1 00:00:05,100 --> 00:00:06,020 e. 2 00:00:06,580 --> 00:00:08,160 La mutabilité. 3 00:00:08,520 --> 00:00:14,080 Terminons le panorama de tous ces principes qui régissent l’exécution 4 00:00:14,280 --> 00:00:18,420 des missions de services publics par ce principe de mutabilité que 5 00:00:18,620 --> 00:00:22,360 l’on appelle également principe d’adaptation, que l’on appelle 6 00:00:22,560 --> 00:00:25,880 encore autrement principe d’adaptation constante. 7 00:00:26,980 --> 00:00:32,140 L’administration doit constamment tenir compte des grandes tendances 8 00:00:32,340 --> 00:00:37,520 sociales, économiques, juridiques et y adapter ses activités. 9 00:00:38,140 --> 00:00:42,260 L’administration doit faire évoluer les services publics qu’elle offre 10 00:00:42,460 --> 00:00:48,480 à la population, doit adapter son action à l’évolution de l’intérêt 11 00:00:48,680 --> 00:00:49,440 général. 12 00:00:52,060 --> 00:00:56,000 Ce principe de mutabilité, c’est ce que je vais essayer de 13 00:00:56,200 --> 00:01:00,100 vous montrer, est en réalité véritablement un pouvoir d’adaptation 14 00:01:00,300 --> 00:01:01,340 pour l’administration. 15 00:01:02,520 --> 00:01:05,660 Voyons la source de ce principe de mutabilité. 16 00:01:06,800 --> 00:01:11,080 Ce principe de mutabilité découle de deux grands arrêts du Conseil 17 00:01:11,280 --> 00:01:14,000 d’État du début du 20ᵉ siècle. 18 00:01:15,100 --> 00:01:20,180 10 janvier 1902, compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen, 19 00:01:20,780 --> 00:01:23,600 décision de 1902. 20 00:01:25,240 --> 00:01:31,320 Au début du 20ᵉ siècle, on se trouve exactement dans ce 21 00:01:31,520 --> 00:01:32,580 cas-là dans cette affaire, se déroule la querelle du gaz et 22 00:01:32,780 --> 00:01:33,580 de l’électricité. 23 00:01:34,180 --> 00:01:37,040 L’éclairage public se fait encore principalement au gaz, 24 00:01:38,920 --> 00:01:44,560 l’éclairage public au gaz a été en grande partie confié à des 25 00:01:44,760 --> 00:01:49,480 entreprises privées par le biais de concessions de services publics, 26 00:01:49,680 --> 00:01:56,380 mais l’électricité se développe depuis la fin du 19ᵉ siècle et 27 00:01:56,580 --> 00:01:58,380 l’électricité commence à remplacer le gaz. 28 00:01:59,460 --> 00:02:03,900 La commune de Déville-lès-Rouen avait justement confié l’éclairage 29 00:02:04,100 --> 00:02:10,820 public à une entreprise qui utilisait, qui avait recours au gaz pour assurer 30 00:02:11,020 --> 00:02:12,620 l’éclairage. 31 00:02:13,860 --> 00:02:21,660 La commune de Déville-lès-Rouen demande plutôt, oui demande à son 32 00:02:21,860 --> 00:02:26,900 concessionnaire de service public s’il ne serait pas en mesure de 33 00:02:27,100 --> 00:02:33,680 passer du gaz à l’électricité, car l’éclairage produit à l’électricité 34 00:02:33,880 --> 00:02:38,660 était plus satisfaisant, entraînait moins de pollution et 35 00:02:38,860 --> 00:02:43,160 offrait un éclairage de meilleure qualité que celui au gaz. 36 00:02:45,820 --> 00:02:49,880 Proposition, plutôt demande de passer d’une énergie à l’autre 37 00:02:50,080 --> 00:02:55,500 pour produire de l’éclairage, la compagnie refuse, 38 00:02:56,140 --> 00:03:01,820 la commune se montre autoritaire et résilie son contrat avec la 39 00:03:02,020 --> 00:03:07,620 compagnie et passe un nouveau contrat avec une autre entreprise qui propose 40 00:03:07,820 --> 00:03:12,140 justement un éclairage à l’électricité. 41 00:03:13,660 --> 00:03:18,400 La Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen conteste cette 42 00:03:18,600 --> 00:03:21,480 décision de résiliation devant le juge administratif. 43 00:03:22,040 --> 00:03:24,980 La question qui se posait était une question d’interprétation des 44 00:03:25,180 --> 00:03:25,940 clauses du contrat. 45 00:03:26,320 --> 00:03:33,920 Dans leur contrat, les parties, la ville et la compagnie ne s’étaient 46 00:03:34,120 --> 00:03:39,060 mises d’accord que sur le monopole de la concession du service public 47 00:03:39,260 --> 00:03:40,060 de l’éclairage. 48 00:03:40,300 --> 00:03:45,060 Le contrat ne disait rien de la manière dont l’éclairage devait 49 00:03:45,260 --> 00:03:47,140 être assuré, au gaz ou à l’électricité. 50 00:03:47,700 --> 00:03:50,630 Le Conseil d’État cherche l’intention des parties derrière cela, 51 00:03:50,830 --> 00:03:54,200 derrière cette manifestation d’intention qui est simplement 52 00:03:54,400 --> 00:03:58,520 de confier le monopole de l’éclairage public à la compagnie. 53 00:03:58,820 --> 00:04:02,460 Selon le Conseil d’État, la compagnie a bien un monopole, 54 00:04:02,660 --> 00:04:08,320 mais la commune de son côté a un droit, elle a le droit de mettre en demeure 55 00:04:08,520 --> 00:04:12,700 la compagnie d’avoir recours à l’électricité et elle a le droit, 56 00:04:12,900 --> 00:04:22,330 la commune, si la compagnie refuse, de lui substituer un nouveau 57 00:04:22,530 --> 00:04:23,290 concessionnaire. 58 00:04:23,490 --> 00:04:24,880 Le Conseil d’État semble aller dans le sens de la commune. 59 00:04:26,580 --> 00:04:32,460 Le Conseil d’État décide tout de même de sanctionner la commune 60 00:04:32,660 --> 00:04:39,060 en quelque sorte puisque la commune n’avait pas mis en demeure son 61 00:04:39,260 --> 00:04:43,220 cocontractant de passer du gaz à l’électricité. 62 00:04:43,760 --> 00:04:46,980 La commune avait simplement demandé s’il était possible de passer du 63 00:04:47,180 --> 00:04:52,030 gaz à l’électricité, puis sans autre forme de procès, 64 00:04:52,230 --> 00:04:56,840 elle avait résilié la convention pour la passer avec un nouveau 65 00:04:57,040 --> 00:04:57,800 cocontractant. 66 00:05:00,040 --> 00:05:03,620 La commune avait été condamnée à indemniser son cocontractant 67 00:05:03,820 --> 00:05:05,920 mais ce qu’il faut bien voir, c’est que dans son arrêt, 68 00:05:06,120 --> 00:05:10,560 le Conseil d’État consacre déjà la possibilité pour la commune 69 00:05:10,760 --> 00:05:16,160 de mettre en demeure son cocontractant de procéder à une amélioration 70 00:05:16,360 --> 00:05:17,120 du service public. 71 00:05:17,680 --> 00:05:19,740 Ce point-là est essentiel. 72 00:05:20,260 --> 00:05:25,400 Deuxième décision peut-être encore plus importante, 11 mars 1910, 73 00:05:25,840 --> 00:05:28,780 Conseil d’État toujours, Compagnie générale française des 74 00:05:28,980 --> 00:05:29,740 tramways. 75 00:05:31,590 --> 00:05:39,070 Dans les Bouches-du-Rhône, le service public des tramways 76 00:05:39,270 --> 00:05:44,070 avait été confié à une compagnie concessionnaire de service public. 77 00:05:45,090 --> 00:05:50,490 Le préfet des Bouches-du-Rhône demande à cette compagnie d’augmenter 78 00:05:50,690 --> 00:05:55,250 le nombre de tramways en circulation à Marseille en raison de l’augmentation 79 00:05:55,450 --> 00:05:56,210 de la population. 80 00:05:56,950 --> 00:06:02,370 La compagnie refuse et conteste cette décision devant le juge 81 00:06:02,570 --> 00:06:03,330 administratif. 82 00:06:03,530 --> 00:06:08,070 La compagnie ne voulait pas augmenter le nombre de rames en circulation. 83 00:06:09,930 --> 00:06:12,930 En l’espèce, qu’invoquait la compagnie ? 84 00:06:13,430 --> 00:06:17,750 Elle invoquait le cahier des charges national qui était relatif au service 85 00:06:17,950 --> 00:06:23,810 de transport, cahier des charges national en vertu duquel l’État 86 00:06:24,010 --> 00:06:28,390 devait obtenir son accord pour augmenter le nombre de rames. 87 00:06:28,710 --> 00:06:33,430 L’État ne pouvait pas imposer à la compagnie d’augmenter le nombre 88 00:06:33,630 --> 00:06:34,390 de rames. 89 00:06:35,450 --> 00:06:41,210 Le Conseil d’État va suivre les conclusions de son rapporteur public, 90 00:06:41,410 --> 00:06:44,730 à l’époque, c’était le commissaire du gouvernement, va suivre les 91 00:06:44,930 --> 00:06:46,930 conclusions de son commissaire du gouvernement de l’époque, 92 00:06:47,350 --> 00:06:49,710 Léon Blum, qui explique la chose suivante. 93 00:06:49,910 --> 00:06:54,410 Je cite Léon Blum : "La concession représente une délégation", 94 00:06:54,610 --> 00:06:57,910 c’est-à-dire qu’elle constitue un mode de gestion indirecte", 95 00:06:58,680 --> 00:07:02,170 c’est très important, "elle n’équivaut pas à un abandon, 96 00:07:02,670 --> 00:07:03,530 à un délaissement. 97 00:07:04,350 --> 00:07:08,890 L’État interviendra donc nécessairement pour imposer le cas échéant au 98 00:07:09,090 --> 00:07:13,890 concessionnaire une prestation supérieure à celle qui était prévue 99 00:07:14,090 --> 00:07:17,860 strictement, pour forcer l’un des termes de cette équation financière 100 00:07:18,110 --> 00:07:21,110 qu’est en un sens toute concession, etc.". 101 00:07:22,730 --> 00:07:26,330 Le commissaire du gouvernement Léon Blum explique devant le Conseil 102 00:07:26,530 --> 00:07:32,290 de l’État que même si un contrat de concession est passé avec une 103 00:07:32,490 --> 00:07:37,830 compagnie privée, l’administration ne se désintéresse pas du service 104 00:07:38,030 --> 00:07:40,610 public parce qu’il s’agit justement d’un service public. 105 00:07:41,270 --> 00:07:43,950 Donc même s’il s’agit d’un service public qui a été confié à une personne 106 00:07:44,150 --> 00:07:47,850 privée, l’administration reste en mesure d’imposer de nouvelles 107 00:07:48,050 --> 00:07:50,350 charges à son cocontractant. 108 00:07:50,930 --> 00:07:53,340 L’administration est chargée de satisfaire l’intérêt général, 109 00:07:53,540 --> 00:07:58,890 intérêt général qui est évolutif, donc elle ne se décharge pas 110 00:07:59,090 --> 00:08:01,610 complètement des missions de services publics. 111 00:08:01,810 --> 00:08:06,590 En l’espèce, le Conseil d’État juge que l’administration a le 112 00:08:06,790 --> 00:08:10,150 pouvoir de prescrire les modifications et les additions nécessaires pour 113 00:08:10,350 --> 00:08:14,790 assurer, dans l’intérêt du public, la marche normale du service. 114 00:08:17,690 --> 00:08:21,610 Sur le fondement de ce principe de mutabilité qui est reconnu par 115 00:08:21,810 --> 00:08:23,890 le Conseil d’État dans les deux arrêts que je viens de citer, 116 00:08:24,250 --> 00:08:28,190 l’administration a donc un pouvoir de modification unilatérale des 117 00:08:28,390 --> 00:08:33,330 contrats de concession dans le but d’adapter les services publics 118 00:08:33,530 --> 00:08:34,750 aux besoins de la population. 119 00:08:36,010 --> 00:08:40,010 Elle a un pouvoir de modification unilatérale, mais elle a aussi 120 00:08:40,210 --> 00:08:45,750 un pouvoir de résiliation unilatérale lorsque le concessionnaire refuse 121 00:08:45,950 --> 00:08:49,130 de s’adapter à l’évolution de l’intérêt général. 122 00:08:49,330 --> 00:08:54,150 C’est exactement ce que l’on a vu dans l’arrêt Compagnie du gaz 123 00:08:54,350 --> 00:08:56,910 de Déville-lès-Rouen. 124 00:08:58,910 --> 00:09:03,810 Tout de même, cela ne se fait pas de n’importe quelle manière. 125 00:09:04,910 --> 00:09:09,810 Si l’administration a un pouvoir de modification et de résiliation 126 00:09:10,010 --> 00:09:15,650 des contrats dans le but d’assurer 127 00:09:15,850 --> 00:09:21,290 la mutabilité du service public, elle doit tout de même compenser 128 00:09:21,490 --> 00:09:26,310 les devoirs qu’elle impute à son cocontractant. 129 00:09:27,090 --> 00:09:31,730 Lorsque la modification des conditions d’exécution du service public cause 130 00:09:31,930 --> 00:09:37,090 un préjudice au concessionnaire de l’administration, ce concessionnaire 131 00:09:37,290 --> 00:09:39,430 a le droit à une indemnité. 132 00:09:40,330 --> 00:09:43,130 Il s’agit d’un rétablissement de l’équilibre du contrat, 133 00:09:43,590 --> 00:09:50,350 c’est-à-dire que si l’intérêt général évolue et implique une évolution 134 00:09:50,550 --> 00:09:56,970 des prestations de services publics, il y a des obligations nouvelles 135 00:09:57,170 --> 00:10:01,430 qui pèsent sur le cocontractant de l’administration, ce qui bouleverse 136 00:10:01,630 --> 00:10:05,930 l’équilibre initial du contrat, l’équilibre financier initial du 137 00:10:06,130 --> 00:10:06,890 contrat. 138 00:10:07,330 --> 00:10:10,250 Dans ce cas-là, lorsqu’il y a bouleversement de l’économie du 139 00:10:10,450 --> 00:10:14,690 contrat, l’administration doit compenser les obligations nouvelles 140 00:10:14,890 --> 00:10:17,090 qui pèsent sur son concessionnaire. 141 00:10:17,390 --> 00:10:19,930 C’est exactement ce qui s’est passé dans les deux affaires, 142 00:10:20,390 --> 00:10:23,810 Déville-lès-Rouen et Compagnie Générale Française des Tramway. 143 00:10:24,330 --> 00:10:29,050 Le Conseil d’État précise dans cette dernière décision que la 144 00:10:29,250 --> 00:10:31,850 compagnie pouvait demander l’indemnisation du préjudice, 145 00:10:32,050 --> 00:10:35,930 je cite, "causé par une aggravation apportée aux charges de 146 00:10:36,130 --> 00:10:36,890 l’exploitation". 147 00:10:38,610 --> 00:10:41,490 Deux questions rapides auxquelles je voudrais maintenant répondre 148 00:10:41,690 --> 00:10:45,630 après avoir posé ce principe de mutabilité. 149 00:10:46,270 --> 00:10:49,070 Premièrement, existe-t-il, c’est la même question pour la 150 00:10:49,270 --> 00:10:52,630 continuité, existe-t-il un droit à l’adaptation du service public ? 151 00:10:53,550 --> 00:10:55,830 Pour qu’il y ait un droit, encore une fois, il faut qu’il 152 00:10:56,030 --> 00:10:56,790 y ait une sanction. 153 00:10:56,990 --> 00:11:01,250 Il faut que l’on puisse demander au juge d’obliger l’administration 154 00:11:01,450 --> 00:11:05,250 à assurer l’adaptation des services publics. 155 00:11:05,450 --> 00:11:11,390 Or, si l’obligation est vague, et elle est vague, il n’y a pas 156 00:11:11,590 --> 00:11:13,330 véritablement de conséquences concrètes. 157 00:11:13,890 --> 00:11:18,290 L’administration a un pouvoir très large pour assurer l’adaptation 158 00:11:18,490 --> 00:11:21,770 des services publics à l’évolution de l’intérêt général. 159 00:11:22,390 --> 00:11:25,690 Les usagers des services publics, eux, ont très peu de marge de manœuvre 160 00:11:25,890 --> 00:11:29,830 pour obtenir la contrainte de l’administration de faire évoluer 161 00:11:30,030 --> 00:11:30,790 son service public. 162 00:11:31,210 --> 00:11:38,180 Il y a des cas très particuliers dans lesquels le juge a estimé 163 00:11:38,380 --> 00:11:42,460 que l’administration aurait dû assurer l’adaptation du service 164 00:11:42,660 --> 00:11:47,520 public à l’évolution des conditions matérielles. 165 00:11:47,780 --> 00:11:52,080 Un exemple, mais un exemple qui, tout de même, est assez seul au 166 00:11:52,280 --> 00:11:55,660 sein de la jurisprudence du Conseil d’État, un arrêt du Conseil d’État 167 00:11:55,860 --> 00:11:59,340 du 29 novembre 2002, Watrin et Kayemba. 168 00:11:59,900 --> 00:12:03,880 Dans cette affaire, il s’agissait de deux médecins qui avaient demandé 169 00:12:04,080 --> 00:12:07,220 au Conseil de l’Ordre, assurant dans ce cadre-là une mission 170 00:12:07,420 --> 00:12:10,860 de service public, deux médecins avaient demandé au Conseil de l’Ordre 171 00:12:11,060 --> 00:12:15,380 de réorganiser le service de la médecine de garde qui était assuré 172 00:12:15,580 --> 00:12:19,760 par eux deux seuls pour une population de plus en plus importante. 173 00:12:21,760 --> 00:12:27,820 Le Conseil de l’Ordre avait refusé de faire évoluer l’organisation 174 00:12:28,020 --> 00:12:31,660 de la médecine de garde et ces deux médecins avaient demandé au 175 00:12:31,860 --> 00:12:36,220 Conseil d’État d’annuler la décision du Conseil de l’Ordre. 176 00:12:36,500 --> 00:12:42,980 Le Conseil d’État, saisi en cassation, juge que le Conseil de l’Ordre 177 00:12:43,180 --> 00:12:47,600 a commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de 178 00:12:47,800 --> 00:12:53,880 réorganiser le service pour assurer, je cite, le principe de permanence 179 00:12:54,080 --> 00:12:54,840 des soins. 180 00:12:55,040 --> 00:12:58,370 Je voudrais faire deux remarques rapides sur cet arrêt. 181 00:12:58,570 --> 00:13:02,240 Premièrement, il s’agissait d’un service public absolument essentiel, 182 00:13:02,440 --> 00:13:03,360 celui de la santé. 183 00:13:04,640 --> 00:13:09,080 Donc dans ce cadre-là, on peut plus facilement admettre 184 00:13:09,280 --> 00:13:14,640 que le juge oblige l’administration à adapter les services parce qu’il 185 00:13:14,840 --> 00:13:17,700 y a une question de santé publique, qui est une question absolument 186 00:13:18,420 --> 00:13:19,740 fondamentale en cause. 187 00:13:20,760 --> 00:13:26,650 Et deuxième remarque que je voudrais faire, le juge sanctionne l’acte 188 00:13:26,850 --> 00:13:30,680 du Conseil de l’Ordre des Médecins sur le fondement d’une erreur manifeste 189 00:13:30,880 --> 00:13:37,640 d’appréciation, c’est-à-dire ici une erreur grave du Conseil de 190 00:13:37,840 --> 00:13:39,520 l’Ordre dans son appréciation de la situation. 191 00:13:40,380 --> 00:13:44,360 L’administration s’est lourdement trompée en ne voulant pas réorganiser 192 00:13:44,560 --> 00:13:46,120 le service public de la médecine de garde. 193 00:13:46,720 --> 00:13:50,140 Donc ici, deux remarques qui permettent tout de même de nuancer la portée 194 00:13:50,340 --> 00:13:53,980 de cette décision, qui est très spécifique et qui ne constitue 195 00:13:54,180 --> 00:13:59,100 pas du tout une obligation pour l’administration d’assurer l’adaptation 196 00:13:59,300 --> 00:14:02,240 constante des services qu’elle offre à la population. 197 00:14:04,820 --> 00:14:05,580 C’était la première question. 198 00:14:05,780 --> 00:14:09,660 Deuxième question : le principe de mutabilité permet-il à 199 00:14:09,860 --> 00:14:13,760 l’administration d’aller jusqu’à supprimer un service public existant ? 200 00:14:13,960 --> 00:14:19,020 Autrement dit, si l’intérêt général a évolué de telle sorte qu’un service 201 00:14:19,220 --> 00:14:23,980 public n’est plus particulièrement indispensable, voire qu’il est 202 00:14:24,180 --> 00:14:27,940 carrément superflu, l’administration peut-elle supprimer ce service public ? 203 00:14:28,920 --> 00:14:31,740 La réponse, vous la devinez, est plutôt positive. 204 00:14:32,020 --> 00:14:36,260 L’administration a la faculté, au nom du principe de mutabilité, 205 00:14:36,460 --> 00:14:38,480 de supprimer des services publics existants. 206 00:14:38,920 --> 00:14:42,800 Et d’ailleurs, je dirais même qu’il y a plus un droit pour l’administration 207 00:14:43,000 --> 00:14:47,740 de supprimer des services publics existants que de faire muter les 208 00:14:47,940 --> 00:14:49,780 services publics dont elle a déjà la charge. 209 00:14:50,900 --> 00:14:54,840 Le principe de mutabilité lui permet davantage de supprimer des services 210 00:14:55,040 --> 00:14:55,960 publics existants. 211 00:14:56,560 --> 00:15:01,680 Ce pouvoir de suppression des services publics existants découle d’un 212 00:15:01,880 --> 00:15:07,920 arrêt important du Conseil d’État 27 janvier 1961 sieur Vannier. 213 00:15:08,160 --> 00:15:09,560 Que s’était-il passé en l’espèce ? 214 00:15:10,280 --> 00:15:15,420 En janvier 56, un incendie affecte la Tour Eiffel, en particulier 215 00:15:15,620 --> 00:15:21,160 des émetteurs de télévision d’un type, d’un type plutôt obsolète, 216 00:15:21,720 --> 00:15:25,500 que l’on appelait peu importe le 441 lignes. 217 00:15:25,700 --> 00:15:29,920 La plupart des téléspectateurs étaient déjà équipés de téléviseurs 218 00:15:30,120 --> 00:15:35,580 qui recevaient des ondes émises 219 00:15:35,780 --> 00:15:40,380 par des antennes plus modernes, que l’on appelait le 819 lignes. 220 00:15:40,580 --> 00:15:44,240 Bref, les antennes anciennes commençaient à disparaître puisque 221 00:15:44,440 --> 00:15:49,280 de toute manière, les usagers du service public étaient équipés 222 00:15:49,480 --> 00:15:51,180 de téléviseurs plus modernes. 223 00:15:51,600 --> 00:15:59,320 Le gouvernement fait la balance entre les frais de réparation des 224 00:15:59,520 --> 00:16:05,220 émetteurs 441 lignes et l’utilisation déclinante de cette technologie. 225 00:16:05,820 --> 00:16:09,500 En l’espèce, après l’incendie de ces émetteurs sur la Tour Eiffel, 226 00:16:10,260 --> 00:16:15,760 le gouvernement décide de ne pas 227 00:16:15,960 --> 00:16:23,100 réparer les émetteurs et de carrément abandonner cette technologie. 228 00:16:23,880 --> 00:16:28,520 Le sieur Vannier était propriétaire d’un téléviseur ne recevant que 229 00:16:28,720 --> 00:16:33,760 les anciennes ondes et conteste 230 00:16:33,960 --> 00:16:34,720 cette décision. 231 00:16:35,260 --> 00:16:38,160 Le sieur Vannier, il faut noter qu’il était particulièrement attaché 232 00:16:38,360 --> 00:16:42,520 à son poste de télévision puisque le gouvernement avait proposé que 233 00:16:42,720 --> 00:16:48,800 tous les usagers qui ne recevaient que les anciennes ondes bénéficient 234 00:16:49,000 --> 00:16:52,300 d’une indemnisation pour pouvoir changer de téléviseur. 235 00:16:52,680 --> 00:16:55,160 Le sieur Vannier ne voulait pas changer de téléviseur, 236 00:16:55,760 --> 00:16:58,780 donc il conteste cette décision devant le Conseil d’État. 237 00:16:59,420 --> 00:17:02,900 Et le Conseil d’État se prononce de la manière suivante : 238 00:17:03,260 --> 00:17:07,140 "Les usagers d’un service public administratif n’ont aucun droit 239 00:17:07,340 --> 00:17:10,880 au maintien de ce service", donc le sieur Vannier allait devoir 240 00:17:11,080 --> 00:17:13,000 changer de téléviseur. 241 00:17:14,890 --> 00:17:18,590 Le principe est que l’administration peut supprimer un service public 242 00:17:18,790 --> 00:17:22,210 existant, mais l’administration peut-elle supprimer tout service 243 00:17:22,410 --> 00:17:23,170 public ? 244 00:17:23,670 --> 00:17:24,770 La réponse est non. 245 00:17:25,250 --> 00:17:29,330 D’abord, si un service public a été créé par le constituant, 246 00:17:29,530 --> 00:17:33,910 est prévu par la Constitution, alors ni le législateur, 247 00:17:34,110 --> 00:17:37,210 ni l’administration, ne peuvent le supprimer. 248 00:17:37,410 --> 00:17:38,450 C’est évident. 249 00:17:38,850 --> 00:17:42,990 Deuxièmement, si un service public est créé par le législateur, 250 00:17:43,890 --> 00:17:45,410 seul le législateur peut le supprimer. 251 00:17:46,070 --> 00:17:52,630 C’est une obligation qui est faite aux administrations d’assurer cette 252 00:17:52,830 --> 00:17:59,390 mission de service public qui a été prévue comme obligatoire par 253 00:17:59,590 --> 00:18:00,350 le législateur. 254 00:18:01,570 --> 00:18:05,050 Troisièmement, l’administration est totalement libre s’agissant 255 00:18:05,250 --> 00:18:07,710 des services publics qui sont facultatifs, c’est-à-dire ceux 256 00:18:07,910 --> 00:18:15,610 qui ne sont pas prévus par la loi ou dont la création est possible 257 00:18:15,810 --> 00:18:17,750 en vertu de la loi, mais n’est pas obligatoire. 258 00:18:17,990 --> 00:18:20,430 Tous les services publics qui sont facultatifs, en revanche, 259 00:18:20,990 --> 00:18:24,450 sont librement pris en charge par l’administration qui peut donc 260 00:18:24,650 --> 00:18:26,630 librement revenir sur ces services publics. 261 00:18:27,510 --> 00:18:32,510 Cette solution est nettement prévue au sein d’un arrêt du Conseil d’État, 262 00:18:32,810 --> 00:18:36,910 18 mars 1977, Chambre de commerce et de l’industrie de La Rochelle, 263 00:18:37,250 --> 00:18:40,510 je cite : "Les usagers d’un service public qui n’est pas obligatoire 264 00:18:40,710 --> 00:18:44,690 n’ont aucun droit au maintien de ce service", c’est la reprise de 265 00:18:44,890 --> 00:18:48,010 la formule de l’arrêt Vannier, "n’ont aucun droit au maintien 266 00:18:48,210 --> 00:18:51,030 de ce service public au fonctionnement duquel l’administration peut mettre 267 00:18:51,230 --> 00:18:54,270 fin lorsqu’elle l’estime nécessaire", donc c’est à l’administration 268 00:18:54,470 --> 00:18:59,050 d’apprécier la suppression, la nécessité de supprimer un service 269 00:18:59,250 --> 00:19:00,010 public. 270 00:19:01,430 --> 00:19:08,350 L’administration, tout de même, il y a plutôt une limite à ce pouvoir 271 00:19:08,550 --> 00:19:09,570 d’appréciation de l’administration. 272 00:19:10,270 --> 00:19:13,350 L’administration ne prend ses décisions que sur le fondement de l’intérêt 273 00:19:13,550 --> 00:19:14,310 général. 274 00:19:14,510 --> 00:19:18,410 Il faut qu’il n’y ait plus d’intérêt général à assurer une mission de 275 00:19:18,610 --> 00:19:21,330 service public pour que l’administration puisse revenir 276 00:19:21,530 --> 00:19:23,350 sur cette mission de service public. 277 00:19:23,890 --> 00:19:27,230 Mais s’il y a toujours un intérêt général qui justifie l’exécution 278 00:19:27,430 --> 00:19:29,710 d’une mission de service public, l’administration ne peut pas supprimer 279 00:19:29,910 --> 00:19:30,670 ce service public. 280 00:19:31,750 --> 00:19:35,790 Les usagers d’un service public peuvent éventuellement contester 281 00:19:35,990 --> 00:19:37,210 la suppression d’un service public. 282 00:19:37,970 --> 00:19:41,410 Je mentionnerai rapidement ici une affaire très célèbre sur laquelle 283 00:19:41,610 --> 00:19:44,470 je vais revenir, Syndicat des propriétaires du quartier 284 00:19:44,670 --> 00:19:49,990 Croix-de-Seguey-Tivoli, décision qui a été rendue le 21 décembre 1906. 285 00:19:50,790 --> 00:19:54,070 Cette affaire est célèbre parce qu’à l’origine du recours, 286 00:19:54,270 --> 00:19:58,530 se trouvait Léon Duguit dont je vous ai déjà parlé, Léon Duguit 287 00:19:58,730 --> 00:20:02,970 qui contestait, avec ce syndicat des propriétaires, la modification 288 00:20:03,170 --> 00:20:10,950 du tracé d’une ligne de tramway qui ne passait plus par le quartier 289 00:20:11,150 --> 00:20:14,310 dans lequel Léon Duguit vivait. 290 00:20:15,050 --> 00:20:18,030 Cette décision est importante pour une autre histoire, je vous en 291 00:20:18,230 --> 00:20:18,990 parlerai plus tard. 292 00:20:20,190 --> 00:20:23,790 Le Conseil d’État peut être saisi et est saisi depuis très longtemps 293 00:20:23,990 --> 00:20:28,830 par des usagers du service public de contestation de la suppression 294 00:20:29,030 --> 00:20:31,030 de services publics. 295 00:20:31,230 --> 00:20:33,870 Ces suppressions de services publics concernent surtout, je le dis au 296 00:20:34,070 --> 00:20:37,990 passage, des services publics locaux. 297 00:20:38,430 --> 00:20:41,930 Ce n’est pas tout le service public qui est supprimé, mais simplement 298 00:20:42,130 --> 00:20:45,450 une desserte locale, par exemple une gare, 299 00:20:46,210 --> 00:20:53,250 la suppression d’une école dans une commune, la suppression d’un 300 00:20:53,450 --> 00:20:54,350 hôpital, etc. 301 00:20:55,190 --> 00:20:58,490 Lorsque le Conseil d’État est saisi de ce type, lorsque le juge 302 00:20:58,690 --> 00:21:02,570 administratif est saisi de ce type de contestation, comment juge-t-il ? 303 00:21:03,570 --> 00:21:09,050 Il juge généralement que l’administration doit avoir commis 304 00:21:09,250 --> 00:21:12,750 une erreur manifeste d’appréciation, encore une, une erreur manifeste 305 00:21:12,950 --> 00:21:18,630 d’appréciation pour que ses décisions soient illégales. 306 00:21:21,180 --> 00:21:24,980 Je vais vous citer deux exemples rapides qui concernent tous les 307 00:21:25,180 --> 00:21:26,460 deux le réseau ferré. 308 00:21:26,700 --> 00:21:30,580 D’abord une décision Réseau ferré de France du 2 mars 2010, 309 00:21:30,780 --> 00:21:32,100 ce ne sont que des exemples. 310 00:21:32,300 --> 00:21:35,500 En l’espèce, des usagers contestaient la fermeture d’une ligne ferroviaire. 311 00:21:35,700 --> 00:21:38,720 Le Conseil d’État vérifie que l’administration n’a pas commis 312 00:21:38,920 --> 00:21:42,460 une erreur grave d’appréciation dans la suppression de cette ligne. 313 00:21:42,940 --> 00:21:46,540 En l’espèce, le Conseil d’État considère que l’administration 314 00:21:46,740 --> 00:21:52,260 n’avait pas commis d’erreur manifeste dans son appréciation de la nécessité 315 00:21:52,460 --> 00:21:53,760 de maintenir cette ligne ferroviaire. 316 00:21:54,540 --> 00:21:58,320 Deuxième exemple, Association des élus pour la défense du Cévenol 317 00:21:58,520 --> 00:22:02,640 que vous pouvez également aller consulter, 19 juin 2005, 318 00:22:02,880 --> 00:22:06,560 sur la suppression de la desserte de Marseille par un train qui relit 319 00:22:06,760 --> 00:22:11,380 Paris/Clermont-Ferrand/Nîmes, suppression de la desserte de 320 00:22:11,580 --> 00:22:12,340 Marseille. 321 00:22:12,540 --> 00:22:13,860 Des élus contestent cette décision. 322 00:22:14,060 --> 00:22:16,600 En l’espèce encore une fois, il s’agissait ici de la SNCF, 323 00:22:16,800 --> 00:22:20,980 la SNCF n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. 324 00:22:21,820 --> 00:22:25,420 Vous l’imaginez bien, le juge sanctionne rarement 325 00:22:25,620 --> 00:22:29,000 l’administration pour des erreurs manifestes d’appréciation qu’elle 326 00:22:29,200 --> 00:22:36,680 aurait commises à l’occasion de la suppression d’une mission de 327 00:22:36,880 --> 00:22:41,260 service public, la raison étant que le juge évite de se substituer 328 00:22:41,460 --> 00:22:42,360 à l’administration. 329 00:22:42,560 --> 00:22:48,260 L’administration étant celle qui décide, sur la base de décisions 330 00:22:48,460 --> 00:22:53,460 qui sont politiques, de supprimer des missions de services 331 00:22:53,660 --> 00:22:56,320 publics, le juge n’étant lui-même pas compétent.