé, de résoudre le 196 00:12:56,800 --> 00:12:57,870 litige qui est pendant devant lui. 197 00:12:58,070 --> 00:13:01,010 Sinon, ça n'a pas d'intérêt, ça n'a pas de sens. 198 00:13:03,760 --> 00:13:05,500 Voilà ce que dit la Cour de justice, première chose. 199 00:13:06,610 --> 00:13:11,200 Ça la conduit donc à écarter sa compétence, et donc déclarer les 200 00:13:11,400 --> 00:13:14,230 questions préjudicielles irrecevables lorsque le problème qui lui est 201 00:13:14,430 --> 00:13:16,000 posé est de nature purement hypothétique. 202 00:13:16,600 --> 00:13:19,360 Le renvoi préjudiciel, ce n'est par un avis que vous demandez 203 00:13:19,560 --> 00:13:22,570 à la Cour de justice, c'est vraiment une interprétation 204 00:13:22,770 --> 00:13:25,150 du droit de l'Union ou une appréciation de validité qui va permettre de 205 00:13:25,350 --> 00:13:27,700 résoudre le cas d'espèce, les faits d'espèce. 206 00:13:29,310 --> 00:13:34,300 Autre élément, c'est que la Cour est venue nous dire que l'hypothèse 207 00:13:35,020 --> 00:13:37,420 hypothétique peut aussi, affaire Foglia Novello, 208 00:13:37,620 --> 00:13:42,790 affaire 244/80, apparaître des faits d'espèce lorsqu'on se rend 209 00:13:42,990 --> 00:13:46,180 compte qu'on a construit de toutes pièces un litige totalement artificiel, 210 00:13:46,510 --> 00:13:50,020 pour conduire à une jurisprudence de la Cour qui permettrait de contester 211 00:13:50,220 --> 00:13:50,980 des mesures nationales. 212 00:13:51,180 --> 00:13:52,660 Et donc ça, la Cour le vérifie. 213 00:13:53,230 --> 00:13:54,610 En réalité, elle le vérifie très peu. 214 00:13:54,810 --> 00:13:57,550 Et elle ne l'a pas vraiment reconnu après la l'arrêt Foglia Novello. 215 00:13:58,630 --> 00:14:01,210 Mais les litiges fictifs ne doivent pas donner lieu à question 216 00:14:01,410 --> 00:14:03,850 préjudicielle, et donc à réponse de la Cour de justice. 217 00:14:04,050 --> 00:14:08,020 Enfin, dernière jurisprudence, affaire Telemarsicabruzzo C-320/90, 218 00:14:13,840 --> 00:14:19,300 la Cour ne répond pas lorsqu'elle estime que les éléments de faits 219 00:14:19,500 --> 00:14:21,700 et de droits qui lui sont fournis ne sont pas suffisants, 220 00:14:22,150 --> 00:14:24,820 qu'elle ne dispose pas des éléments suffisants pour répondre. 221 00:14:25,180 --> 00:14:27,610 Autrement dit, le juge national doit poser une question préjudicielle 222 00:14:27,810 --> 00:14:31,120 avec suffisamment d'éléments pour que celle-ci soit en mesure de 223 00:14:31,320 --> 00:14:33,560 donner une réponse éclairante à la juridiction. 224 00:14:35,080 --> 00:14:39,220 Enfin, dernière hypothèse, c'est l'hypothèse de la forclusion. 225 00:14:40,180 --> 00:14:43,000 Dans un arrêt contesté, mais qui demeure de principe, 226 00:14:43,200 --> 00:14:50,770 TWD, affaire 188/92, la Cour de justice rejette un renvoi 227 00:14:50,970 --> 00:14:54,790 préjudicielle en appréciation de validité comme étant irrecevable 228 00:14:55,810 --> 00:15:01,690 lorsque l'acte de droit dérivé, qui fait l'objet de l'appréciation 229 00:15:01,890 --> 00:15:06,640 de validité, aurait pu être contesté par le justiciable par la voie 230 00:15:06,840 --> 00:15:10,880 du recours en annulation, de l'article 263 TFUE. 231 00:15:11,560 --> 00:15:14,710 Autrement dit, prenons un exemple, vous avez une décision adoptée 232 00:15:14,910 --> 00:15:15,670 par la Commission. 233 00:15:16,930 --> 00:15:21,010 Vous êtes destinataire de la décision, vous pouvez la contester dans un 234 00:15:21,210 --> 00:15:22,750 délai de deux mois, vous ne le faites pas. 235 00:15:23,230 --> 00:15:26,200 Vous ne pouvez pas, par la suite, à l'occasion d'une mise en œuvre 236 00:15:26,400 --> 00:15:31,090 dans l'État membre de la décision, exciper de son incompatibilité 237 00:15:31,290 --> 00:15:36,490 avec le droit dérivé ou le droit primaire, donc de son invalidité, 238 00:15:36,690 --> 00:15:40,540 puisque vous auriez pu l'attaquer directement par le recours en 239 00:15:40,740 --> 00:15:41,500 annulation. 240 00:15:41,740 --> 00:15:44,980 Autrement dit, ici, il y a une limitation par la jurisprudence 241 00:15:45,180 --> 00:15:50,230 TWD de la faculté de poser des questions préjudicielles en 242 00:15:51,790 --> 00:15:55,660 appréciation de validité, ce qui est assez logique pour garantir 243 00:15:55,860 --> 00:15:56,950 la sécurité juridique. 244 00:15:58,900 --> 00:16:02,020 On terminera, paragraphe 3, par le fait que la Cour de justice 245 00:16:02,220 --> 00:16:03,730 rend un arrêt préjudiciel. 246 00:16:05,320 --> 00:16:08,920 Le renvoi préjudiciel aboutit à un arrêt de la Cour de justice. 247 00:16:09,120 --> 00:16:13,870 On est bien face à un arrêt, il faut insister, particulier parce 248 00:16:14,070 --> 00:16:19,660 que provoqué par un renvoi du juge national qui, à cet égard, 249 00:16:19,860 --> 00:16:22,750 applique le droit national, les conditions du droit national. 250 00:16:23,260 --> 00:16:26,110 Même si on est dans une coopération de juge à juge. 251 00:16:26,310 --> 00:16:27,790 Et ça, c'est un élément important. 252 00:16:28,900 --> 00:16:33,370 Ce qui fait que si le renvoi est opéré dans les conditions du droit 253 00:16:33,570 --> 00:16:38,770 national, la Cour de justice a précisé, 254 00:16:38,970 --> 00:16:43,840 notamment dans son règlement de procédure, le contenu de la demande 255 00:16:44,040 --> 00:16:48,190 préjudicielle, notamment afin d'éviter son irrecevabilité, et à l'adresse 256 00:16:48,390 --> 00:16:51,250 notamment des recommandations aux juridictions nationales pour leur 257 00:16:51,450 --> 00:16:55,240 expliquer quand est-ce qu'il faut poser une question préjudicielle, 258 00:16:55,440 --> 00:16:58,450 quelles sont les indications qu'elle doit mentionner, quelle est la 259 00:16:58,650 --> 00:17:00,970 forme même du renvoi, quel sera son effet, 260 00:17:01,170 --> 00:17:01,930 etc. 261 00:17:02,130 --> 00:17:05,320 Il y a une certaine pédagogie par la Cour de justice à l'endroit 262 00:17:05,860 --> 00:17:09,160 du juge ordinaire, du juge national, puisque tous les juges nationaux, 263 00:17:09,460 --> 00:17:13,690 même ceux qui ont le moins l'habitude, même les juges disons les plus 264 00:17:14,110 --> 00:17:17,230 de proximité qui soient peuvent poser ces questions préjudicielles. 265 00:17:17,430 --> 00:17:22,870 Ensuite, devant la Cour, se déroule une procédure classique 266 00:17:23,070 --> 00:17:25,630 avec la particularité, c'est que outre le dossier fourni, 267 00:17:25,830 --> 00:17:29,470 et donc déjà épais, fourni par la juridiction nationale, 268 00:17:29,670 --> 00:17:32,020 vont pouvoir intervenir devant la Cour. 269 00:17:32,220 --> 00:17:33,670 Les parties au litige au principal. 270 00:17:35,020 --> 00:17:38,620 Et, le cas échéant, les États membres ou des institutions qui viendraient 271 00:17:38,820 --> 00:17:41,020 à avoir connaissance de la question préjudicielle et qui souhaiteraient 272 00:17:41,220 --> 00:17:41,980 intervenir. 273 00:17:42,180 --> 00:17:42,970 Ils ont la possibilité d'intervention. 274 00:17:43,450 --> 00:17:45,490 Ça fait partie d'ailleurs des stratégies qu'on développe dans 275 00:17:45,690 --> 00:17:47,920 les États pour dire : "On va intervenir sur telle question 276 00:17:48,120 --> 00:17:51,430 qui nous intéresse parce que la solution rendue pourra produire 277 00:17:51,630 --> 00:17:57,220 un effet sur notre droit national." Car il faut bien comprendre qu'ici, 278 00:17:59,620 --> 00:18:02,520 le renvoi préjudiciel aboutit à un arrêt qui produit des effets 279 00:18:03,300 --> 00:18:07,640 en termes d'interprétation ou en termes de validité, comme on va le voir. 280 00:18:08,460 --> 00:18:14,040 Ce qui pose la question des effets 281 00:18:14,240 --> 00:18:15,000 de l'arrêt. 282 00:18:15,200 --> 00:18:17,940 Mais avant de terminer sur ces effets de l'arrêt, juste une petite 283 00:18:18,140 --> 00:18:18,900 précision. 284 00:18:19,380 --> 00:18:21,270 C'est très bien, le renvoi préjudiciel. 285 00:18:21,470 --> 00:18:23,580 C'est très bien, ce mécanisme de coopération de juge à juge, 286 00:18:24,120 --> 00:18:27,300 mais si vous posez une question préjudicielle, ça veut dire que 287 00:18:27,500 --> 00:18:31,590 vous allez ralentir la procédure devant le juge national. 288 00:18:32,070 --> 00:18:38,190 En général, entre 15 et 16 mois, soit la durée habituelle d'un renvoi 289 00:18:38,390 --> 00:18:39,150 préjudiciel. 290 00:18:39,350 --> 00:18:42,480 C'est-à-dire que vous allez ajouter à la procédure, parfois déjà longue 291 00:18:42,680 --> 00:18:46,020 devant le juge national, 16 mois de procédure. 292 00:18:46,220 --> 00:18:50,160 Certes, il y a des moyens de prévoir une accélération. 293 00:18:50,360 --> 00:18:54,180 Il y a une procédure préjudicielle accélérée, articles 105 et 106 294 00:18:54,380 --> 00:18:55,860 du règlement de procédure de la Cour. 295 00:18:56,280 --> 00:19:01,860 Ou en matière d'espace de liberté et de sécurité et de justice, 296 00:19:02,060 --> 00:19:05,880 lorsque notamment sont en cause la rétention, par exemple, 297 00:19:06,080 --> 00:19:09,300 d'un étranger ou l'emprisonnement d'une personne, il y a une procédure 298 00:19:09,500 --> 00:19:13,200 préjudicielle d'urgence, article 107 à 114, qui permet 299 00:19:13,400 --> 00:19:17,640 d'accélérer et de statuer très rapidement ici, dans ces situations. 300 00:19:18,210 --> 00:19:20,850 Ou alors, il y a une procédure simplifiée, article 99 du règlement 301 00:19:21,050 --> 00:19:24,030 de procédure, qui permet d'aller plus vite, et notamment de ne pas 302 00:19:24,510 --> 00:19:27,330 ici recourir aux conclusions de l'avocat général. 303 00:19:27,960 --> 00:19:31,420 Mais ces hypothèses d'urgence sont assez rarement accordées. 304 00:19:33,690 --> 00:19:37,980 Le temps préjudiciel est un temps relativement long, ce qui a son 305 00:19:38,180 --> 00:19:38,940 importance. 306 00:19:39,210 --> 00:19:42,360 Mais ça peut valoir le coup parce que l'effet de l'arrêt est important. 307 00:19:43,530 --> 00:19:46,320 L'arrêt est revêtu d'une autorité de chose, d'abord interprétée. 308 00:19:46,620 --> 00:19:51,150 La solution retenue pour le droit de l'Union va valoir lorsque vous 309 00:19:51,350 --> 00:19:55,260 allez appliquer cette disposition, quel que soit le juge devant lequel 310 00:19:55,460 --> 00:19:56,220 vous l'invoquez. 311 00:19:58,050 --> 00:20:03,090 Et donc, tout le monde sera tenu de respecter cette interprétation. 312 00:20:03,600 --> 00:20:07,530 Et le non-respect d'ailleurs de cette interprétation, d'un arrêt 313 00:20:07,730 --> 00:20:12,360 rendu en interprétation, ce renvoi préjudiciel en interprétation 314 00:20:12,660 --> 00:20:14,300 peut constituer un manquement de l'État. 315 00:20:15,000 --> 00:20:17,610 C'est un point évidemment important. 316 00:20:17,810 --> 00:20:20,880 Donc, l'interprétation doit être respectée, et surtout, 317 00:20:21,080 --> 00:20:23,820 ça doit poser une question à un État membre. 318 00:20:24,420 --> 00:20:28,500 Si telle interprétation est retenue du droit de l'Union qui conduit 319 00:20:28,700 --> 00:20:32,150 à déclarer incompatible la disposition de l'État membre B : 320 00:20:32,820 --> 00:20:37,470 moi, État membre A, je vais vérifier que mon droit national ne contrevient 321 00:20:37,670 --> 00:20:39,270 pas à l'interprétation donnée par la Cour. 322 00:20:39,470 --> 00:20:43,470 Ici, il y a un effet de diffusion, évidemment, de la jurisprudence 323 00:20:43,670 --> 00:20:44,940 de la Cour. 324 00:20:45,140 --> 00:20:48,720 Quant à la question d'appréciation de validité, par définition, 325 00:20:48,920 --> 00:20:51,180 elle aboutit ici à un contrôle de la validité. 326 00:20:51,600 --> 00:20:54,450 Et s'il y a validité, l'acte demeure en vigueur, 327 00:20:54,650 --> 00:20:55,410 il n'y a pas de difficulté. 328 00:20:55,620 --> 00:20:58,920 S'il y a invalidité, en vertu de l'article 266, 329 00:20:59,400 --> 00:21:01,620 non seulement il va falloir tirer toutes les conséquences de cette 330 00:21:01,820 --> 00:21:04,680 invalidité lorsqu'on est l'auteur de l'acte ; mais aussi, 331 00:21:06,180 --> 00:21:11,050 s'il n'y a pas de conséquences tirées, États membres et institutions devront 332 00:21:12,060 --> 00:21:15,150 laisser inappliqué l'acte de droit de l'Union déclaré invalide. 333 00:21:16,020 --> 00:21:19,050 L'invalidité vaut erga omnes, même si l'acte n'est pas retiré 334 00:21:19,320 --> 00:21:21,240 à proprement parler de l'ordre juridique. 335 00:21:21,930 --> 00:21:26,010 Voilà pour les effets des arrêts, qui peuvent être limités dans le temps. 336 00:21:26,210 --> 00:21:30,900 Et vous avez ici quelques règles dégagées par la Cour de justice 337 00:21:31,100 --> 00:21:34,500 dans le respect de la sécurité juridique, pour moduler les effets 338 00:21:34,700 --> 00:21:38,190 dans le temps, le cas échéant, des arrêts rendus en voie 339 00:21:38,390 --> 00:21:39,150 préjudicielle. 340 00:21:39,540 --> 00:21:42,120 Que ce soit d'ailleurs en interprétation depuis l'arrêt Defrenne 341 00:21:42,480 --> 00:21:44,280 de 1976, 43-75. 342 00:21:45,780 --> 00:21:50,880 Ou même, en appréciation de validité dans des cas rares, dans des 343 00:21:51,080 --> 00:21:55,020 circonstances exceptionnelles, la Cour peut décider de moduler 344 00:21:55,220 --> 00:21:59,400 les effets dans le temps d'un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel. 345 00:22:00,720 --> 00:22:04,620 Là encore, c'est la sécurité juridique qui guide la Cour de justice, 346 00:22:06,120 --> 00:22:10,470 parce que ce principe est essentiel dans une union de droit.