1 00:00:05,040 --> 00:00:08,490 La formation du droit européen, ses sources, nous l'avons vu. 2 00:00:09,060 --> 00:00:13,530 L'application du droit européen, notamment le contentieux devant 3 00:00:13,730 --> 00:00:15,750 la Cour de justice de l'Union européenne. 4 00:00:16,260 --> 00:00:20,010 Paragraphe 3 : l'exécution du droit européen. 5 00:00:20,210 --> 00:00:21,540 Formation, application. 6 00:00:22,380 --> 00:00:23,220 Paragraphe 3 : Exécution. 7 00:00:24,540 --> 00:00:31,710 La persistance des États membres, le rôle prépondérant des États 8 00:00:31,910 --> 00:00:35,580 membres dans l'exécution du droit européen est, me semble-t-il, 9 00:00:36,390 --> 00:00:40,800 la caractéristique principale de l'organisation de l'exécution du 10 00:00:41,000 --> 00:00:41,760 droit européen. 11 00:00:47,260 --> 00:00:51,820 Avant de tirer peut-être quelques conclusions sur la nature juridique 12 00:00:53,260 --> 00:00:58,420 de l'Union européenne, il faudrait dire quelques mots 13 00:00:58,900 --> 00:01:05,140 de la caractéristique de l'ordre juridique lui-même et la théorie 14 00:01:05,530 --> 00:01:11,230 de l'ordre intégré, la théorie de l'ordre unique européen intégré 15 00:01:12,340 --> 00:01:13,510 aux ordres nationaux. 16 00:01:13,710 --> 00:01:14,470 A. 17 00:01:15,430 --> 00:01:18,850 Le droit européen, un nouvel ordre intégré ? 18 00:01:21,760 --> 00:01:23,320 Pourquoi avec un point d'interrogation ? 19 00:01:23,520 --> 00:01:27,400 D'abord parce que la théorie de l'ordre intégré, sa portée réelle 20 00:01:27,600 --> 00:01:29,400 n'est pas bien claire. 21 00:01:29,600 --> 00:01:35,680 Surtout, l'évolution de la 22 00:01:35,880 --> 00:01:38,140 jurisprudence elle-même montre des hésitations. 23 00:01:38,340 --> 00:01:45,190 À l'origine, le premier arrêt qui a voulu poser la spécificité du 24 00:01:45,390 --> 00:01:50,740 droit européen, du droit communautaire à l'époque, c'était l'arrêt van 25 00:01:50,940 --> 00:01:53,020 Gend en Loos de 1963, déjà cité. 26 00:01:53,500 --> 00:01:58,900 Dans l'arrêt van Gend en Loos, la Cour des communautés dit que 27 00:02:00,070 --> 00:02:06,040 la communauté constitue, dit-elle, un nouvel ordre juridique 28 00:02:06,240 --> 00:02:08,010 de droit international. 29 00:02:08,980 --> 00:02:12,550 Un nouvel ordre juridique, oui, mais de droit international, 30 00:02:12,970 --> 00:02:18,040 dit la Cour, au profit duquel les États ont limité, bien que dans 31 00:02:18,240 --> 00:02:21,520 des secteurs restreints, leurs droits souverains, 32 00:02:22,690 --> 00:02:26,680 dont les sujets, pas seulement les États, mais également leurs 33 00:02:26,880 --> 00:02:27,640 ressortissants. 34 00:02:28,240 --> 00:02:32,260 C'est donc un ordre spécifique dont les ressortissants des États 35 00:02:32,460 --> 00:02:35,590 sont aussi les sujets, mais qui reste un ordre de droit 36 00:02:35,790 --> 00:02:36,550 international. 37 00:02:37,600 --> 00:02:42,310 C'est tout de suite après cet arrêt van Gend en Loos que la terminologie 38 00:02:42,700 --> 00:02:47,350 évolue l'année suivante, en 1964, dans l'arrêt Costa contre 39 00:02:47,550 --> 00:02:51,130 ENEL, avec une évolution forte. 40 00:02:51,610 --> 00:02:58,000 Parce qu'en 1964, la Cour dit que, à la différence des traités 41 00:02:58,200 --> 00:03:05,320 internationaux ordinaires, le traité de la Communauté économique 42 00:03:05,520 --> 00:03:13,720 européenne, la CEE, a institué un ordre juridique propre intégré 43 00:03:14,230 --> 00:03:16,600 au système juridique des États membres. 44 00:03:18,790 --> 00:03:25,120 Un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres. 45 00:03:26,710 --> 00:03:30,460 C'est ce concept d'ordre juridique intégré qui est la vraie nouveauté. 46 00:03:30,760 --> 00:03:36,040 Mais la jurisprudence n'est pas claire parce que, 50 ans après 47 00:03:36,240 --> 00:03:40,750 l'arrêt Costa contre ENEL, lorsqu'il s'est agi pour la Cour 48 00:03:40,950 --> 00:03:50,080 de justice de l'Union européenne d'empêcher la ratification du protocole 49 00:03:51,220 --> 00:03:55,450 permettant l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne 50 00:03:55,650 --> 00:04:01,450 des droits de l'homme, dans son avis 2/13 du 18 décembre 51 00:04:01,650 --> 00:04:07,390 2014 sur le protocole d'adhésion 52 00:04:07,590 --> 00:04:09,580 de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme, 53 00:04:10,510 --> 00:04:17,410 la Cour de justice dit que contrairement à toutes autres parties 54 00:04:17,610 --> 00:04:22,490 contractantes, l'Union du point de vue du droit international, 55 00:04:22,690 --> 00:04:29,590 donc revient au droit international, ne peut pas, en raison de sa nature 56 00:04:29,790 --> 00:04:32,380 même, être considérée comme un État. 57 00:04:33,520 --> 00:04:39,100 La Cour met elle-même un point d'arrêt à l'analogie fédérale. 58 00:04:39,640 --> 00:04:43,990 Elle reprend alors la théorie de la spécificité des traités fondateurs. 59 00:04:44,500 --> 00:04:47,740 Mais le concept d'ordre intégré disparaît. 60 00:04:48,820 --> 00:04:54,250 Les traités fondateurs de l'Union ont, à la différence des traités 61 00:04:54,940 --> 00:04:59,770 internationaux ordinaires, instauré un nouvel ordre juridique, 62 00:04:59,970 --> 00:05:05,800 doté d'institutions propres, au profit duquel des États ont limité, 63 00:05:06,000 --> 00:05:08,560 dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains. 64 00:05:09,130 --> 00:05:14,320 Et oui, un nouvel ordre juridique, oui, doté d'institutions propres. 65 00:05:14,520 --> 00:05:16,870 Oui, il n'y a pas la référence à l'ordre juridique de droit 66 00:05:17,070 --> 00:05:22,480 international, mais il n'y a plus le concept d'un ordre intégré au 67 00:05:22,680 --> 00:05:23,470 système national. 68 00:05:23,670 --> 00:05:27,010 Et d'ailleurs, c'est curieux, la formule disparaît dans cet important 69 00:05:27,210 --> 00:05:31,570 avis au moment où elle apparaît devant les juridictions françaises. 70 00:05:32,170 --> 00:05:35,080 Au moment où le juge français accepte ce concept d'ordre intégré, 71 00:05:35,500 --> 00:05:39,250 le juge européen le met au deuxième plan. 72 00:05:40,810 --> 00:05:47,890 Mais au-delà de ces affichages conceptuels qui sont des affichages 73 00:05:48,090 --> 00:05:53,140 importants, on y a déjà fait allusion, il y a une limite fondamentale 74 00:05:53,340 --> 00:05:54,430 à la théorie de l'ordre intégré. 75 00:05:55,000 --> 00:05:59,950 C'est que, au bout du compte, si le droit interne, 76 00:06:00,190 --> 00:06:04,600 si le juge interne ne se conforme pas au droit européen, 77 00:06:04,900 --> 00:06:08,350 la solution est la vieille solution du droit international : 78 00:06:09,310 --> 00:06:13,900 on traite le droit interne comme un fait, et on regarde si oui ou 79 00:06:14,100 --> 00:06:18,370 non il a conduit à un manquement au droit européen. 80 00:06:18,800 --> 00:06:21,910 Donc on revient sur le terrain de la responsabilité. 81 00:06:25,410 --> 00:06:31,010 La façon dont le droit français, lui, organise l'exécution du droit 82 00:06:31,210 --> 00:06:35,320 européen conduit à la même conclusion. 83 00:06:39,820 --> 00:06:44,170 La conception européenne de l'ordre intégré se retrouve devant le juge 84 00:06:44,370 --> 00:06:49,180 français, mais avec la limite fondamentale qui est que le juge 85 00:06:49,380 --> 00:06:51,760 français garde le dernier mot. 86 00:06:53,590 --> 00:06:56,560 Si on se tourne vers les solutions du droit français, on doit d'abord 87 00:06:56,760 --> 00:07:00,760 regarder les solutions consacrées à l'effet direct, puis les solutions 88 00:07:00,960 --> 00:07:01,930 consacrées à la primauté. 89 00:07:02,320 --> 00:07:08,020 S'agissant de l'effet direct, le juge national a accepté la théorie 90 00:07:08,350 --> 00:07:12,820 de l'effet direct telle que formulée par le juge européen pour les traités. 91 00:07:13,180 --> 00:07:17,510 Bien évidemment, il a tiré les conclusions de l'effet direct des 92 00:07:17,710 --> 00:07:18,470 règlements. 93 00:07:18,850 --> 00:07:23,470 La difficulté historique concernait les directives européennes. 94 00:07:23,670 --> 00:07:24,430 Pourquoi ? 95 00:07:24,630 --> 00:07:29,320 Parce que là où le juge européen a considéré que la directive était 96 00:07:29,520 --> 00:07:33,160 des faits directs dans une relation verticale avec l'État, 97 00:07:34,180 --> 00:07:38,080 le Conseil d'État a, lui, considéré que même dans cette 98 00:07:38,280 --> 00:07:41,890 relation verticale, même s'elle était suffisamment claire et précise, 99 00:07:42,460 --> 00:07:47,830 elle est conditionnelle, elle ne pouvait pas être invoquée 100 00:07:48,100 --> 00:07:51,790 à l'endroit d'un acte administratif individuel. 101 00:07:53,260 --> 00:07:57,550 C'était la jurisprudence Cohn-Bendit du 22 décembre 1978. 102 00:07:58,000 --> 00:08:03,220 On ne peut pas invoquer directement la directive à l'encontre de décisions 103 00:08:03,420 --> 00:08:04,420 individuelles d'expulsion. 104 00:08:06,100 --> 00:08:10,660 Mais le juge européen, en même temps, considérait qu'on 105 00:08:10,860 --> 00:08:14,680 pouvait invoquer les directives contre les actes réglementaires. 106 00:08:14,950 --> 00:08:20,170 C'est notamment la célèbre jurisprudence Alitalia de 1989. 107 00:08:21,820 --> 00:08:26,440 On pouvait l'invoquer aussi à l'encontre des actes réglementaires, 108 00:08:26,640 --> 00:08:28,060 mais aussi à l'encontre des lois. 109 00:08:28,570 --> 00:08:34,960 C'est l'arrêt Rothmans et Philip Morris du 28 février 1992. 110 00:08:37,720 --> 00:08:42,580 Le résultat était que lorsqu'on pouvait faire un recours contre 111 00:08:42,780 --> 00:08:46,840 un acte individuel et qu'on pouvait faire écarter le règlement ou la 112 00:08:47,040 --> 00:08:51,220 loi sur laquelle se fondait l'acte administratif individuel, 113 00:08:51,580 --> 00:08:54,640 du coup, l'acte administratif individuel se trouvait dépourvu 114 00:08:54,840 --> 00:08:57,100 de base légale et il était annulé. 115 00:08:57,300 --> 00:09:02,320 Seulement, il fallait trouver un acte réglementaire ou un acte 116 00:09:02,520 --> 00:09:07,300 législatif à opposer aux directives, à contrôler au regard des directives. 117 00:09:08,050 --> 00:09:15,340 Dans la jurisprudence Tête en 1998, il y avait un acte individuel 118 00:09:15,540 --> 00:09:19,960 administratif, mais il n'y avait ni loi ni acte réglementaire. 119 00:09:21,280 --> 00:09:26,680 Le juge a considéré qu'il y avait cependant des règles nationales 120 00:09:26,880 --> 00:09:28,630 applicables, on ne sait pas lesquelles. 121 00:09:29,080 --> 00:09:31,960 Certains disaient des solutions jurisprudentielles, des principes. 122 00:09:32,160 --> 00:09:32,920 On ne savait pas bien. 123 00:09:33,120 --> 00:09:34,540 Des règles nationales applicables. 124 00:09:34,870 --> 00:09:37,240 Et comme il y avait ces règles nationales applicables, 125 00:09:37,440 --> 00:09:38,890 elles étaient contraires à la directive. 126 00:09:39,100 --> 00:09:40,480 On pouvait les écarter. 127 00:09:40,780 --> 00:09:45,370 Et l'acte administratif individuel se trouvait dépourvu de base légale. 128 00:09:46,030 --> 00:09:51,430 Dans une telle configuration, on comprend qu'on ne pouvait plus 129 00:09:51,630 --> 00:09:56,740 qu'abandonner la vieille doctrine de l'application des directives 130 00:09:56,940 --> 00:09:57,910 aux actes individuels. 131 00:09:58,390 --> 00:10:05,830 Et le pas a été franchi avec l'arrêt Perreux du 30 octobre 2009, 132 00:10:06,130 --> 00:10:10,840 dans lequel le Conseil d'État accepte ce qu'en droit européen, 133 00:10:11,040 --> 00:10:14,620 on appelle l'invocabilité de substitution, c'est-à-dire qu'on 134 00:10:15,910 --> 00:10:19,900 applique le droit européen à la place du droit national, 135 00:10:20,100 --> 00:10:21,640 en substitution du droit national. 136 00:10:21,910 --> 00:10:26,590 Et donc, l'acte administratif individuel, contraire à la directive 137 00:10:26,950 --> 00:10:29,980 claire et précise, qui n'appelle pas des mesures supplémentaires 138 00:10:30,180 --> 00:10:33,220 d'exécution, l'acte individuel peut être annulé, il n'y a pas 139 00:10:33,420 --> 00:10:35,710 besoin d'aller regarder règlements, lois, etc. 140 00:10:36,880 --> 00:10:40,450 Même si l'acte individuel, on applique la directive, 141 00:10:40,650 --> 00:10:43,630 on l'annule s'il lui est contraire. 142 00:10:46,690 --> 00:10:51,460 Le juge français est arrivé au bout du compte à accepter la doctrine 143 00:10:51,660 --> 00:10:55,270 de l'effet direct du droit européen, avec des difficultés telle qu'elle est. 144 00:10:55,840 --> 00:10:59,980 Si la disposition est claire, précise et inconditionnelle et 145 00:11:00,180 --> 00:11:02,740 n'appelle pas des mesures complémentaires, on lui reconnaît 146 00:11:03,160 --> 00:11:03,920 l'effet direct. 147 00:11:04,240 --> 00:11:09,880 Pour la primauté, le chemin a été et reste plus tortueux, 148 00:11:10,080 --> 00:11:12,400 plus tourmenté encore. 149 00:11:13,390 --> 00:11:16,720 L'article 55 de la Constitution, bien sûr, pose, on le sait, 150 00:11:16,920 --> 00:11:20,620 la primauté des traités sur les lois. 151 00:11:24,310 --> 00:11:26,890 Sur la base de cette disposition, il n'y avait pas de difficulté. 152 00:11:27,090 --> 00:11:28,120 On l'a admis facilement. 153 00:11:28,480 --> 00:11:31,690 On n'avait pas de difficultés pour écarter les actes administratifs 154 00:11:31,890 --> 00:11:37,300 contraires aux traités ou pour 155 00:11:37,500 --> 00:11:40,660 annuler les contrats sur la base des traités, notamment sur la base 156 00:11:40,860 --> 00:11:42,100 des règles relatives à la concurrence. 157 00:11:42,400 --> 00:11:46,420 La difficulté concernait les rapports entre la loi et le traité. 158 00:11:46,620 --> 00:11:47,380 Pourquoi ? 159 00:11:47,580 --> 00:11:50,380 Parce que le juge considérait que si le législateur avait voulu 160 00:11:50,580 --> 00:11:53,050 contredire le traité, y compris le traité européen, 161 00:11:53,800 --> 00:11:57,970 le juge était un subordonné du législateur, il devait faire 162 00:11:58,170 --> 00:12:02,470 application de la loi si elle était postérieure au traité, 163 00:12:02,670 --> 00:12:04,840 il devait appliquer la norme la plus récente. 164 00:12:05,040 --> 00:12:08,140 Parce que si le législateur avait voulu contredire, il devait se plier. 165 00:12:09,250 --> 00:12:15,910 On sait que le Conseil constitutionnel, dans sa décision IVG du 15 janvier 166 00:12:16,110 --> 00:12:22,150 1975, avait considéré qu'il ne lui appartenait pas à lui, 167 00:12:22,350 --> 00:12:30,130 juge constitutionnel, de faire primer le traité sur la 168 00:12:30,330 --> 00:12:33,820 loi postérieure, parce que la loi postérieure, quoique contraire 169 00:12:34,090 --> 00:12:37,960 aux traités, n'était pas pour autant contraire à la Constitution. 170 00:12:38,320 --> 00:12:40,300 Une loi postérieure est peut-être contraire au traité, 171 00:12:40,510 --> 00:12:42,010 mais n'est pas contraire à la Constitution. 172 00:12:42,210 --> 00:12:42,970 Pourquoi ? 173 00:12:43,170 --> 00:12:45,850 Parce que l'article 55 s'adresse aux juges ordinaires, 174 00:12:46,050 --> 00:12:48,880 c'est-à-dire au juge judiciaire et aux juges constitutionnels. 175 00:12:49,870 --> 00:12:54,030 Sauf que le juge judiciaire a accepté cette interprétation du dossier 176 00:12:54,610 --> 00:12:55,370 constitutionnel immédiatement. 177 00:12:55,600 --> 00:13:00,040 Et le 24 mai 1975, dans l'affaire des cafés Jacques Vabre, 178 00:13:00,310 --> 00:13:05,230 la Cour de cassation a accepté de faire primer, et donc d'appliquer 179 00:13:05,980 --> 00:13:10,320 le traité, même s'il a été contredit par une loi postérieure. 180 00:13:10,520 --> 00:13:15,760 Alors que le Conseil d'État, lui, n'était pas convaincu par 181 00:13:15,960 --> 00:13:19,150 l'interprétation et il a continué d'appliquer sa jurisprudence, 182 00:13:19,350 --> 00:13:22,930 la jurisprudence dite des Semoules, en vertu de laquelle il a appliqué 183 00:13:23,260 --> 00:13:24,340 le texte plus récent. 184 00:13:24,760 --> 00:13:29,590 Jusqu'au 20 octobre 1989, on le sait, le grand arrêt d'assemblée 185 00:13:29,790 --> 00:13:35,770 Nicolo, dans lequel le juge administratif, au bout du compte, 186 00:13:36,610 --> 00:13:42,070 accepte d'écarter la loi postérieure 187 00:13:42,270 --> 00:13:43,420 et contraire au traité. 188 00:13:44,230 --> 00:13:49,630 Mais la loi pas la Constitution. 189 00:13:51,580 --> 00:13:56,200 Pour la Constitution, il y avait une solution simple qui, 190 00:13:56,400 --> 00:13:58,390 généralement, traditionnellement, était suffisante. 191 00:13:59,260 --> 00:14:00,310 Il n'appartient pas… 192 00:14:00,670 --> 00:14:03,160 Et elle n'a jamais été remise en cause, cette solution, ce qui est un peu 193 00:14:03,360 --> 00:14:05,170 étonnant au regard de la jurisprudence postérieure. 194 00:14:05,370 --> 00:14:08,260 Mais officiellement, la position officielle du juge 195 00:14:08,460 --> 00:14:10,690 est qu'il n'appartient pas aux juges ordinaires, et notamment 196 00:14:10,890 --> 00:14:15,850 pas au juge administratif, de contrôler la conformité des 197 00:14:16,050 --> 00:14:17,320 traités à la Constitution. 198 00:14:17,650 --> 00:14:20,230 Il n'y a que le Conseil constitutionnel qui peut le faire. 199 00:14:20,500 --> 00:14:25,360 Et il peut le faire par un contrôle a priori, avant la ratification 200 00:14:25,560 --> 00:14:30,610 du traité, sur la base de l'article 54 de la Constitution. 201 00:14:31,270 --> 00:14:33,430 Contrôle a priori du Conseil constitutionnel. 202 00:14:33,820 --> 00:14:36,940 Une fois que le traité est ratifié, il n'appartient pas au Conseil 203 00:14:37,140 --> 00:14:39,580 d'État de contrôler la conformité du traité à la Constitution. 204 00:14:40,570 --> 00:14:46,230 En même temps, dit le Conseil d'État, on peut le comprendre, 205 00:14:46,500 --> 00:14:51,090 si un acte administratif se borne à faire une exacte application 206 00:14:51,290 --> 00:14:54,210 de la Constitution, s'il se contente, l'acte administratif, 207 00:14:54,410 --> 00:14:57,090 de mettre en œuvre un devoir constitutionnel — comme pour les 208 00:14:57,290 --> 00:15:00,210 élections en Nouvelle-Calédonie, où il y avait eu une révision 209 00:15:00,410 --> 00:15:03,450 constitutionnelle pour permettre l'organisation des élections —, 210 00:15:03,780 --> 00:15:06,750 si le décret se contente de mettre en œuvre une décision 211 00:15:06,950 --> 00:15:12,000 constitutionnelle, on ne peut pas opposer non plus au décret d'exécution 212 00:15:12,200 --> 00:15:14,550 de la Constitution le traité international. 213 00:15:14,820 --> 00:15:19,020 La Constitution, en quelque sorte, fait écran et protège le décret 214 00:15:19,380 --> 00:15:20,910 vis-à-vis du traité. 215 00:15:21,110 --> 00:15:24,900 On ne peut pas opposer à la Constitution le traité puisque 216 00:15:25,100 --> 00:15:28,570 le décret se contente de faire une application de la Constitution. 217 00:15:28,770 --> 00:15:31,680 La primauté concerne la loi, ne concerne pas la Constitution. 218 00:15:32,040 --> 00:15:35,490 Si le traité met en vigueur la Constitution, il n'appartient pas 219 00:15:35,690 --> 00:15:36,540 aux juges d'intervenir. 220 00:15:36,740 --> 00:15:46,830 C'est l'arrêt Sarran du Conseil d'État du 30 octobre 1998. 221 00:15:47,610 --> 00:15:51,210 Il y avait une entorse à cette situation. 222 00:15:51,410 --> 00:15:56,700 Une entorse, qui était la jurisprudence Koné de 1996. 223 00:15:57,060 --> 00:16:00,450 Jurisprudence qui permettait, dans le domaine de l'extradition, 224 00:16:01,020 --> 00:16:05,760 de refuser l'extradition, donc de faire échec à un traité 225 00:16:05,960 --> 00:16:09,750 bilatéral d'extradition, si l'extradition était demandée 226 00:16:09,950 --> 00:16:11,190 dans un but politique. 227 00:16:11,910 --> 00:16:15,960 Parce qu'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, 228 00:16:16,470 --> 00:16:18,390 selon le Conseil d'État, dans l'affaire Koné, 229 00:16:18,780 --> 00:16:23,970 empêche d'extrader une personne si on demande l'extradition dans 230 00:16:24,170 --> 00:16:24,930 un but politique. 231 00:16:26,160 --> 00:16:29,250 C'est vrai que dans cette affaire, le Conseil d'État a déjà jeté le 232 00:16:29,450 --> 00:16:34,050 trouble parce qu'il a accepté de laisser inappliqué un traité pour 233 00:16:34,350 --> 00:16:38,490 faire application d'une prohibition constitutionnelle d'un certain 234 00:16:38,690 --> 00:16:40,230 type d'extradition. 235 00:16:43,050 --> 00:16:49,770 Et en mentionnant dans les conclusions l'ordre intégré, un arrêt du Conseil 236 00:16:49,970 --> 00:17:02,250 d'État a franchi une étape 237 00:17:02,450 --> 00:17:07,770 supplémentaire, a posé une solution dérogatoire qui va beaucoup plus 238 00:17:07,970 --> 00:17:12,120 loin que cette solution particulière de l'arrêt Koné, c'est l'arrêt 239 00:17:12,570 --> 00:17:19,140 du Conseil d'État du 21 avril 2021, French Data Network, 240 00:17:19,620 --> 00:17:25,740 dans lequel le Conseil d'État a considéré que si le droit européen 241 00:17:26,550 --> 00:17:33,270 n'avait pas une protection équivalente à la protection constitutionnelle 242 00:17:33,930 --> 00:17:37,980 sur une question déterminée, s'il y avait un principe 243 00:17:38,180 --> 00:17:42,840 constitutionnel français qui ne se retrouve pas dans le droit européen, 244 00:17:43,200 --> 00:17:49,260 alors la présomption d'équivalence des protections entre le droit 245 00:17:49,460 --> 00:17:53,050 européen et le droit français posée par le juge ne s'applique pas — 246 00:17:54,030 --> 00:17:57,030 c'est ça la conséquence très étonnante au regard de la jurisprudence passée, 247 00:17:57,230 --> 00:17:58,770 et la jurisprudence passée n'est jamais remise en cause —, 248 00:17:59,000 --> 00:18:01,920 c'est qu'il n'appartient pas aux juges d'apprécier la conformité 249 00:18:02,550 --> 00:18:07,530 des actes internationaux à la 250 00:18:07,730 --> 00:18:08,490 Constitution. 251 00:18:08,690 --> 00:18:17,580 Là, s'il n'y a pas de protection équivalente, alors si un décret 252 00:18:19,270 --> 00:18:23,880 ou une loi, une législation en particulier, en l'espèce, 253 00:18:24,780 --> 00:18:29,400 met en œuvre, répond à cette protection constitutionnelle, à cet objectif 254 00:18:29,600 --> 00:18:40,170 constitutionnel, on ne peut pas lui opposer une directive ou un 255 00:18:40,370 --> 00:18:45,180 acte européen, un élément de droit européen, qui méconnaîtrait cette 256 00:18:45,380 --> 00:18:50,490 protection constitutionnelle inexistante en droit européen. 257 00:18:52,020 --> 00:19:02,040 Dans ce cas, on écarterait le droit européen parce qu'il est contraire 258 00:19:02,240 --> 00:19:03,000 à la Constitution. 259 00:19:03,240 --> 00:19:07,710 On va plus loin que le simple écran de l'affaire Sarran. 260 00:19:08,160 --> 00:19:13,680 Ici, on va chercher un principe 261 00:19:13,880 --> 00:19:20,550 constitutionnel sans équivalence européenne, pour écarter la règle 262 00:19:20,750 --> 00:19:26,760 européenne qui avait été méconnue par le législateur, pour donner 263 00:19:26,960 --> 00:19:29,190 effet à la décision du législateur. 264 00:19:29,390 --> 00:19:34,560 Là, il y a vraiment une situation qui conduit ouvertement, 265 00:19:36,030 --> 00:19:41,220 sur la base du droit constitutionnel, à pouvoir méconnaître un engagement 266 00:19:41,420 --> 00:19:45,150 européen, et donc à exposer l'action en manquement. 267 00:19:45,350 --> 00:19:46,740 C'est inévitable. 268 00:19:47,310 --> 00:19:50,490 C'est une situation consommée par le Conseil d'État. 269 00:19:51,660 --> 00:19:55,440 Le Conseil constitutionnel, lui aussi, admet une hypothèse 270 00:19:55,640 --> 00:19:58,410 dans laquelle la situation pourrait se produire. 271 00:19:59,700 --> 00:20:03,690 C'est l'hypothèse qui avait été admise en 2006, c'est très particulier, 272 00:20:04,890 --> 00:20:07,890 dans l'affaire relative à la loi sur les droits d'auteur, 273 00:20:08,400 --> 00:20:11,370 dans laquelle le Conseil constitutionnel avait estimé qu'en 274 00:20:11,570 --> 00:20:18,390 principe, si une loi se contente de transposer une directive, 275 00:20:18,590 --> 00:20:23,190 elle transpose correctement une directive, il ne lui appartient 276 00:20:23,390 --> 00:20:26,370 pas de contrôler la conformité de cette loi à la Constitution. 277 00:20:26,570 --> 00:20:27,330 Pourquoi ? 278 00:20:27,530 --> 00:20:31,680 Parce que le constituant lui-même a décidé que la France participerait 279 00:20:31,880 --> 00:20:34,920 à l'Union européenne, et donc a estimé, le constituant, 280 00:20:35,120 --> 00:20:38,580 que les directives pouvaient être adoptées par l'Union européenne 281 00:20:38,780 --> 00:20:41,820 et qu'il avait une obligation constitutionnelle de les transposer. 282 00:20:42,960 --> 00:20:47,600 Mais il peut arriver que cette obligation constitutionnelle, 283 00:20:47,800 --> 00:20:54,110 dit le Conseil constitutionnel, cède lorsque la loi viendrait à 284 00:20:54,310 --> 00:21:04,460 méconnaître un principe inhérent à l'identité constitutionnelle 285 00:21:04,660 --> 00:21:05,420 de la France. 286 00:21:05,720 --> 00:21:09,240 Ce n'est pas très clair ce qu'est qu'un principe inhérent à l'identité 287 00:21:09,440 --> 00:21:12,560 constitutionnelle de la France, mais on se réserve l'hypothèse 288 00:21:13,430 --> 00:21:17,810 d'empêcher en quelque sorte la transposition de la directive pour 289 00:21:18,410 --> 00:21:20,960 préserver l'identité constitutionnelle de la France. 290 00:21:21,290 --> 00:21:24,200 Mais chez le Conseil constitutionnel, c'est essentiellement une réserve 291 00:21:24,400 --> 00:21:25,160 théorique. 292 00:21:25,360 --> 00:21:29,240 Chez le Conseil d'État, c'est une réalité pratique désormais, 293 00:21:29,510 --> 00:21:31,040 depuis très récemment. 294 00:21:31,240 --> 00:21:36,590 Depuis l'arrêt French Data Network, le Conseil d'État consomme l'hypothèse 295 00:21:36,980 --> 00:21:43,760 où il refuse d'exécuter le droit européen au titre de la Constitution. 296 00:21:43,970 --> 00:21:47,360 Il sait très bien quelle sera la conséquence, quel est le risque 297 00:21:47,720 --> 00:21:48,800 pour l'État. 298 00:21:49,160 --> 00:21:51,290 Le risque, c'est l'action en manquement. 299 00:21:52,340 --> 00:21:56,180 C'est donc très clairement aussi digéré, parce qu'on le voit dans 300 00:21:56,380 --> 00:21:59,060 les conclusions du rapporteur public, c'est très clairement digéré pour 301 00:21:59,260 --> 00:22:05,660 le Conseil d'État que la conséquence, c'est qu'on fera primer la Constitution 302 00:22:05,960 --> 00:22:07,130 devant le juge national. 303 00:22:07,330 --> 00:22:14,090 Mais ça veut dire que cette même 304 00:22:14,290 --> 00:22:17,900 Constitution sera écartée devant le juge européen et elle ne pourra 305 00:22:18,100 --> 00:22:22,820 pas justifier le manquement s'il y a une action en manquement. 306 00:22:24,980 --> 00:22:26,590 Du point de vue du droit constitutionnel français, 307 00:22:26,790 --> 00:22:30,590 on pourrait tout de même remarquer que la Constitution ayant décidé, 308 00:22:30,790 --> 00:22:34,190 par une règle spéciale, que la France pouvait participer 309 00:22:34,550 --> 00:22:38,090 à l'Union européenne, et donc ayant accepté par une règle 310 00:22:38,290 --> 00:22:43,970 spéciale, de poser une obligation 311 00:22:44,170 --> 00:22:47,420 spéciale d'exécuter le droit de l'Union européenne, c'est un peu 312 00:22:47,620 --> 00:22:51,890 étonnant que cette obligation spéciale cède en quelque sorte devant des 313 00:22:52,090 --> 00:22:52,850 principes généraux. 314 00:22:53,050 --> 00:22:56,030 Mais voilà une question de droit constitutionnel sur laquelle je 315 00:22:56,230 --> 00:22:58,640 n'irai pas plus loin. 316 00:22:59,930 --> 00:23:04,280 Je voudrais noter simplement que pour finir, la jurisprudence française 317 00:23:04,480 --> 00:23:09,710 a elle-même également digéré la jurisprudence Francovich. 318 00:23:10,070 --> 00:23:19,040 Elle admet que le manquement au droit européen, "la méconnaissance 319 00:23:20,150 --> 00:23:24,980 de l'obligation qui incombe au législateur d'assurer le respect 320 00:23:25,250 --> 00:23:29,420 des conventions internationales", en terme général, la méconnaissance 321 00:23:29,620 --> 00:23:33,320 de cette obligation engage la responsabilité de l'État, 322 00:23:33,590 --> 00:23:37,970 responsabilité qui peut être recherchée dans la décision d'espèce, 323 00:23:39,200 --> 00:23:41,210 selon la décision d'espèce, qui est une décision du tribunal 324 00:23:41,410 --> 00:23:43,880 des conflits devant le juge administratif. 325 00:23:44,150 --> 00:23:49,190 C'est la jurisprudence Boiron, Société Boiron, du 31 mars 2008. 326 00:23:51,990 --> 00:23:53,520 Voilà les solutions pratiques. 327 00:23:53,850 --> 00:24:00,810 Quelles conséquences faut-il en tirer s'agissant de la nature juridique 328 00:24:01,050 --> 00:24:02,460 de l'Union européenne ? 329 00:24:02,660 --> 00:24:03,420 B. 330 00:24:04,290 --> 00:24:07,380 L'Union européenne, nouvelle figure d'État fédéral ? 331 00:24:11,850 --> 00:24:15,390 C'est un débat immense, sur lequel on ne peut pas trancher 332 00:24:16,110 --> 00:24:16,930 en quelques lignes. 333 00:24:17,130 --> 00:24:21,040 Mais on a fait beaucoup d'observations sur la question. 334 00:24:21,240 --> 00:24:22,080 On s'y est référée. 335 00:24:22,530 --> 00:24:28,410 On peut simplement poser les termes et dire, moi, pourquoi, 336 00:24:28,610 --> 00:24:31,830 à titre personnel, je suis un peu sceptique sur l'analogie fédérale 337 00:24:32,280 --> 00:24:34,530 aujourd'hui, en l'état de la construction européenne. 338 00:24:35,190 --> 00:24:36,810 L'opposition est au fond simple. 339 00:24:37,080 --> 00:24:41,190 Les fédéralistes disent : "Regardez les compétences de l'Union 340 00:24:41,390 --> 00:24:45,750 européenne, elles sont extrêmement étendues." Les souverainistes 341 00:24:45,950 --> 00:24:48,210 répondent : "Oui, elles sont peut-être étendues, mais ce sont des compétences 342 00:24:48,410 --> 00:24:50,140 d'attribution, elles sont spéciales. 343 00:24:50,340 --> 00:24:52,980 Il faut une base, comme pour les organisations internationales." 344 00:24:55,530 --> 00:25:00,870 Les fédéralistes se réfèrent aussi 345 00:25:01,170 --> 00:25:04,350 au fonctionnement du Parlement et du Conseil pour dire : 346 00:25:04,620 --> 00:25:08,370 "Voilà une réalité parlementaire qui s'est installée en Europe." 347 00:25:09,090 --> 00:25:10,800 Les souverainistes peuvent répondre : "Oui, mais… 348 00:25:11,820 --> 00:25:15,240 Il y a un fonctionnement de type parlementaire, mais derrière lequel 349 00:25:15,440 --> 00:25:21,690 il y a la négociation interétatique au sein du COREPER et une fonction 350 00:25:21,890 --> 00:25:25,170 de simple exécution d'un accord interétatique lui-même. 351 00:25:27,180 --> 00:25:37,590 Les traités fondateurs qui gouvernent l'Union européenne." Les souverainistes 352 00:25:37,790 --> 00:25:42,450 disent : "Oui, mais regardez l'affaire Solange en Allemagne, 353 00:25:42,660 --> 00:25:47,340 regardez French Network en France, c'est la Constitution qui a le 354 00:25:47,540 --> 00:25:50,310 dernier mot." Ah oui, mais les fédéralistes répondent : 355 00:25:50,550 --> 00:25:54,090 "C'est une satisfaction provisoire parce que ce dernier mot aboutit 356 00:25:54,290 --> 00:25:56,400 à la condamnation de l'État en manquement. 357 00:25:56,850 --> 00:26:01,530 Et donc c'est peut-être un dernier mot, mais un dernier mot illicite." 358 00:26:02,460 --> 00:26:04,560 Voilà les termes de l'opposition. 359 00:26:05,520 --> 00:26:07,020 Je les schématise un peu. 360 00:26:07,260 --> 00:26:11,130 Mais simplement pour dire qu'il y a, dans l'analyse de la construction 361 00:26:11,330 --> 00:26:16,860 européenne, des éléments qui vont dans les deux sens. 362 00:26:17,930 --> 00:26:21,690 Les fédéralistes ajoutent : "Voyez la clause fédérale, 363 00:26:21,890 --> 00:26:24,360 la question préjudicielle." Les souverainistes répondent : 364 00:26:24,560 --> 00:26:26,610 "Oui, c'est le juge national qui la maîtrise en dernier lieu." Donc, 365 00:26:27,990 --> 00:26:31,620 il y a des arguments qui sont utilisés dans un débat doctrinal intéressant, 366 00:26:31,820 --> 00:26:32,790 peut-être un peu théorique. 367 00:26:34,200 --> 00:26:38,010 La raison pour laquelle, en l'état actuel du développement 368 00:26:38,210 --> 00:26:39,510 de l'Union européenne, je suis à titre personnel, 369 00:26:39,710 --> 00:26:44,760 un peu sceptique sur l'analogie 370 00:26:44,960 --> 00:26:50,730 fédérale en l'état, c'est à raison des prérogatives d'exécution. 371 00:26:51,000 --> 00:26:54,870 L'article 4 du Traité sur l'Union européenne, un article bien connu, 372 00:26:55,680 --> 00:26:58,010 rappelle le principe de spécialité, les compétences d'attribution, 373 00:26:59,820 --> 00:27:05,490 et ensuite rappelle que l'Union respecte l'identité nationale des 374 00:27:05,690 --> 00:27:09,660 États membres, leur identité nationale inhérente à leur structure 375 00:27:09,860 --> 00:27:13,830 fondamentale, politique et constitutionnelle, y compris en 376 00:27:14,030 --> 00:27:19,530 ce qui concerne l'autonomie locale et régionale, l'intégrité de l'identité 377 00:27:19,730 --> 00:27:20,490 nationale. 378 00:27:21,300 --> 00:27:24,420 Ce sont des concepts assez généraux, importants. 379 00:27:24,960 --> 00:27:30,960 Mais plus loin, le texte précise et respecte les fonctions essentielles 380 00:27:31,160 --> 00:27:36,510 de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité 381 00:27:36,710 --> 00:27:45,900 territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité 382 00:27:46,140 --> 00:27:46,900 nationale. 383 00:27:47,820 --> 00:27:54,600 L'intégrité territoriale, l'ordre public territorial et la 384 00:27:54,800 --> 00:27:56,670 sécurité, c'est la fonction essentielle de l'État. 385 00:27:56,880 --> 00:27:57,960 L'ordre public. 386 00:27:58,380 --> 00:28:01,920 C'est pour ça que le même texte, le même article 4 ajoute, 387 00:28:03,270 --> 00:28:06,570 à l'alinéa 2 du paragraphe 3, que les États membres, 388 00:28:08,310 --> 00:28:12,930 et c'est la contrepartie, "prennent toutes mesures générales 389 00:28:13,130 --> 00:28:18,630 ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations 390 00:28:18,840 --> 00:28:19,600 européennes". 391 00:28:19,800 --> 00:28:23,730 Eh oui, parce qu'à partir du moment où la fonction essentielle de 392 00:28:23,930 --> 00:28:27,510 sauvegarde de l'ordre public, c'est la fonction de l'État, 393 00:28:28,860 --> 00:28:32,190 faire maintenir l'ordre public, c'est faire maintenir l'ordre public 394 00:28:32,390 --> 00:28:34,020 tel qu'il résulte aussi de l'État de droit. 395 00:28:34,320 --> 00:28:39,390 Le garant ultime de l'exécution des lois, le garant ultime de l'ordre 396 00:28:39,590 --> 00:28:41,760 public, selon le droit européen lui-même, c'est l'État. 397 00:28:43,180 --> 00:28:46,700 La conséquence, c'est que c'est lui qui maîtrise l'exécution. 398 00:28:46,900 --> 00:28:51,350 Et parce que c'est lui qui maîtrise l'exécution, il en a l'obligation, 399 00:28:51,620 --> 00:28:57,440 l'obligation d'exécuter et de faire régner l'ordre européen. 400 00:28:58,760 --> 00:29:01,190 Mais c'est une obligation, c'est normatif. 401 00:29:01,430 --> 00:29:04,550 S'il ne le fait pas, l'action en manquement, 402 00:29:04,750 --> 00:29:06,410 il ne reste que l'action en manquement. 403 00:29:06,650 --> 00:29:11,180 Comme pour les autres traités internationaux, avec des spécificités, 404 00:29:11,380 --> 00:29:13,970 mais fondamentalement comme un traité international. 405 00:29:14,540 --> 00:29:17,690 Et c'est une limite très forte à la construction européenne. 406 00:29:17,890 --> 00:29:19,010 J'y ai fait allusion. 407 00:29:19,210 --> 00:29:22,460 Dans les quelques cas où on donne des fonctions exécutives à la 408 00:29:22,660 --> 00:29:25,100 Commission, on la soumet à la comitologie. 409 00:29:25,430 --> 00:29:30,230 Dès qu'on fait une entorse, il y a quelques entorses en droit 410 00:29:30,430 --> 00:29:31,820 de la concurrence, mais très limitées… 411 00:29:32,030 --> 00:29:33,950 Dès qu'on fait des entorses significatives… 412 00:29:34,610 --> 00:29:35,870 C'est important, le droit de la concurrence. 413 00:29:36,470 --> 00:29:39,410 Par le droit de la concurrence, dès qu'on fait des entorses aux 414 00:29:39,610 --> 00:29:44,150 prérogatives d'exécution nationales, on met la Commission sous le contrôle 415 00:29:44,350 --> 00:29:46,250 des États au titre de la comitologie. 416 00:29:47,060 --> 00:29:54,380 Au fond, il n'y a pas cette contrainte 417 00:29:54,580 --> 00:30:00,050 fédérale dans le law enforcement, qui correspond au FBI des États-Unis 418 00:30:00,470 --> 00:30:05,530 ou au Bundeszwang du droit allemand, la contrainte fédérale. 419 00:30:05,730 --> 00:30:07,640 Il n'y a pas d'équivalent en Europe. 420 00:30:07,840 --> 00:30:11,240 Il n'y a pas de mécanisme qui va permettre aux institutions européennes 421 00:30:11,450 --> 00:30:14,690 de faire régner l'ordre européen sur le territoire local. 422 00:30:15,140 --> 00:30:20,840 Dans un film américain, à un moment, le shérif est sur 423 00:30:21,040 --> 00:30:21,800 la scène du crime. 424 00:30:22,370 --> 00:30:24,380 Il veut s'occuper de l'infraction. 425 00:30:24,580 --> 00:30:27,680 Arrivent tout à coup les Feds, les Fédéraux. 426 00:30:28,490 --> 00:30:31,770 Ils arrêtent le shérif et disent : "Non, non, c'est une infraction 427 00:30:31,970 --> 00:30:36,650 fédérale, compétence fédérale." Et interviennent eux-mêmes le FBI, 428 00:30:37,340 --> 00:30:40,580 les fédéraux sur le territoire local. 429 00:30:43,070 --> 00:30:46,220 Ce film-là ne peut pas être tourné en Europe parce que ça ne correspond 430 00:30:46,420 --> 00:30:48,710 pas à la réalité de la construction européenne. 431 00:30:48,910 --> 00:30:53,250 On n'a pas accepté cette présence organique même, physique, 432 00:30:53,840 --> 00:30:58,430 j'allais dire, mais d'abord juridique, cette présence procédurale des 433 00:30:58,630 --> 00:31:01,730 agents et des institutions européennes dans l'exécution du droit européen 434 00:31:01,970 --> 00:31:03,200 sur les territoires nationaux. 435 00:31:05,480 --> 00:31:11,630 Tant qu'il n'y aura pas cette séquence cinématographique, il n'y aura 436 00:31:11,830 --> 00:31:16,700 pas non plus la séquence historique correspondante dans le sens d'une 437 00:31:16,900 --> 00:31:17,750 évolution fédérale. 438 00:31:17,950 --> 00:31:22,790 Tant que cette maîtrise de l'exécution restera une maîtrise intégralement 439 00:31:22,990 --> 00:31:29,870 étatique, sans des moyens donnés au droit européen pour faire exécuter 440 00:31:30,080 --> 00:31:34,700 directement lui-même l'ordre européen dans les territoires nationaux, 441 00:31:35,090 --> 00:31:39,050 on sera dans un système de coopération qui est un système extrêmement 442 00:31:39,250 --> 00:31:43,490 développé, extrêmement original, mais plus proche, me semble-t-il, 443 00:31:44,780 --> 00:31:52,100 de la logique internationale classique, quoique spécifique, plutôt que 444 00:31:52,300 --> 00:31:53,720 de la logique fédérale.