1 00:00:05,520 --> 00:00:06,280 Bonjour. 2 00:00:07,180 --> 00:00:11,020 Poursuivons l'examen de l'application de l'article premier du premier 3 00:00:11,220 --> 00:00:13,080 protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 4 00:00:13,380 --> 00:00:17,200 après avoir vu les modalités d'applicabilité de cet article. 5 00:00:17,540 --> 00:00:18,300 B. 6 00:00:18,500 --> 00:00:19,880 L'application de l'article 1P1. 7 00:00:20,440 --> 00:00:24,100 Il se trouve que c'est une jurisprudence relativement récente 8 00:00:24,300 --> 00:00:28,000 dont je vais vous parler, en particulier en France, 9 00:00:28,580 --> 00:00:32,040 d'abord parce que la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg 10 00:00:33,080 --> 00:00:37,560 est relativement légère, si je puis dire – j'ai déjà évoqué 11 00:00:37,760 --> 00:00:38,520 ce point. 12 00:00:38,720 --> 00:00:42,060 La Cour admet finalement assez peu de recours en matière fiscale, 13 00:00:43,080 --> 00:00:45,480 c'est un choix politique, en tous cas de politique 14 00:00:45,680 --> 00:00:48,280 jurisprudentielle qu'elle opère, de sorte qu'il y a une jurisprudence 15 00:00:48,480 --> 00:00:51,160 fiscale de la Cour européenne qui reste extrêmement légère. 16 00:00:51,360 --> 00:00:54,740 Mais évidemment cela n'empêche en rien, bien au contraire, les juridictions 17 00:00:54,940 --> 00:00:57,520 nationales, et en particulier les juridictions françaises, 18 00:00:57,720 --> 00:01:01,860 d'accueillir des recours fondés justement sur des arguments invoquant 19 00:01:02,060 --> 00:01:04,600 la Convention, puisque les juridictions nationales sont évidemment les 20 00:01:04,800 --> 00:01:06,400 juges de droit commun de la Convention. 21 00:01:06,600 --> 00:01:09,280 Il leur appartient donc de vérifier que les législations nationales 22 00:01:09,480 --> 00:01:11,660 respectent les exigences conventionnelles. 23 00:01:11,860 --> 00:01:16,540 Il se trouve que du côté français, et en particulier du côté du juge 24 00:01:16,740 --> 00:01:20,500 de l'impôt, et donc du juge administratif qui est très largement 25 00:01:20,700 --> 00:01:23,660 compétent en matière fiscale, bien au-delà de ce que la Cour 26 00:01:23,860 --> 00:01:26,520 de cassation et le judiciaire connaissent en la matière – on 27 00:01:26,720 --> 00:01:30,880 précisera cela ultérieurement – on l'a vu à partir de 2002, 28 00:01:31,440 --> 00:01:34,980 avec l'avis contentieux Société Labeyrie, que le Conseil d'État 29 00:01:35,180 --> 00:01:39,900 a très clairement ouvert la porte aux requêtes fondées sur la CEDH, 30 00:01:40,100 --> 00:01:43,120 et en particulier les articles 1P1 et 14, en indiquant qu'ils 31 00:01:43,320 --> 00:01:44,160 étaient pleinement applicables. 32 00:01:44,920 --> 00:01:47,280 Il a fallu attendre finalement assez peu, jusqu'en 2005, 33 00:01:47,480 --> 00:01:50,720 et c'est un premier arrêt qui n'est pas un grand arrêt, qui a été rendu 34 00:01:50,920 --> 00:01:53,640 de manière presque clandestine, mais qui reste un jalon important, 35 00:01:53,840 --> 00:01:57,240 me semble-t-il : un arrêt du 10 août 2005 rendu par le Conseil 36 00:01:57,440 --> 00:02:01,920 d'État dans une affaire Sarteur, qui l'a conduit pour la première 37 00:02:02,120 --> 00:02:08,600 fois à constater l'incompatibilité, la violation par la loi française 38 00:02:09,700 --> 00:02:11,990 des dispositions que j'évoquais, donc les articles 1P1 et 14, 39 00:02:12,190 --> 00:02:15,480 et donc l'incompatibilité entre la loi française et les droits 40 00:02:15,680 --> 00:02:18,580 de l'homme, tel que consacré à l'échelle européenne, 41 00:02:18,780 --> 00:02:22,620 en donnant effectivement raison à un contribuable, dans un cas 42 00:02:22,820 --> 00:02:26,280 extrêmement particulier lié à une problématique procédurale assez 43 00:02:26,480 --> 00:02:34,700 complexe liée à des intérêts pour la peine réclamés et à un sursis 44 00:02:34,900 --> 00:02:37,620 de paiement susceptible d'être obtenu par le contribuable dans 45 00:02:37,820 --> 00:02:41,960 des conditions qui variaient selon qu'il proposait ou pas des garanties 46 00:02:42,160 --> 00:02:43,780 à l'administration – je n'entre pas dans les détails techniques. 47 00:02:43,980 --> 00:02:47,840 En réalité, il s'agissait pour la peine d'une différence de situation 48 00:02:48,040 --> 00:02:50,860 entre contribuables qui était relativement aberrante : 49 00:02:51,120 --> 00:02:53,940 les contribuables se comportant mieux étant moins bien traités 50 00:02:54,140 --> 00:02:57,000 que ceux qui se comportaient moins bien vis-à-vis de l'administration, 51 00:02:57,220 --> 00:03:01,380 du fait d'une malfaçon législative, d'une erreur de plume du législateur, 52 00:03:01,680 --> 00:03:06,280 que le législateur avait lui-même corrigée avant quelques années, 53 00:03:06,600 --> 00:03:07,960 avant que la décision soit rendue. 54 00:03:08,160 --> 00:03:11,660 Il se trouve que néanmoins, les anciennes dispositions législatives 55 00:03:12,140 --> 00:03:14,940 un peu délirantes, si je puis dire, avaient trouvé à être appliquées 56 00:03:15,140 --> 00:03:15,900 dans un certain nombre de cas. 57 00:03:16,100 --> 00:03:18,480 Et l'un de ces litiges, suscité par l'un de ces cas, 58 00:03:18,960 --> 00:03:23,800 a été réglé en 2005 en la faveur, je le répète, du contribuable. 59 00:03:24,200 --> 00:03:27,920 C'est donc bien pour la première fois que le Conseil d'État exige 60 00:03:28,120 --> 00:03:34,320 le remboursement d'un certain nombre de créances fiscales sur le fondement 61 00:03:34,520 --> 00:03:39,860 de la CEDH en écartant de mettre de côté la loi nationale au profit 62 00:03:40,060 --> 00:03:40,820 de la Convention. 63 00:03:41,020 --> 00:03:44,120 Il se trouve qu'à la suite de cette décision, ça n'est pas une sorte 64 00:03:44,320 --> 00:03:48,840 de flot énorme de décisions qui ont été rendues, principalement 65 00:03:49,040 --> 00:03:52,420 parce que, en réalité, les contribuables et leurs conseils 66 00:03:52,620 --> 00:03:56,860 n'évoquaient assez peu des arguments européens, et en particulier lorsque, 67 00:03:57,060 --> 00:04:00,480 en 2008, la Constitution a été réformée et que la perspective 68 00:04:00,680 --> 00:04:03,620 d'entrée en vigueur de la QPC en 2010 s'est dessinée, 69 00:04:04,480 --> 00:04:08,900 la plupart des requérants ont préféré justement articuler leur requête 70 00:04:09,100 --> 00:04:11,760 sur un terrain constitutionnel plutôt que sur un CEDH, 71 00:04:12,060 --> 00:04:15,150 alors que précisément, et c'est ce point qui m'intéresse 72 00:04:15,350 --> 00:04:20,100 tout spécialement, le contenu même des normes issues de la Constitution 73 00:04:20,300 --> 00:04:23,880 d'une part et issues de la Convention sont assez proches dans leur substance, 74 00:04:24,840 --> 00:04:27,940 et donc assez peu de demandes faites au juge sur le fondement de la CEDH, 75 00:04:28,140 --> 00:04:30,520 et par voie de conséquence, assez peu de décisions. 76 00:04:30,740 --> 00:04:33,160 Néanmoins, un certain nombre de décisions, et je ne vais pas toutes 77 00:04:33,360 --> 00:04:39,280 les citer, notamment en 2011, ont conduit à nouveau le Conseil 78 00:04:39,480 --> 00:04:43,960 d'État à accueillir des recours, visant notamment des lois de 79 00:04:44,160 --> 00:04:44,920 validation. 80 00:04:45,120 --> 00:04:48,600 On a déjà évoqué ce cas de figure sous l'angle constitutionnel, 81 00:04:48,800 --> 00:04:50,680 mais il se trouve que les lois de validation en matière fiscale 82 00:04:52,020 --> 00:04:55,280 posent évidemment un problème en termes de sécurité juridique, 83 00:04:59,360 --> 00:05:01,240 en employant un vocabulaire qui n'est pas celui qu'emploie le Conseil 84 00:05:01,440 --> 00:05:04,360 constitutionnel, qui n'est pas non plus celui que privilégie 85 00:05:04,560 --> 00:05:06,680 d'ailleurs la Cour européenne des droits de l'homme, mais il y a 86 00:05:06,880 --> 00:05:10,520 en tout cas évidemment un problème d'égalité des armes puisque l'une 87 00:05:10,720 --> 00:05:13,860 des deux parties – l'État, l'administration fiscale – sollicite 88 00:05:14,060 --> 00:05:16,140 un changement de législation de la part du législateur de manière 89 00:05:16,340 --> 00:05:20,420 rétroactive pour finalement gagner son litige, ou éviter plus exactement 90 00:05:20,620 --> 00:05:22,620 que le contribuable emporte la partie. 91 00:05:23,240 --> 00:05:25,600 Il y a donc évidemment un problème a priori au regard de l'article 92 00:05:25,800 --> 00:05:29,660 6 de la Convention, sauf que comme on l'a vu, depuis l'arrêt Ferradini 93 00:05:29,860 --> 00:05:32,420 de la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 6 n'est pas 94 00:05:32,620 --> 00:05:33,780 applicable en matière fiscale. 95 00:05:33,980 --> 00:05:40,160 Mais l'article 1P1 permet en réalité d'aboutir à la même solution que 96 00:05:40,360 --> 00:05:45,860 l'article 6 permettrait également d'atteindre, en lien avec l'article 14, 97 00:05:46,060 --> 00:05:47,620 le cas échéant, mais pas nécessairement. 98 00:05:48,000 --> 00:05:51,860 Et donc, le Conseil d'État a eu l'occasion de constater pour la 99 00:05:52,060 --> 00:05:54,820 première fois en 2011, dans un arrêt SNC Peugeot Citroën 100 00:05:55,020 --> 00:06:05,190 Mulhouse société anonyme, le 21 octobre 2011, qu'une telle 101 00:06:05,390 --> 00:06:09,050 loi de validation n'était pas conforme à l'article 1P1 de la CEDH, 102 00:06:09,250 --> 00:06:15,650 portait une atteinte au respect des biens dont jouissent les 103 00:06:15,850 --> 00:06:22,870 entreprises, et n'était donc pas proportionnée au motif d'intérêt 104 00:06:23,070 --> 00:06:25,870 général censé justifier ladite loi de validation. 105 00:06:26,210 --> 00:06:29,210 Et là, on retrouve un raisonnement extrêmement proche de ce que produit 106 00:06:29,410 --> 00:06:32,160 le Conseil constitutionnel sur la base constitutionnelle qui est 107 00:06:32,360 --> 00:06:33,770 la sienne, l'article 16 de la Déclaration. 108 00:06:34,210 --> 00:06:37,150 Le Conseil d'État, sur la base de la CEDH, produit un raisonnement 109 00:06:37,350 --> 00:06:40,070 à peu près identique en deux temps : y a-t-il une atteinte à un bien ? 110 00:06:40,290 --> 00:06:41,070 La réponse est oui. 111 00:06:41,330 --> 00:06:44,410 Y a-t-il une atteinte à un bien justifiée par un motif d'intérêt 112 00:06:44,610 --> 00:06:45,370 général suffisant ? 113 00:06:45,570 --> 00:06:49,190 La réponse fut non, et donc, là encore, le contribuable a remporté 114 00:06:49,390 --> 00:06:50,150 la mise. 115 00:06:50,530 --> 00:06:54,730 Deux ou trois derniers arrêts qui méritent d'être cités pour montrer 116 00:06:54,930 --> 00:07:00,330 une sorte de montée en puissance de la jurisprudence CEDH en droit 117 00:07:00,530 --> 00:07:04,570 interne, en tout cas la jurisprudence du Conseil d'État fondée sur la 118 00:07:04,770 --> 00:07:06,850 Convention européenne des droits de l'homme : un arrêt essentiel 119 00:07:07,050 --> 00:07:10,990 que j'ai déjà évoqué, qui est un arrêt du Conseil d'État 120 00:07:11,190 --> 00:07:15,490 rendu en formation plénière du 9 mai 2012, société EPI, 121 00:07:15,750 --> 00:07:21,870 qui est venu créer une nouvelle forme de garantie au profit du 122 00:07:22,070 --> 00:07:26,090 contribuable sur le fondement de l'article 1P1, et c'est la garantie 123 00:07:27,070 --> 00:07:31,130 des espérances légitimes du contribuable. 124 00:07:31,370 --> 00:07:34,190 Alors, c'est un concept qu'on a déjà évoqué au titre de la 125 00:07:34,390 --> 00:07:37,390 jurisprudence constitutionnelle et sous l'expression d'attente 126 00:07:37,590 --> 00:07:40,050 légitime consacrée en 2013 par le Conseil constitutionnel, 127 00:07:40,250 --> 00:07:42,550 mais vous vous en souvenez peut-être, je vous avais indiqué à l'époque 128 00:07:42,750 --> 00:07:47,130 que cette jurisprudence de décembre 2013 du Conseil constitutionnel 129 00:07:47,330 --> 00:07:49,370 était extrêmement inspirée d'un arrêt du Conseil d'État : 130 00:07:49,790 --> 00:07:52,210 le voici, cet arrêt de mai 2012. 131 00:07:52,770 --> 00:07:56,590 En mai 2012, dans une affaire où le législateur avait créé un avantage 132 00:07:56,790 --> 00:07:59,790 fiscal au profit des entreprises dans la mesure où celles-ci 133 00:08:00,370 --> 00:08:02,650 embauchaient un certain nombre de nouveaux employés, 134 00:08:03,430 --> 00:08:06,210 il se trouve que la loi avait prévu à l'origine que cet avantage fiscal, 135 00:08:06,410 --> 00:08:09,990 une sorte de cadeau, soit accordé trois ans consécutivement 136 00:08:10,190 --> 00:08:13,510 aux entreprises qui jouaient le jeu de l'embauche de salariés. 137 00:08:13,710 --> 00:08:16,910 Mais le Parlement avait souhaité revenir sur cet avantage au bout 138 00:08:17,110 --> 00:08:20,870 d'un an, considérant qu'il n'avait peut-être pas l'utilité prévue 139 00:08:21,070 --> 00:08:21,830 à l'origine. 140 00:08:22,030 --> 00:08:25,030 L'avantage fiscal avait donc été supprimé, mais exclusivement pour 141 00:08:25,230 --> 00:08:29,270 l'avenir, de sorte que la loi n'avait a priori rien de rétroactif, 142 00:08:29,490 --> 00:08:33,410 et donc n'entrait pas dans les cas de figure que le Conseil d'État 143 00:08:33,610 --> 00:08:35,530 avait eu l'occasion de côtoyer jusqu'à présent, ou le Conseil 144 00:08:35,730 --> 00:08:37,770 constitutionnel sur son terrain par ailleurs. 145 00:08:37,970 --> 00:08:40,250 Il y avait donc simplement une modification pour l'avenir de la 146 00:08:40,450 --> 00:08:41,930 loi avec la suppression d'un avantage. 147 00:08:42,910 --> 00:08:46,270 Et donc, jusqu'alors, aucune norme, ni constitutionnelle 148 00:08:46,470 --> 00:08:49,730 ni conventionnelle, pensait-on, permettait a priori de se plaindre 149 00:08:49,930 --> 00:08:50,690 de cette situation. 150 00:08:50,890 --> 00:08:53,390 Et pourtant, le Conseil d'État, dans un premier temps, 151 00:08:53,690 --> 00:08:57,790 vient considérer – et je renvoie à l'affaire turque de la CEDH que 152 00:08:57,990 --> 00:09:02,950 j'évoquais précédemment – que le fait que le Parlement ait en quelque 153 00:09:03,150 --> 00:09:07,150 sorte promis qu'un avantage fiscal serait servi pour trois ans 154 00:09:07,350 --> 00:09:14,190 consécutivement faisait naître une espérance de bénéficier, 155 00:09:14,390 --> 00:09:19,550 dans un certain laps de temps, d'un avantage, et que cette espérance 156 00:09:19,750 --> 00:09:23,870 était – deuxième point – légitime dans la mesure où elle était reconnue 157 00:09:24,070 --> 00:09:28,930 par l'État à travers cette consécration législative tout à fait explicite, 158 00:09:29,490 --> 00:09:32,810 et pour une durée déterminée, et qu'il y avait donc bien ici 159 00:09:33,010 --> 00:09:36,450 l'atteinte à un bien au sens de la Convention européenne des droits 160 00:09:36,650 --> 00:09:42,310 de l'homme, puisque la simple espérance légitime de bénéficier d'une créance 161 00:09:42,510 --> 00:09:46,710 est finalement assimilée à une forme de créance et finalement 162 00:09:46,910 --> 00:09:47,970 à un bien en tant que tel. 163 00:09:48,770 --> 00:09:51,510 Je reviens sur la problématique que j'évoquais, ce qui est extrêmement 164 00:09:51,710 --> 00:09:55,130 frappant avec cet arrêt, mais au-delà avec l'application 165 00:09:55,330 --> 00:10:00,230 de la CEDH et la notion de bien au sens CEDH, c'est qu'elle englobe 166 00:10:00,430 --> 00:10:03,790 finalement des éléments qui peuvent ne pas être du tout protégés à 167 00:10:03,990 --> 00:10:07,610 l'échelle interne en l'absence d'un droit de propriété et en l'absence 168 00:10:07,810 --> 00:10:12,850 même d'une créance véritable, patrimonialisable, si je puis dire, 169 00:10:13,430 --> 00:10:16,670 dans la simple espérance de bénéficier d'une décision de justice favorable 170 00:10:16,870 --> 00:10:20,750 ou de bénéficier d'un cadeau fiscal que le législateur avait promis, 171 00:10:20,950 --> 00:10:26,090 promesse sur laquelle il a souhaité revenir, c'est un bien au sens 172 00:10:26,290 --> 00:10:29,310 de la CEDH qui doit être protégé en tant que tel. 173 00:10:29,730 --> 00:10:33,250 Sauf évidemment – deuxième temps du raisonnement – à ce qu'un motif 174 00:10:33,450 --> 00:10:36,230 d'intérêt général suffisant justifie d'y porter atteinte. 175 00:10:36,430 --> 00:10:40,210 En l'espèce, le Conseil d'État considérait en 2012 que revenir 176 00:10:40,410 --> 00:10:43,590 sur cet avantage fiscal n'était vraisemblablement motivé que par 177 00:10:43,790 --> 00:10:46,310 une justification purement financière qui, vous vous en souvenez, 178 00:10:46,510 --> 00:10:52,230 ne suffit pas par principe à justifier une atteinte au droit globalement 179 00:10:52,430 --> 00:10:54,930 que la Convention vient protéger. 180 00:10:55,210 --> 00:10:57,490 On retrouve une problématique identique à celle que l'on a vue en droit 181 00:10:57,690 --> 00:10:58,450 constitutionnel à nouveau. 182 00:10:58,650 --> 00:11:03,710 Et donc, le Conseil d'État en 2012 a accordé au demandeur, 183 00:11:03,910 --> 00:11:10,590 à la société EPI, de pouvoir bénéficier de ce cadeau fiscal qu'elle attendait, 184 00:11:11,030 --> 00:11:15,770 cette espérance légitime qui avait été bafouée de manière illégitime, 185 00:11:16,030 --> 00:11:18,710 de manière non justifiée par motif d'intérêt général suffisant. 186 00:11:18,910 --> 00:11:22,710 C'était donc évidemment une victoire pour cette société, et au-delà, 187 00:11:22,910 --> 00:11:27,850 une avancée tout à fait considérable, en tout cas sur un cas relativement 188 00:11:28,050 --> 00:11:31,210 singulier et bien défini, je vais le préciser dans un instant, 189 00:11:31,410 --> 00:11:35,130 mais une avancée tout de même en termes de garanties offertes aux 190 00:11:35,330 --> 00:11:36,090 contribuables. 191 00:11:36,290 --> 00:11:39,310 Et c'est donc cette avancée que le Conseil constitutionnel a imité 192 00:11:39,510 --> 00:11:43,190 un an et demi plus tard en décembre 2013, là où auparavant le Conseil 193 00:11:43,390 --> 00:11:47,270 constitutionnel ne protégeait pas les contribuables contre un changement 194 00:11:47,470 --> 00:11:49,870 d'attitude du législateur simplement pour l'avenir. 195 00:11:50,090 --> 00:11:54,090 Il estime qu'aucune norme constitutionnelle ne venait contraindre 196 00:11:54,290 --> 00:11:55,750 le législateur dans ce type de situation. 197 00:11:56,550 --> 00:12:02,310 Aujourd'hui, ce cas reste relativement singulier du côté constitutionnel 198 00:12:02,510 --> 00:12:03,310 comme du côté CEDH. 199 00:12:03,510 --> 00:12:06,730 J'entends par là que toutes les promesses faites par le législateur 200 00:12:06,930 --> 00:12:11,530 n'ont évidemment pas vocation à valoir pour la vie, et en particulier 201 00:12:11,730 --> 00:12:15,290 rien n'interdit au législateur de modifier pour l'avenir la 202 00:12:15,490 --> 00:12:18,870 législation fiscale qu'il a cru bonne fut un temps et qu'il souhaite 203 00:12:19,070 --> 00:12:20,450 changer à un autre moment. 204 00:12:20,650 --> 00:12:23,410 C'est même une garantie démocratique tout à fait essentielle, 205 00:12:23,610 --> 00:12:26,610 sinon il ne servirait à rien de modifier la majorité parlementaire 206 00:12:26,810 --> 00:12:30,610 si celle-ci ne pouvait pas revenir sur les choix fiscaux des majorités 207 00:12:30,810 --> 00:12:31,570 précédentes. 208 00:12:31,770 --> 00:12:34,810 Néanmoins, dans le cas particulier qu'on vient de voir, 209 00:12:35,010 --> 00:12:38,590 avec deux conditions, le fait que le législateur a créé 210 00:12:38,790 --> 00:12:44,470 un avantage fiscal, une niche fiscale, l'idée étant de récompenser les 211 00:12:44,670 --> 00:12:48,090 contribuables adoptant un comportement particulier conforme à l'intérêt 212 00:12:48,290 --> 00:12:51,430 général, par exemple embaucher du personnel dans son entreprise, 213 00:12:51,630 --> 00:12:55,470 c'était le cas que je viens de citer, et que cet avantage fiscal a une 214 00:12:55,670 --> 00:12:59,970 durée déterminée dès l'origine, il est clairement dit que ce sera 215 00:13:00,170 --> 00:13:04,210 pour un, deux, trois ou quatre ans, c'est a priori dans ces situations, 216 00:13:04,410 --> 00:13:07,930 et pour le moment uniquement dans ces situations, que le juge accepte 217 00:13:08,130 --> 00:13:13,770 potentiellement de trouver un bien dans le fait qu'une espérance naisse 218 00:13:13,970 --> 00:13:17,430 dans cette situation, avec ces deux critères qui font 219 00:13:17,630 --> 00:13:20,830 naître une espérance légitime et qu'évidemment, dans ce cas, 220 00:13:21,030 --> 00:13:25,630 s'il n'y a pas de motif d'intérêt général suffisant, il sera possible 221 00:13:25,830 --> 00:13:30,010 pour le juge de constater la contrariété de ce revirement 222 00:13:30,210 --> 00:13:35,070 législatif, contrariété aux exigences de l'article 1P1. 223 00:13:35,830 --> 00:13:39,110 Depuis l'arrêt de 2012, il y a eu quelques cas d'application, 224 00:13:39,310 --> 00:13:42,290 assez peu en réalité, un en particulier en 2017 qui 225 00:13:42,490 --> 00:13:46,110 concernait la société Vivendi dans un cas de figure assez proche de 226 00:13:46,310 --> 00:13:49,550 celui de 2012, avec là encore la même logique : un avantage fiscal 227 00:13:49,750 --> 00:13:52,270 qui avait été accordé pour une durée limitée sur lequel le législateur 228 00:13:52,470 --> 00:13:54,650 a souhaité revenir sans motif autre que financier. 229 00:13:54,850 --> 00:13:58,870 Là encore, la société a obtenu gain de cause devant le Conseil d'État. 230 00:13:59,070 --> 00:14:02,170 Au-delà, pas tellement d'applications, la situation ne se pose pas tous 231 00:14:02,370 --> 00:14:03,450 les matins, vous l'imaginez. 232 00:14:03,650 --> 00:14:07,410 Néanmoins, et je terminerai avec ce dernier arrêt, le Conseil d'État 233 00:14:07,610 --> 00:14:14,230 continue d'être assez ouvert aux requêtes des contribuables fondées 234 00:14:14,430 --> 00:14:18,610 sur les articles 1P1 et 14, et le cas échant uniquement sur 235 00:14:18,810 --> 00:14:20,090 l'article 1P1, comme ici. 236 00:14:20,290 --> 00:14:25,650 J'en tiens pour preuve un dernier arrêt que je crois important, 237 00:14:25,850 --> 00:14:26,610 même si là encore il ne s'agit pas d'un arrêt rendu en formation 238 00:14:26,810 --> 00:14:29,550 solennelle, qui a obtenu tous les honneurs des revues, 239 00:14:29,750 --> 00:14:31,190 mais néanmoins publié. 240 00:14:31,390 --> 00:14:34,630 C'est un arrêt du Conseil d'État de 2020, plus précisément du 10 241 00:14:34,830 --> 00:14:40,430 mars 2020, Société Primopierre, dans lequel le Conseil d'État vient 242 00:14:40,630 --> 00:14:44,870 là encore donner raison à la société qui se plaignait d'une contrariété 243 00:14:45,070 --> 00:14:48,790 entre un mécanisme de sanction très particulier pour des opérations 244 00:14:48,990 --> 00:14:52,230 immobilières, dans le détail desquelles je ne vais pas rentrer. 245 00:14:52,430 --> 00:14:56,350 Donc, il y avait un dispositif de sanction un peu troublant et 246 00:14:56,550 --> 00:15:00,250 que le Conseil d'État a jugé contraire à l'article 1P1 pour un défaut 247 00:15:00,450 --> 00:15:05,150 de proportionnalité entre le montant de la sanction et l'infraction 248 00:15:05,350 --> 00:15:08,430 qu'elle était censée viser, mais dans un cas où les choses 249 00:15:08,630 --> 00:15:13,390 étaient finalement relativement subtiles, où la violation de l'article 250 00:15:13,590 --> 00:15:16,090 1P1 n'apparaissait pas absolument évidente vraisemblablement, 251 00:15:16,290 --> 00:15:18,430 et surtout dans un cas, et c'est ça qui est très intéressant, 252 00:15:18,630 --> 00:15:22,310 où aucune jurisprudence constitutionnelle n'était présente 253 00:15:22,510 --> 00:15:24,970 – le Conseil constitutionnel ne s'était pas prononcé sur ce point, 254 00:15:25,170 --> 00:15:28,930 sur le dispositif législatif en question – et où, du côté de la CEDH, 255 00:15:30,050 --> 00:15:32,230 pas grand-chose n'était disponible non plus. 256 00:15:32,430 --> 00:15:34,970 Le Conseil d'État, ou son rapporteur public plus précisément, 257 00:15:35,390 --> 00:15:40,690 a exhumé un arrêt assez ancien concernant une législation grecque 258 00:15:40,890 --> 00:15:43,930 pour là aussi une sanction, mais c'était une sanction douanière 259 00:15:44,130 --> 00:15:48,830 d'un montant absolument considérable pouvant aller à 900 %, 260 00:15:50,470 --> 00:15:53,650 ça n'était pas un impôt, mais de la taxe douanière éludée, 261 00:15:53,850 --> 00:15:58,190 pour justement tirer argument du fait qu'il arrive à la CEDH de 262 00:15:58,390 --> 00:16:00,990 considérer qu'une sanction administrative douanière, 263 00:16:01,190 --> 00:16:04,750 et donc fiscale, puisse être contraire aux exigences de l'article 1P1. 264 00:16:05,230 --> 00:16:10,370 Mais là encore, cet arrêt CEDH, la Cour de Strasbourg assez isolé, 265 00:16:10,570 --> 00:16:14,330 portant sur un cas un peu caricatural, a suffi finalement à inspirer le 266 00:16:14,530 --> 00:16:19,070 Conseil d'État dans un cas beaucoup moins caricatural, et c'est ça 267 00:16:19,270 --> 00:16:21,190 que je veux souligner et qui me semble intéressant. 268 00:16:21,390 --> 00:16:25,130 Je crois que cet arrêt illustre relativement bien le fait que le 269 00:16:25,330 --> 00:16:27,790 Conseil d'État prend aujourd'hui complètement au sérieux la CEDH 270 00:16:27,990 --> 00:16:31,970 et est tout à fait prêt à réfléchir au niveau de justification d'un 271 00:16:32,170 --> 00:16:34,970 certain nombre de dispositifs fiscaux, dont l'utilité publique, 272 00:16:35,170 --> 00:16:38,770 la proportionnalité ici, et la conformité à l'intérêt général 273 00:16:38,970 --> 00:16:40,270 sont discutables. 274 00:16:40,470 --> 00:16:44,490 Bref, là où le Conseil constitutionnel a une jurisprudence peut-être parfois 275 00:16:44,690 --> 00:16:47,750 un peu erratique, le Conseil d'État, me semble-t-il – c'est un avis 276 00:16:48,150 --> 00:16:52,350 très subjectif que je vous délivre là – propose une approche qui me 277 00:16:52,550 --> 00:16:56,230 semble plus sécurisante du point de vue des contribuables, 278 00:16:56,430 --> 00:16:58,950 et des juristes plus généralement, avec un niveau de prévisibilité 279 00:16:59,150 --> 00:17:04,910 un peu supérieur et un souci de prendre au sérieux la CEDH. 280 00:17:05,110 --> 00:17:08,370 Alors, je termine en guise de concluant un peu plus général à propos de 281 00:17:08,570 --> 00:17:14,350 ces arrêts d'application de l'article 1P1, pour souligner à quel point 282 00:17:14,550 --> 00:17:19,890 il révèle aussi une approche nouvelle par le Conseil d'État de problématique 283 00:17:20,090 --> 00:17:23,890 de légalité dans la manière d'apprécier la légalité, la conventionnalité, 284 00:17:24,510 --> 00:17:27,310 en tout cas la conformité au droit d'un certain nombre d'actes, 285 00:17:27,510 --> 00:17:28,810 de comportements administratifs. 286 00:17:29,010 --> 00:17:31,930 Ce qui est très intéressant, me semble-t-il, c'est ce souci 287 00:17:32,130 --> 00:17:33,790 de subjectivisation. 288 00:17:33,990 --> 00:17:39,350 On parle parfois de subjectivisation par opposition au caractère purement 289 00:17:39,550 --> 00:17:42,310 objectif en principe du contrôle de la légalité ou de la 290 00:17:42,510 --> 00:17:44,830 conventionnalité qu'opère le juge, le Conseil d'État vient de plus en plus, 291 00:17:45,030 --> 00:17:49,050 et on le voit dans ces affaires d'inspiration européenne, 292 00:17:50,490 --> 00:17:55,450 prendre en compte le ressenti des contribuables, la manière dont 293 00:17:55,650 --> 00:17:59,170 ceux-ci ont pu comprendre, interpréter, apprécier… 294 00:17:59,370 --> 00:18:03,270 et donc subjectivement puisque c'est les sujets de droit qui sont 295 00:18:03,470 --> 00:18:06,050 ici regardés par le juge. 296 00:18:06,570 --> 00:18:10,250 Cette appréciation subjective est prise en compte pour mesurer la 297 00:18:10,450 --> 00:18:14,030 légalité du dispositif contesté, du comportement contesté. 298 00:18:14,230 --> 00:18:19,830 Et cette évolution est tout à fait singulière et contraire à l'histoire 299 00:18:20,030 --> 00:18:24,050 juridique française depuis 1789, qui se concentre sur des éléments 300 00:18:24,250 --> 00:18:27,830 censément objectifs, dans un souci de parfaite égalité 301 00:18:28,030 --> 00:18:30,710 dans l'application de la loi, et donc indépendamment des situations 302 00:18:30,910 --> 00:18:34,670 particulières des plaignants, situations subjectives par hypothèse. 303 00:18:34,910 --> 00:18:37,820 On a une sorte de glissement d'évolutions qu'on peut critiquer 304 00:18:38,020 --> 00:18:40,650 – certains l'ont fait – ou qu'on peut juger pertinentes, 305 00:18:41,770 --> 00:18:47,830 plus soucieuses de prendre en compte une sorte de réalité liée à la 306 00:18:48,030 --> 00:18:51,010 façon dont les contribuables peuvent comprendre un certain nombre de 307 00:18:51,210 --> 00:18:54,250 signaux que leur envoie notamment l'État, et donc une protection 308 00:18:54,450 --> 00:18:58,910 nouvelle qui est, je crois, assez intéressante et tout à fait 309 00:18:59,110 --> 00:19:02,390 en phase avec d'autres évolutions de la jurisprudence, au-delà du 310 00:19:02,590 --> 00:19:07,950 droit fiscal, que je ne vais pas présenter ici, le temps nous manque. 311 00:19:08,150 --> 00:19:11,750 Mais en matière de libertés publiques, on trouve des choses assez comparables 312 00:19:12,390 --> 00:19:19,990 et je pense véritablement que c'est tout à fait l'esprit de la Convention 313 00:19:20,190 --> 00:19:22,430 européenne des droits de l'homme de la jurisprudence de la Cour 314 00:19:22,630 --> 00:19:28,050 qui finit par être prise en compte par le Conseil d'État, 315 00:19:28,250 --> 00:19:31,110 alors qu'il était au début plutôt réticent à cette jurisprudence 316 00:19:31,310 --> 00:19:36,230 et à cette juridiction à plusieurs égards, prise en compte de ce ressenti 317 00:19:36,430 --> 00:19:40,510 des administrés, des contribuables pour apprécier la légalité de leur 318 00:19:40,710 --> 00:19:43,590 traitement, ce qui est encore une fois un phénomène tout à fait 319 00:19:43,790 --> 00:19:44,550 significatif. 320 00:19:44,870 --> 00:19:48,490 Voilà donc pour le droit européen des droits de l'homme.