1 00:00:05,580 --> 00:00:09,940 Bonjour, l'article 1P1, premier protocole additionnel à 2 00:00:10,140 --> 00:00:13,170 la Convention européenne des droits de l'homme, donc protège les biens 3 00:00:13,370 --> 00:00:17,910 ou plus exactement les atteintes que l'État peut porter aux biens 4 00:00:18,110 --> 00:00:21,030 et l'un des éléments essentiels, je le disais la dernière fois, 5 00:00:21,270 --> 00:00:25,890 c'est que cette notion de biens reçoit un sens spécifique dans 6 00:00:26,090 --> 00:00:28,020 la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, 7 00:00:28,260 --> 00:00:30,870 jurisprudence reprise par les juridictions internes et notamment 8 00:00:31,070 --> 00:00:33,600 le Conseil d'État, on le verra tout à l'heure, et cette notion 9 00:00:33,800 --> 00:00:37,890 est tout à fait tout à fait fascinante, en tout cas, c'est mon opinion. 10 00:00:38,610 --> 00:00:41,820 Pour le comprendre, je pense qu'il est bien de partir d'un grand arrêt 11 00:00:42,030 --> 00:00:44,730 de la Cour européenne des droits de l'homme, alors c'est un arrêt 12 00:00:44,930 --> 00:00:47,820 qui concerne la Turquie du 30 novembre 2004. 13 00:00:48,020 --> 00:00:50,630 Alors, le nom du demandeur était Monsieur Öneryıldız, 14 00:00:50,830 --> 00:00:54,810 pardonnez-moi pour mon accent turc qui n'est sans doute pas très bon, 15 00:00:58,980 --> 00:01:02,640 une affaire assez sordide et extrêmement triste, à la vérité, 16 00:01:02,840 --> 00:01:07,740 d'un particulier qui avait perdu sa maison, l'ensemble de ses biens 17 00:01:07,940 --> 00:01:13,380 et aussi une partie de sa famille était morte dans l'événement qui 18 00:01:13,580 --> 00:01:17,730 en fait, tenait à un glissement de terrain en Turquie, 19 00:01:17,930 --> 00:01:21,900 donc et il se trouve que ce glissement de terrain avait notamment emporté 20 00:01:22,260 --> 00:01:23,760 la maison de ce monsieur. 21 00:01:24,090 --> 00:01:27,060 Il avait souhaité être indemnisé et toute la difficulté tenait au 22 00:01:27,260 --> 00:01:31,200 fait que, en réalité, cette maison n'était qu'une sorte 23 00:01:31,400 --> 00:01:35,910 de baraquement dans un bidonville puisque ce demandeur était un 24 00:01:36,110 --> 00:01:36,870 squatteur. 25 00:01:37,200 --> 00:01:42,330 Il occupait donc sans titre une sorte de baraque montée sur un 26 00:01:42,530 --> 00:01:44,880 terrain qui ne lui appartenait pas, qui était d'ailleurs, 27 00:01:45,080 --> 00:01:47,730 mais ça, c'est anecdotique, un terrain appartenant au ministère 28 00:01:47,930 --> 00:01:51,720 des Finances turc, en tout cas à l'État turc, de sorte que lorsqu'il 29 00:01:51,920 --> 00:01:56,820 s'est agi de demander indemnisation, eh bien la Turquie lui a opposé 30 00:01:57,020 --> 00:02:00,150 une sorte de fin de non-recevoir, considérant tout simplement qu'il 31 00:02:00,350 --> 00:02:05,100 ne bénéficiait d'aucun titre et en particulier aucun titre de propriété 32 00:02:05,300 --> 00:02:07,440 sur la maison en question, dans la mesure où, précisément, 33 00:02:07,860 --> 00:02:09,270 il était occupant sans titre. 34 00:02:09,470 --> 00:02:13,230 Alors il se trouve que si cette situation s'était produite en France, 35 00:02:14,280 --> 00:02:17,010 la conclusion aurait été vraisemblablement la même, 36 00:02:17,210 --> 00:02:19,200 le droit français n'aurait vraisemblablement pas permis, 37 00:02:19,400 --> 00:02:21,900 sauf dans certaines hypothèses particulières, mais a priori pas 38 00:02:22,100 --> 00:02:24,720 permis non plus l'indemnisation de ce monsieur qui donc, 39 00:02:24,920 --> 00:02:29,010 au sens du droit turc, ne détenait pas de bien, 40 00:02:29,210 --> 00:02:35,100 n'était pas propriétaire d'un bien et donc a priori, ne pouvait pas 41 00:02:35,300 --> 00:02:36,540 revendiquer notamment une indemnisation. 42 00:02:36,740 --> 00:02:40,590 Toutefois, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré qu'au 43 00:02:40,790 --> 00:02:44,440 regard de l'article 1P1 de l'article 1er du protocole additionnel, 44 00:02:44,640 --> 00:02:50,490 eh bien il était possible de considérer que ce monsieur s'était effectivement 45 00:02:50,690 --> 00:02:56,310 vu priver d'un de ses biens, alors indirectement par l'État 46 00:02:56,510 --> 00:02:58,710 et qu'en tout cas, l'État, au bout du compte, aurait dû compenser 47 00:02:59,010 --> 00:03:02,400 pour partie cette perte et donc indemniser, et ce, au regard d'un 48 00:03:02,600 --> 00:03:05,640 raisonnement tout à fait passionnant qui est le suivant, que je simplifie 49 00:03:05,840 --> 00:03:08,370 un petit peu mais pour aller à l'essentiel, le raisonnement de 50 00:03:08,570 --> 00:03:13,320 la Cour consiste à dire que certes, ce monsieur n'était pas propriétaire, 51 00:03:13,520 --> 00:03:16,890 n'avait pas de titre juridique véritable a priori à faire valoir, 52 00:03:17,090 --> 00:03:21,870 mais que néanmoins, il était présent dans ce baraquement depuis quelques 53 00:03:22,070 --> 00:03:27,000 années et que régulièrement, les autorités publiques, 54 00:03:27,200 --> 00:03:29,940 la police notamment, passaient devant chez lui et que 55 00:03:30,140 --> 00:03:33,960 jamais, à aucun moment, on ne lui avait signifié l'obligation 56 00:03:34,160 --> 00:03:39,660 pour lui de partir et donc finalement, cette simple, et ce point est 57 00:03:39,860 --> 00:03:44,730 important, inaction de l'administration publique face à une situation donc 58 00:03:44,930 --> 00:03:49,950 de fait suffit à la Cour pour considérer que, en réalité, 59 00:03:51,090 --> 00:03:55,560 ce monsieur a pu, légitimement, le mot était important, 60 00:03:55,760 --> 00:04:02,670 légitimement voir naître un espoir, une espérance de voir finalement 61 00:04:02,870 --> 00:04:03,750 sa situation maintenue. 62 00:04:04,470 --> 00:04:08,340 Et donc cette seule espérance de voir sa situation maintenue, 63 00:04:08,910 --> 00:04:14,130 espérance légitime au regard du fait qu'elle était fondée sur le 64 00:04:14,330 --> 00:04:16,710 comportement de l'administration, cette simple inaction de 65 00:04:16,910 --> 00:04:21,450 l'administration, mais une inaction répétée qui a pu donc faire naître 66 00:04:22,260 --> 00:04:26,700 objectivement, pourrait-on dire, de manière en tout cas légitime, 67 00:04:26,900 --> 00:04:32,040 c'est l'expression qu'emploie le juge, ce sentiment, et c'est seulement cela, 68 00:04:32,490 --> 00:04:37,350 et c'est ça qui est assez fascinant, que la Cour souhaite protéger en 69 00:04:37,550 --> 00:04:41,400 assimilant encore une fois ce sentiment, cette espérance, 70 00:04:41,640 --> 00:04:44,850 parce qu'elle était légitime, d'après la Cour, à un bien. 71 00:04:45,630 --> 00:04:51,090 Et le simple fait donc que cette espérance légitime soit atteinte, 72 00:04:51,290 --> 00:04:54,300 c'est-à-dire cet espoir de garder sa maison encore pour quelques années, 73 00:04:54,500 --> 00:04:58,230 peut-être toute la vie, en tout cas cette simple espérance, 74 00:04:58,680 --> 00:05:01,950 le fait qu'elle ait été mise en cause par la situation et que l'État 75 00:05:02,150 --> 00:05:04,170 n'ait pas souhaité dans un premier temps l'indemniser en tout cas, 76 00:05:04,800 --> 00:05:08,430 conduit la Cour à considérer qu'effectivement, une atteinte 77 00:05:08,630 --> 00:05:12,780 non justifiée par un intérêt général suffisant par l'utilité publique 78 00:05:12,980 --> 00:05:16,290 à un bien est à déplorer, la Turquie est donc condamnée dans 79 00:05:16,490 --> 00:05:17,250 cette affaire. 80 00:05:17,450 --> 00:05:20,730 Donc, concrètement, ce qu'il faut retenir de cet arrêt, 81 00:05:20,930 --> 00:05:23,400 c'est qu'évidemment, la notion de bien au sens de la 82 00:05:23,600 --> 00:05:30,240 CEDH renvoie à des biens mobiliers, immobiliers dont on est propriétaire, 83 00:05:30,440 --> 00:05:35,580 dont le plaignant est propriétaire, mais il peut s'agir aussi simplement 84 00:05:35,940 --> 00:05:40,710 de l'espérance d'une créance, de simple espoir d'une créance, 85 00:05:41,580 --> 00:05:46,110 par exemple parce qu'au cours d'un procès, on a de fortes chances 86 00:05:46,500 --> 00:05:49,110 de bénéficier, au bout du compte d'une décision favorable, 87 00:05:49,310 --> 00:05:51,360 d'une décision juridictionnelle favorable et donc d'une créance 88 00:05:51,600 --> 00:05:56,250 au bout du compte, voilà un espoir potentiellement légitime de créance 89 00:05:56,490 --> 00:05:59,490 ou simplement l'espoir de voir une situation maintenue, 90 00:05:59,820 --> 00:06:03,240 une situation qui peut être encore une fois illicite au regard du 91 00:06:03,440 --> 00:06:06,600 droit national, c'était le cas, mais néanmoins, je le répète, 92 00:06:06,810 --> 00:06:10,940 constituer un bien au sens du droit CEDH, un bien protégé, 93 00:06:11,140 --> 00:06:13,200 donc, par la Convention européenne des droits de l'homme. 94 00:06:13,890 --> 00:06:18,090 Et c'est là donc qu'on voit l'extraordinaire extension potentielle 95 00:06:18,290 --> 00:06:21,420 de la notion de bien à tout un tas de situations a priori non 96 00:06:21,620 --> 00:06:24,300 couvertes par le droit interne, et je vous donnerai des illustrations 97 00:06:24,500 --> 00:06:25,980 dans un instant en matière fiscale. 98 00:06:26,310 --> 00:06:29,670 Mais avant cela, troisième et dernier élément qui mérite d'être noté, 99 00:06:29,870 --> 00:06:33,360 globalement, sur l'invocabilité de l'article 1P1, c'est, 100 00:06:33,560 --> 00:06:38,190 comme je l’annonçais précédemment, que dans les cas extrêmement fréquents 101 00:06:38,390 --> 00:06:41,790 donc, où un contribuable, un citoyen globalement entre dans 102 00:06:41,990 --> 00:06:45,150 le champ d'application de l'article 1P1, c'est-à-dire peut revendiquer 103 00:06:47,040 --> 00:06:49,970 encore une fois l'application a priori de l'article 1P1, 104 00:06:50,220 --> 00:06:55,430 car il possède ou détient un bien ou une espérance légitime qui donc 105 00:06:55,630 --> 00:06:57,900 lui permet de bénéficier de la protection de cet article, 106 00:06:58,100 --> 00:07:01,890 eh bien en quelque sorte, par ricochet, les autres articles 107 00:07:02,090 --> 00:07:03,390 de la Convention européenne des droits de l'homme et, 108 00:07:03,590 --> 00:07:07,230 le cas échéant, des autres protocoles additionnels, sont également 109 00:07:07,430 --> 00:07:08,420 susceptibles d'être invoqués. 110 00:07:08,620 --> 00:07:11,430 Donc ce que cela signifie en pratique, concrètement, pour nous en matière 111 00:07:11,630 --> 00:07:15,270 fiscale, c'est que l'article 14, c'est le seul véritablement important 112 00:07:15,470 --> 00:07:17,760 pour nous, l'article 14 de la Convention qui, globalement, 113 00:07:19,380 --> 00:07:23,220 proscrit toute forme de discrimination, alors avec un libellé qui est 114 00:07:23,420 --> 00:07:27,180 extrêmement large puisque cet article prévoit donc que la jouissance 115 00:07:27,380 --> 00:07:29,880 des droits et libertés reconnus par la présente Convention, 116 00:07:30,080 --> 00:07:33,990 et cela inclut les protocoles additionnels, doit l'être sans 117 00:07:34,190 --> 00:07:37,140 distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, 118 00:07:37,340 --> 00:07:40,240 la couleur, la langue, la religion ou tout autre situation. 119 00:07:40,440 --> 00:07:46,140 Bref, un article 14 qui pose une sorte de principe d'égalité extrêmement 120 00:07:46,340 --> 00:07:51,900 large, extrêmement large puisque toutes manières pour l'État, 121 00:07:52,100 --> 00:07:58,050 d'intervenir, notamment en matière de gestion et de réglementation 122 00:07:58,250 --> 00:08:04,350 des biens, tombent sous le coup, si je puis dire, de cet article 14, 123 00:08:04,550 --> 00:08:08,610 car il s'agit d'un des droits protégés par la Convention et dans ce cas-là, 124 00:08:08,810 --> 00:08:11,670 eh bien ces atteintes aux biens doivent respecter ce traitement 125 00:08:11,910 --> 00:08:15,990 égalitaire, ce traitement non discriminatoire sauf à emporter 126 00:08:16,190 --> 00:08:17,240 une violation de l'article 14. 127 00:08:17,440 --> 00:08:20,190 Donc je le répète, le fait d'entrer dans le champ d'application de 128 00:08:20,390 --> 00:08:24,540 l'article 1P1 permet en quelque sorte, par ricochet, de revendiquer en 129 00:08:24,740 --> 00:08:29,700 plus l'application de l'article 14 et donc permet in fine aux 130 00:08:29,900 --> 00:08:33,810 juridictions nationales de vérifier que toute disposition fiscale, 131 00:08:34,010 --> 00:08:37,200 puisque c'est cela qui nous intéresse, mise en œuvre dans un cas particulier, 132 00:08:37,470 --> 00:08:42,370 non seulement repose sur une loi qui respecte l'article 1P1, 133 00:08:42,570 --> 00:08:46,650 le droit aux biens et donc une atteinte aux biens qui soit justifiée 134 00:08:46,850 --> 00:08:48,660 par l'intérêt général, par l'utilité publique, 135 00:08:48,860 --> 00:08:51,840 mais en plus, il faut que cette atteinte aux biens ne soit pas 136 00:08:52,040 --> 00:08:54,930 discriminatoire, respecte en quelque sorte le principe d'égalité. 137 00:08:55,200 --> 00:08:59,310 Et donc, concluons à ce stade sur ce point, ce qui est évidemment 138 00:08:59,510 --> 00:09:02,130 extrêmement intéressant avec la combinaison de ces articles, 139 00:09:02,340 --> 00:09:06,450 c'est qu'il n'est pas véritablement nécessaire d'aller devant le Conseil 140 00:09:06,650 --> 00:09:09,960 constitutionnel pour faire juger parfois qu'une loi est contraire 141 00:09:10,160 --> 00:09:13,110 au principe d'égalité et donc aux articles 6 et 13 de la Déclaration 142 00:09:13,310 --> 00:09:15,780 des droits de l'homme et du citoyen mais en fait, la Convention européenne 143 00:09:15,980 --> 00:09:20,550 des droits de l'homme donne une sorte de recours, une sorte de 144 00:09:20,750 --> 00:09:23,580 voie de droit qui a des effets à peu près similaires, 145 00:09:23,780 --> 00:09:26,250 comme nous allons le préciser tout de suite car en effet, 146 00:09:26,450 --> 00:09:29,160 la jurisprudence, qui applique cette Convention européenne des 147 00:09:29,360 --> 00:09:32,580 droits de l'homme, est extrêmement proche de celle qui conduit à 148 00:09:32,780 --> 00:09:35,070 l'application de la Déclaration des droits du citoyen, 149 00:09:35,270 --> 00:09:37,320 c'est-à-dire la jurisprudence constitutionnelle. 150 00:09:38,160 --> 00:09:42,840 Voyons donc maintenant concrètement la manière dont en effet est appliqué 151 00:09:43,410 --> 00:09:47,130 cet article 1P1, principalement par le Conseil d'État qui est le 152 00:09:47,330 --> 00:09:50,640 plus présent, si je puis dire, sur ce terrain de l'application, 153 00:09:50,840 --> 00:09:53,460 encore une fois en matière fiscale en France, c'est évidemment ce 154 00:09:53,660 --> 00:09:54,420 qui nous intéresse. 155 00:09:54,620 --> 00:09:56,550 Donc B : l'application de l'article 1P1. 156 00:09:57,040 --> 00:10:00,640 Alors il se trouve que du côté de la Cour de Strasbourg, 157 00:10:00,840 --> 00:10:03,520 la jurisprudence fiscale est en fait assez peu développée. 158 00:10:03,760 --> 00:10:07,540 Il y a quelques décisions intéressantes, mais peu d'affaires 159 00:10:07,740 --> 00:10:10,940 remontent en vérité en matière fiscale, et notamment sur le fond de l'article 160 00:10:11,140 --> 00:10:13,930 1P1 jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme. 161 00:10:14,130 --> 00:10:17,680 Néanmoins, cela n'interdit pas du tout, au contraire même, aux juridictions 162 00:10:17,880 --> 00:10:20,470 nationales, eh bien de tirer des conséquences de cette jurisprudence 163 00:10:20,670 --> 00:10:23,320 et de la déployer au-delà même d'ailleurs de ce qu'elle prévoit, 164 00:10:23,520 --> 00:10:25,690 je le rappelle, la Convention européenne des droits de l'homme 165 00:10:25,890 --> 00:10:28,360 n'est qu'un plancher, une sorte de standard minimum de 166 00:10:28,560 --> 00:10:31,420 respect des droits de l'homme et qui offre des latitudes tout à 167 00:10:31,620 --> 00:10:33,430 fait importantes aux juridictions nationales. 168 00:10:33,630 --> 00:10:37,600 Alors il se trouve qu'assez longtemps, les juridictions nationales en 169 00:10:37,800 --> 00:10:41,020 France sont restées plutôt timides, je l'avais déjà indiqué, 170 00:10:41,620 --> 00:10:44,800 notamment parce que les plaideurs, les requérants, les avocats ne 171 00:10:45,000 --> 00:10:47,950 soulevaient qu'assez rarement des arguments tirés de la violation 172 00:10:48,460 --> 00:10:49,900 des dispositions de la Convention. 173 00:10:50,100 --> 00:10:53,740 Donc je l'avais dit, l'arrêt est sans doute le tournant, 174 00:10:53,940 --> 00:10:57,960 tient à un avis contentieux de 2002, Société financière Labeyrie, 175 00:10:58,560 --> 00:11:01,630 décision du 12 avril 2002, dans laquelle le Conseil d'État 176 00:11:01,870 --> 00:11:04,540 reconnaît la pleine application non seulement de l'article 1P1, 177 00:11:04,740 --> 00:11:08,470 mais également de l'article 14 par ricochet, encore une fois entre 178 00:11:08,670 --> 00:11:12,130 guillemets, sans néanmoins en tirer toutes les conséquences dans l'affaire 179 00:11:12,610 --> 00:11:15,430 dont il était saisi puisque dans cette affaire, la société Labeyrie 180 00:11:15,670 --> 00:11:19,870 se voit déboutée de sa demande dans la mesure où les atteintes 181 00:11:20,070 --> 00:11:23,440 aux biens dont se plaignait la société sont considérées au bout 182 00:11:23,640 --> 00:11:27,820 du compte par le Conseil d'État, comme effectivement entrant dans 183 00:11:28,020 --> 00:11:31,630 le champ d'application de l'article 1P1, mais ne conduisant pas à une 184 00:11:31,830 --> 00:11:34,480 atteinte aux biens non justifiée par l'intérêt général ni une atteinte 185 00:11:34,680 --> 00:11:38,230 aux biens discriminatoires car en réalité, ce dont se plaignait 186 00:11:38,680 --> 00:11:41,230 la société Labeyrie, c'était en matière d'intérêts de 187 00:11:41,430 --> 00:11:45,730 retard, d'être moins bien traitée que ne l'est l'administration lorsque, 188 00:11:45,930 --> 00:11:50,530 dans une situation symétrique, elle doit rembourser de l'argent 189 00:11:51,400 --> 00:11:52,600 à un contribuable. 190 00:11:52,900 --> 00:11:55,480 C'est ce qu'on appelle les intérêts moratoires, pour la peine, 191 00:11:55,680 --> 00:11:58,780 eh bien dans ce cas-là, le taux d'intérêt était différent. 192 00:11:58,980 --> 00:12:01,360 Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la loi a évolué et en particulier 193 00:12:01,990 --> 00:12:05,650 pour tenir quand même compte de cette décision qui pouvait sembler 194 00:12:05,850 --> 00:12:09,340 un peu saugrenue puisque le Conseil d'État considère qu'il y a sans 195 00:12:09,540 --> 00:12:12,830 doute une étrangeté dans cette différence de taux d'intérêt, 196 00:12:13,030 --> 00:12:15,430 pour le dire simplement, selon que c'est le contribuable 197 00:12:15,630 --> 00:12:18,010 qui paye en retard ou l'administration qui rembourse en retard, 198 00:12:18,340 --> 00:12:21,940 mais le Conseil d'État estime, et cela n'a pas été déjugé depuis, 199 00:12:22,140 --> 00:12:26,350 que les stipulations de l'article 14 pour la peine ne sont pas 200 00:12:26,550 --> 00:12:29,110 susceptibles d'être appliquées dans les relations entre 201 00:12:29,310 --> 00:12:31,780 l'administration et un contribuable et que donc, seule une application 202 00:12:31,980 --> 00:12:35,560 dite horizontale de la convention est possible, c'est-à-dire entre 203 00:12:35,760 --> 00:12:36,520 contribuables. 204 00:12:36,720 --> 00:12:40,990 Mais néanmoins, cet arrêt, cet avis contentieux reconnaissait 205 00:12:41,190 --> 00:12:42,850 la pleine applicabilité de l'article1P1. 206 00:12:43,050 --> 00:12:47,320 Alors il se trouve que c'est en 2005 qu'une première décision du 207 00:12:47,520 --> 00:12:52,510 10 août 2005 Sarteur, un petit arrêt, disons-le, 208 00:12:53,020 --> 00:12:55,660 mais tout de même important, vient pour la première fois, 209 00:12:55,860 --> 00:13:00,640 eh bien constater la contrariété d'une loi fiscale aux articles 210 00:13:00,840 --> 00:13:01,720 1P1 et 14. 211 00:13:02,050 --> 00:13:08,110 Alors là aussi, dans une question procédurale extrêmement technique 212 00:13:08,620 --> 00:13:13,720 qui tenait aux modalités d'application du sursis de paiement, 213 00:13:13,920 --> 00:13:16,720 qui est un dispositif que j'évoquerai plus tard, qui permet au contribuable 214 00:13:17,320 --> 00:13:21,250 de ne pas payer immédiatement l'impôt normalement dû s'il le conteste 215 00:13:21,730 --> 00:13:25,510 sur le plan contentieux, et donc d'obtenir un sursis ou 216 00:13:25,710 --> 00:13:30,340 paiement d'imposition en attendant le règlement du litige par les 217 00:13:30,540 --> 00:13:32,020 juridictions de première instance. 218 00:13:32,860 --> 00:13:35,170 Peu importe les détails de cette procédure mais là encore, 219 00:13:35,380 --> 00:13:40,360 une sorte de bizarrerie législative donnait un résultat étrange en 220 00:13:40,560 --> 00:13:44,590 traitant mieux certains contribuables qui, en réalité, avaient un 221 00:13:44,790 --> 00:13:47,200 comportement moins vertueux, d'une certaine manière que d'autres 222 00:13:47,400 --> 00:13:50,050 contribuables dans la manière de ne pas consigner finalement tout 223 00:13:50,250 --> 00:13:52,720 à fait les sommes qu'ils auraient dû consigner dans certaines situations, 224 00:13:52,920 --> 00:13:55,630 pardon, je vais vite, car ce qu'il faut retenir de cette 225 00:13:55,830 --> 00:13:58,930 décision, c'est que, et en effet, une sorte de malfaçon 226 00:13:59,130 --> 00:14:03,070 législative, une rédaction bizarre qui avait réservé un traitement 227 00:14:03,270 --> 00:14:06,910 juridique bizarre à certains contribuables, a été jugée contraire 228 00:14:07,110 --> 00:14:08,930 aux articles 1P1 et 14 par le Conseil d'État. 229 00:14:09,130 --> 00:14:12,700 Alors en même temps, cette décision extrêmement importante 230 00:14:12,900 --> 00:14:16,900 car très novatrice, reste d'effet mesuré, en tout cas à l'époque, 231 00:14:17,140 --> 00:14:19,630 car elle porte sur un dispositif législatif qui avait disparu, 232 00:14:19,930 --> 00:14:22,150 puisque le législateur, en fait, avant l'arrêt du Conseil 233 00:14:22,350 --> 00:14:24,670 d'État, s'était rendu compte de cette bizarrerie, de cette malfaçon 234 00:14:24,970 --> 00:14:30,340 et avait donc abandonné ce dispositif et donc, la situation de Monsieur 235 00:14:30,540 --> 00:14:33,370 Sarteur non seulement ne pouvait plus se reproduire à d'autres 236 00:14:33,570 --> 00:14:35,770 contribuables, mais restait assez unique et en tout cas très, 237 00:14:35,970 --> 00:14:39,190 très rare, de sorte que la décision du Conseil d'État n'était pas si 238 00:14:39,390 --> 00:14:41,080 bouleversante que ça au bout du compte. 239 00:14:41,470 --> 00:14:44,380 Et il se trouve qu'après cet arrêt, les choses se sont un peu tassées. 240 00:14:44,590 --> 00:14:49,630 Le fait que la perspective de création de la QPC soit apparue peu de temps 241 00:14:49,830 --> 00:14:53,020 auparavant a aussi plutôt incité les avocats à se tourner, 242 00:14:53,220 --> 00:14:57,370 à préparer déjà un certain nombre d'argumentation, plutôt pour tenter 243 00:14:57,570 --> 00:15:01,610 de saisir le Conseil constitutionnel que de se livrer à des tentatives 244 00:15:01,880 --> 00:15:05,210 à nouveau de saisine du Conseil d'État sur le fondement de la 245 00:15:05,410 --> 00:15:06,170 Convention européenne des droits de l'homme. 246 00:15:06,370 --> 00:15:11,120 Néanmoins, la deuxième étape importante est arrivée en 2011 avec un arrêt 247 00:15:11,320 --> 00:15:15,410 du 21 octobre 2011 du Conseil d'État, à nouveau dans une affaire SNC 248 00:15:15,610 --> 00:15:19,500 Peugeot Citroën Mulhouse, puisque là, pour la première fois 249 00:15:19,700 --> 00:15:25,140 à nouveau, le Conseil d'État vient appliquer les dispositions, 250 00:15:25,340 --> 00:15:29,120 alors de l'article 1P1 uniquement, l'article 14 était hors de cause, 251 00:15:29,320 --> 00:15:35,780 si je puis dire mais au cas d'une loi rétroactive et où la chose 252 00:15:35,980 --> 00:15:40,400 est tout à fait intéressante, c'est que la loi rétroactive en 253 00:15:40,600 --> 00:15:43,970 tant que telle vient, venait porter une atteinte, 254 00:15:44,170 --> 00:15:46,640 alors c'est tout à fait le même type de situation que ce qu'on 255 00:15:46,840 --> 00:15:50,480 avait vu avec l'affaire Noah dans une histoire de lois de validation 256 00:15:50,960 --> 00:15:55,010 qui venaient justement régulariser après coup la manière dont 257 00:15:55,210 --> 00:15:58,490 l'administration s'était comportée dans un certain nombre de cas de 258 00:15:58,690 --> 00:16:04,220 figure donc c'était sur un cas très technique de traitement comptable 259 00:16:04,420 --> 00:16:11,370 et fiscal de certains biens mis en location, ce n'est pas exactement 260 00:16:11,570 --> 00:16:14,210 l'expression, mais peu importe, par des fabricants de voitures 261 00:16:14,410 --> 00:16:17,630 auprès de garagistes pour installer des plaques d'immatriculation. 262 00:16:18,110 --> 00:16:21,080 Et donc, la question était de savoir qui contrôlait le bien et donc 263 00:16:21,280 --> 00:16:25,220 qui devait payer les impôts locaux attachés à ce bien. 264 00:16:25,420 --> 00:16:28,550 Bref, un contribuable obtient gain de cause devant le tribunal 265 00:16:28,880 --> 00:16:32,990 administratif et finalement devant les juridictions fiscales et tout 266 00:16:33,190 --> 00:16:36,020 un tas d'autres contribuables qui donc souhaitaient bénéficier de 267 00:16:36,220 --> 00:16:38,780 la même décision se tournent vers les tribunaux mais entre-temps, 268 00:16:39,260 --> 00:16:43,160 une loi de validation intervient et donc vient, et vous comprenez 269 00:16:43,360 --> 00:16:47,030 l'expression maintenant, porter atteinte à leur espoir de 270 00:16:47,230 --> 00:16:51,410 bénéficier eux aussi d'une décision favorable devant le juge fiscal. 271 00:16:51,620 --> 00:16:54,770 Et donc, c'est cette loi de validation qui en tant qu'elle porte atteinte 272 00:16:54,970 --> 00:17:00,290 à l'espérance au bout du compte d'une créance, c'est-à-dire l'espérance 273 00:17:00,490 --> 00:17:04,160 que le juge fiscal reconnaisse que l'administration doit rembourser 274 00:17:04,360 --> 00:17:07,990 une certaine somme, créance donc, ce simple, si je puis dire, 275 00:17:08,190 --> 00:17:13,070 espoir d'une créance, est jugé comme constituant un bien 276 00:17:13,270 --> 00:17:17,090 au sens de l'article 1P1, ce qui permet donc finalement un 277 00:17:17,290 --> 00:17:21,320 contrôle du Conseil d'État sur les dispositions fiscales rétroactives, 278 00:17:21,520 --> 00:17:23,510 non pas sur le fondement de la Constitution, bien sûr, 279 00:17:23,710 --> 00:17:26,020 car seul le Conseil constitutionnel peut se livrer à ce contrôle, 280 00:17:26,220 --> 00:17:28,280 mais sur le fondement de l'article 1P1. 281 00:17:28,940 --> 00:17:31,250 Et au bout du compte, terminons sur ce point, 282 00:17:31,580 --> 00:17:36,620 la manière dont le Conseil d'État vient apprécier la conventionnalité 283 00:17:36,820 --> 00:17:39,740 ou la non conventionnalité au regard de l'article 1P1 des dispositions 284 00:17:39,940 --> 00:17:43,850 fiscales rétroactives est exactement similaire à celle que déploie le 285 00:17:44,050 --> 00:17:46,010 Conseil constitutionnel sur le fondement de la Constitution. 286 00:17:46,220 --> 00:17:50,600 Et c'est évidemment une sorte d'entente cordiale et tout à fait assumée 287 00:17:51,380 --> 00:17:55,160 de part et d'autre de la part de ces deux juridictions qui expliquent 288 00:17:55,490 --> 00:17:56,250 cela. 289 00:17:56,450 --> 00:17:58,970 Il n'y a pas de hasard derrière ce souci d'une application commune 290 00:17:59,170 --> 00:18:01,670 de deux sources différentes, mais au bout du compte, 291 00:18:01,870 --> 00:18:04,790 susceptible d'être appliquée aux mêmes types de situation et donc 292 00:18:04,990 --> 00:18:07,910 en l'espèce, le Conseil d'État, dans cet arrêt de 2011, 293 00:18:08,110 --> 00:18:11,360 donc, constate qu'il y a bien une atteinte à un bien donc à cette 294 00:18:11,560 --> 00:18:14,810 espérance légitime de bénéficier d'une créance grâce à une décision 295 00:18:15,050 --> 00:18:18,680 du juge qui, selon toute vraisemblance, aurait été favorable, 296 00:18:18,880 --> 00:18:23,780 ou la légitimité de l'espoir, et en même temps, aucun motif d'intérêt 297 00:18:23,980 --> 00:18:27,980 général suffisant ne venait justifier cette atteinte aux biens, 298 00:18:28,180 --> 00:18:30,920 dans la mesure notamment où la loi de validation était intervenue 299 00:18:31,190 --> 00:18:34,430 assez longtemps après la première décision du Conseil d'État favorable 300 00:18:34,630 --> 00:18:37,400 à un contribuable, pour sans doute des motifs financiers, 301 00:18:37,600 --> 00:18:39,530 mais pas beaucoup d'autres motifs que cela. 302 00:18:39,830 --> 00:18:42,710 Cela ne concernait pas énormément de contribuables et donc on retrouve 303 00:18:42,910 --> 00:18:44,660 le raisonnement du Conseil constitutionnel, donc transposé 304 00:18:44,860 --> 00:18:48,890 là par le Conseil d'État et donc une absence de motif suffisant 305 00:18:49,090 --> 00:18:52,370 d'intérêt général et au bout du compte donc une contrariété à la 306 00:18:52,570 --> 00:18:54,770 Convention européenne des droits de l'homme, d'une loi de validation 307 00:18:54,970 --> 00:18:59,690 et donc d'une atteinte à un bien, entant simplement une espérance 308 00:18:59,890 --> 00:19:01,370 légitime constituée à ce bien. 309 00:19:01,570 --> 00:19:04,550 C'est donc ça, l'innovation de la décision de 2011.