1 00:00:06,840 --> 00:00:12,177 Le deuxième grand principe qu'on retrouve dans les effets du contrat entre les parties, 2 00:00:12,791 --> 00:00:16,400 c'est le principe de l'exécution des contrats de bonne foi. 3 00:00:17,430 --> 00:00:23,528 Là encore, avant la réforme, c'était un principe qui figurait à l'article 1134 du Code civil, 4 00:00:23,555 --> 00:00:25,230 mais dans l'alinéa 3. 5 00:00:26,008 --> 00:00:29,940 Aujourd'hui, l'idée de bonne foi n'est pas reprise directement 6 00:00:30,604 --> 00:00:33,690 lorsqu'il s'agit d'examiner les effets du contrat entre les parties. 7 00:00:34,530 --> 00:00:39,662 C'est une règle, en revanche, qui est reprise à l'article 1104 du Code civil ; 8 00:00:40,040 --> 00:00:44,800 là aussi, comme la force obligatoire dans les dispositions liminaires. 9 00:00:45,560 --> 00:00:48,586 Et on avait vu que cette exigence de bonne foi est une exigence 10 00:00:48,604 --> 00:00:51,271 que l'on va retrouver à tous les temps contractuelle. 11 00:00:52,530 --> 00:00:54,675 En plus de l'exigence de bonne foi et en lien, 12 00:00:54,755 --> 00:00:59,910 parce qu'il y a toujours eu un lien entre la bonne foi et l'idée d'équité, 13 00:01:00,657 --> 00:01:08,062 on a lancé un article 1135 qui a été repris tel quel à l'article 1194, 14 00:01:08,595 --> 00:01:13,410 qui dispose que les contrats obligent non seulement à ce qui est exprimé, 15 00:01:14,100 --> 00:01:18,168 mais encore à toutes les suites que leur donne l'équité, l'usage ou la loi. 16 00:01:19,530 --> 00:01:22,740 La bonne foi, c'est une notion qui n'est pas définie. 17 00:01:23,080 --> 00:01:29,031 Et la première difficulté sur la bonne foi, c'est évidemment la question de sa définition. 18 00:01:30,090 --> 00:01:35,610 En droit des biens, la notion de bonne foi correspond à une croyance. 19 00:01:36,471 --> 00:01:41,466 Le possesseur croit qu'il tient son droit du véritable propriétaire, il va être de bonne foi. 20 00:01:42,746 --> 00:01:47,982 En droit des contrats, la notion de bonne foi ne renvoie pas du tout à une croyance, 21 00:01:48,008 --> 00:01:50,408 elle renvoie à un comportement : 22 00:01:50,728 --> 00:01:53,790 on est de bonne foi ou on n'est pas de bonne foi. 23 00:01:55,650 --> 00:01:58,106 Entre auteurs, 24 00:01:58,453 --> 00:02:03,750 il y a une vraie divergence sur l'acception qu'on doit avoir de ce terme de "bonne foi". 25 00:02:04,820 --> 00:02:08,764 Il y a une conception stricte, on l'avait vue : la bonne foi, c'est l'absence de mauvaise foi. 26 00:02:09,430 --> 00:02:12,880 Il y a une conception très large regroupée derrière les théories 27 00:02:12,915 --> 00:02:15,210 qu'on appelle les théories solidaristes. 28 00:02:15,760 --> 00:02:17,525 J'avais déjà, en introduction, 29 00:02:17,550 --> 00:02:22,925 présenté l'éventail un peu de ces conceptions de la bonne foi. 30 00:02:23,460 --> 00:02:28,560 Ce qu'on va voir ici, ce sont les applications jurisprudentielles de la notion. 31 00:02:29,910 --> 00:02:35,297 Il faut simplement rappeler en préambule que, comme le souligne un auteur, 32 00:02:36,026 --> 00:02:41,528 la bonne foi, comme la plupart des règles générales de comportement des parties, 33 00:02:42,213 --> 00:02:43,653 la loyauté et la probité, 34 00:02:44,400 --> 00:02:48,791 n'est pas à proprement parler une obligation au sens d'une prestation 35 00:02:49,590 --> 00:02:55,013 que l'une des parties devrait à l'autre et qui s'épuiserait dans son accomplissement même. 36 00:02:56,364 --> 00:03:01,230 Il s'agit plutôt d'une exigence générale entre les parties, 37 00:03:02,168 --> 00:03:04,328 qui imprègnent toutes leurs relations, 38 00:03:05,057 --> 00:03:08,453 et notamment la façon d'exécuter leurs obligations. 39 00:03:09,795 --> 00:03:14,460 Elle est aussi un guide pour l'interprétation du contrat. 40 00:03:15,750 --> 00:03:19,280 Cependant, dès lors que le manquement à la bonne foi 41 00:03:19,804 --> 00:03:23,066 pourrait vider l'une des prestations de toute utilité, 42 00:03:23,911 --> 00:03:28,444 il permet d'obtenir la résolution du contrat pour inexécution. 43 00:03:29,662 --> 00:03:32,453 Ce que souligne cet auteur, qui est madame Fabre-Magnan, 44 00:03:32,613 --> 00:03:36,168 c'est donc la spécificité de l'exigence de bonne foi. 45 00:03:36,190 --> 00:03:38,293 On parle d'obligation de bonne foi, 46 00:03:38,675 --> 00:03:42,408 mais ce n'est pas une obligation qui s'éteint par un accomplissement : 47 00:03:42,850 --> 00:03:48,417 c'est un devoir général de comportement qui va imprégner tout le contrat. 48 00:03:48,690 --> 00:03:53,340 Néanmoins, comme d'autres obligations qui, elles, ont un accomplissement, 49 00:03:53,560 --> 00:03:59,306 on pourrait dire, matériel, le non-respect de l'obligation de bonne foi 50 00:03:59,555 --> 00:04:05,591 peut conduire à des sanctions que l'on retrouvera à la fin des présentations. 51 00:04:06,924 --> 00:04:11,191 On va voir l'application jurisprudentielle de la notion de bonne foi. 52 00:04:11,220 --> 00:04:12,000 Ce qu'on va constater, 53 00:04:12,020 --> 00:04:16,350 c'est qu'il y a une application à travers la notion générale de loyauté 54 00:04:16,425 --> 00:04:19,150 où il s'agit ici, simplement et essentiellement, 55 00:04:19,200 --> 00:04:22,625 de sanctionner un comportement qui serait déloyal. 56 00:04:23,460 --> 00:04:28,764 Mais parfois, la jurisprudence va bien au-delà et va exiger un comportement positif, 57 00:04:29,528 --> 00:04:33,582 à travers ce qu'on peut appeler un devoir de coopération entre les parties. 58 00:04:35,770 --> 00:04:39,093 Au titre d'une exigence générale de loyauté, 59 00:04:39,120 --> 00:04:43,066 on peut dire que le débiteur a une obligation au nom de la bonne foi, 60 00:04:44,133 --> 00:04:47,470 qui est l'obligation d'exécuter fidèlement son engagement. 61 00:04:48,520 --> 00:04:54,177 Il doit retenir notamment la solution qui va apparaître la moins onéreuse pour le créancier. 62 00:04:55,430 --> 00:04:59,870 De son côté, le créancier doit s'abstenir au nom de la bonne foi 63 00:05:02,222 --> 00:05:05,075 d'adopter des manœuvres, d'adopter un comportement 64 00:05:05,840 --> 00:05:12,770 qui rendrait l'exécution du contrat par le débiteur impossible, ou même plus difficile. 65 00:05:13,893 --> 00:05:18,364 L'exigence de bonne foi, elle concerne à la fois le créancier et à la fois le débiteur, 66 00:05:18,773 --> 00:05:21,230 dans un devoir général de loyauté. 67 00:05:22,106 --> 00:05:27,457 Ainsi, il ne peut pas y avoir d'invocation d'une clause de manière abusive. 68 00:05:28,410 --> 00:05:30,480 La déloyauté serait ici sanctionnée. 69 00:05:30,910 --> 00:05:33,582 Et on trouve de nombreux exemples en jurisprudence 70 00:05:34,008 --> 00:05:37,706 sur l'invocation d'une clause résolutoire à contretemps. 71 00:05:38,460 --> 00:05:41,820 Dans ce cas-là, le créancier pourrait être sanctionné. 72 00:05:42,990 --> 00:05:49,537 On va établir également en jurisprudence un lien entre la bonne foi et la tolérance, 73 00:05:50,293 --> 00:05:52,590 la cohérence également du comportement. 74 00:05:53,220 --> 00:05:58,017 Si une partie a eu un comportement répété pendant un certain nombre d'années 75 00:05:58,044 --> 00:06:00,900 d'une certaine bienveillance à l'encontre du débiteur, 76 00:06:01,500 --> 00:06:03,884 elle ne peut pas soudain changer de comportement 77 00:06:04,133 --> 00:06:08,610 et du jour au lendemain exiger le respect à la lettre du contrat. 78 00:06:09,617 --> 00:06:14,897 La tolérance va en quelque sorte créer un droit au bénéfice du débiteur. 79 00:06:15,600 --> 00:06:19,440 De même, le principe de cohérence impose que l'on n'ait pas, 80 00:06:19,730 --> 00:06:20,782 comme l'avait dit un auteur, 81 00:06:20,817 --> 00:06:26,124 un comportement de girouette en ayant un comportement bienveillant dans le contrat, 82 00:06:26,142 --> 00:06:29,946 et du jour au lendemain, en changeant totalement de comportement. 83 00:06:30,248 --> 00:06:36,560 On ne peut pas, c'est l'idée, déjouer les attentes légitimes du cocontractant. 84 00:06:37,546 --> 00:06:43,484 Ce principe de cohérence, c'est un principe qui vient de la procédure civile, 85 00:06:43,840 --> 00:06:45,813 et c'est un principe qui vient du droit anglais. 86 00:06:45,870 --> 00:06:47,760 C'est ce qu'on appelle l'estoppel : 87 00:06:48,097 --> 00:06:52,590 c'est l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui. 88 00:06:52,860 --> 00:06:57,510 La Cour de cassation l'a consacré dans un arrêt de la chambre commerciale 89 00:06:57,960 --> 00:07:00,330 du 20 septembre 2011. 90 00:07:00,853 --> 00:07:05,400 Et il semble ici avoir un lien direct avec l'exigence de bonne foi. 91 00:07:06,930 --> 00:07:11,970 Ce principe, suivant lequel on doit respecter une certaine loyauté, 92 00:07:12,000 --> 00:07:14,580 on ne peut pas nuire à l'autre partie. 93 00:07:15,570 --> 00:07:17,650 Ce principe est ici purement négatif, 94 00:07:17,775 --> 00:07:19,925 c'est-à-dire qu'il interdit certains comportements. 95 00:07:20,640 --> 00:07:24,270 Mais on peut aller au-delà dans l'exigence de bonne foi, 96 00:07:24,968 --> 00:07:29,970 et on va alors exiger une véritable coopération entre les parties. 97 00:07:30,510 --> 00:07:35,404 On a des exemples de ce devoir de coopération dans les contrats informatiques 98 00:07:36,213 --> 00:07:38,760 entre la société prestataire et le client. 99 00:07:39,300 --> 00:07:44,340 La société prestataire doit notamment s'informer des réels besoins du client, 100 00:07:44,586 --> 00:07:47,850 collaborer avec lui pour obtenir la meilleure solution. 101 00:07:48,780 --> 00:07:51,182 On retrouve également cette idée de coopération 102 00:07:51,706 --> 00:07:53,940 dans les rapports entre l'éditeur et l'auteur. 103 00:07:54,426 --> 00:07:58,506 On peut tirer cette exigence de coopération des textes même 104 00:07:58,800 --> 00:08:00,711 du code de la propriété intellectuelle, 105 00:08:01,342 --> 00:08:04,773 qui impose à l'éditeur une exploitation permanente et suivie, 106 00:08:05,120 --> 00:08:08,160 et à l'auteur de mettre tous les moyens en œuvre 107 00:08:08,515 --> 00:08:12,160 pour permettre à l'éditeur de réaliser cette exploitation. 108 00:08:13,137 --> 00:08:17,617 De même, dans la jurisprudence, on va retrouver ce devoir de coopération, 109 00:08:18,000 --> 00:08:20,220 notamment dans tous les contrats de distribution : 110 00:08:20,897 --> 00:08:22,497 concessions, franchises. 111 00:08:23,395 --> 00:08:28,110 Tous les contrats dans lesquels des rapports commerciaux se nouent, 112 00:08:28,590 --> 00:08:33,537 on va exiger qu'il y ait parfois une coopération véritable entre les parties. 113 00:08:33,582 --> 00:08:39,875 Il s'agit ici de faciliter l'exécution du contrat à son partenaire. 114 00:08:41,130 --> 00:08:45,688 La jurisprudence, et on reviendra sur cette idée dans la question de l'imprévision, 115 00:08:46,186 --> 00:08:51,804 la jurisprudence a pu poser parfois un devoir de renégocier le contrat 116 00:08:52,408 --> 00:08:58,480 lorsque le contenu de celui-ci devenait trop déséquilibré au détriment de l'une des parties, 117 00:08:59,306 --> 00:09:02,222 à la suite de l'évolution des circonstances économiques. 118 00:09:03,180 --> 00:09:07,230 Et au nom de la bonne foi, la partie forte était obligée, 119 00:09:07,590 --> 00:09:11,610 d'après le juge, de renégocier les conditions du contrat, 120 00:09:11,742 --> 00:09:16,853 pour permettre par exemple aux membres d'un réseau de distribution 121 00:09:16,880 --> 00:09:22,453 de rester concurrentiels face aux nouveaux membres agréés par le titulaire du réseau. 122 00:09:23,280 --> 00:09:25,653 Ici, dans ces exemples de coopération, 123 00:09:25,671 --> 00:09:29,991 le juge ne va pas se limiter à sanctionner des comportements déloyaux, 124 00:09:30,666 --> 00:09:36,840 il va imposer, au nom de la coopération des parties, des obligations positives. 125 00:09:38,860 --> 00:09:44,500 En réalité, est-ce qu'on doit rester dans la sanction uniquement de l'intention de nuire, 126 00:09:44,550 --> 00:09:45,290 de la déloyauté ? 127 00:09:45,324 --> 00:09:47,840 Ou est-ce qu'on doit aller jusqu'à la coopération ? 128 00:09:48,435 --> 00:09:49,640 Les auteurs ne sont pas d'accord. 129 00:09:50,270 --> 00:09:52,670 Certains sont partisans de la force obligatoire du contrat : 130 00:09:53,031 --> 00:09:56,906 le contrat doit recevoir application dans toutes ses clauses, 131 00:09:56,951 --> 00:10:00,302 même s'il est dur à exécuter pour l'une des parties, 132 00:10:00,880 --> 00:10:05,546 alors que d'autres vont estimer que la bonne foi doit jouer comme un nécessaire tempérament, 133 00:10:05,582 --> 00:10:09,470 une limitation à la difficulté d'exécuter le contrat. 134 00:10:10,480 --> 00:10:13,688 Et les deux points de vue, tenant de la force obligatoire, 135 00:10:13,733 --> 00:10:18,942 tenant d'un certain solidarisme contractuel, semblent parfois irréconciliables. 136 00:10:20,030 --> 00:10:23,155 Une tentative de rapprochement a été opérée par certains auteurs 137 00:10:23,182 --> 00:10:24,740 de manière récente en doctrine. 138 00:10:25,653 --> 00:10:29,450 Il s'agit en réalité d'opposer deux types de contrats : 139 00:10:30,213 --> 00:10:33,457 les contrats échange, comme la vente par exemple, 140 00:10:33,484 --> 00:10:39,422 qui a servi de modèle à la théorie générale classique du droit des contrats. 141 00:10:39,920 --> 00:10:41,644 La vente est un contrat échange, 142 00:10:41,671 --> 00:10:45,750 dans lequel les intérêts des parties sont évidemment des intérêts opposés. 143 00:10:46,430 --> 00:10:51,217 Le vendeur souhaite vendre au prix le plus élevé, l'acheteur au prix le plus bas. 144 00:10:52,133 --> 00:10:54,440 Il est vain à ce moment-là, dans ce genre de contrat, 145 00:10:55,040 --> 00:10:57,470 d'exiger un quelconque devoir de coopération. 146 00:10:58,190 --> 00:11:00,800 Les parties n'ont pas un intérêt en commun. 147 00:11:01,706 --> 00:11:05,466 Alors que dans d'autres contrats, précisément les contrats d'intérêt commun, 148 00:11:06,190 --> 00:11:10,800 qu'on peut appeler aussi des contrats d'organisation, des contrats alliance, 149 00:11:10,826 --> 00:11:13,010 ou encore des contrats coopération : 150 00:11:13,960 --> 00:11:17,697 là, les intérêts des parties vont être convergents, 151 00:11:18,542 --> 00:11:23,164 comprennent notamment l'exemple des contrats qui fondent une personne morale, 152 00:11:23,200 --> 00:11:24,470 comme le contrat de société. 153 00:11:24,791 --> 00:11:29,128 Dans le contrat de société, les intérêts des associés vont être les mêmes. 154 00:11:29,870 --> 00:11:35,244 Dans ce type de contrat, on va pouvoir aller beaucoup plus loin dans l'exigence de bonne foi 155 00:11:35,333 --> 00:11:39,102 et exiger une véritable coopération entre les parties. 156 00:11:40,280 --> 00:11:40,933 Néanmoins, 157 00:11:42,204 --> 00:11:46,977 dans les contrats et dans la vision actuelle de la Cour de cassation sur la notion de bonne foi, 158 00:11:46,995 --> 00:11:48,410 il ne faut pas aller trop loin. 159 00:11:48,880 --> 00:11:53,137 Et on a un arrêt très important qui a posé une limite à cette exigence de bonne foi, 160 00:11:53,760 --> 00:11:55,925 qui est un arrêt rendu par la chambre commerciale 161 00:11:55,950 --> 00:11:58,425 de la Cour de cassation le 10 juillet 2007. 162 00:11:59,210 --> 00:12:03,928 Dans cet arrêt, la Cour estime que le juge ne peut pas porter atteinte 163 00:12:04,017 --> 00:12:08,450 à la substance des droits et obligations au nom de la bonne foi. 164 00:12:09,440 --> 00:12:11,093 Il n'y a donc pas, d'après cette décision, 165 00:12:11,111 --> 00:12:16,435 il ne peut pas y avoir d'atteinte aux obligations essentielles par la notion de bonne foi. 166 00:12:16,790 --> 00:12:22,711 Évidemment, cette décision peut poser des difficultés pour apprécier dans un contrat 167 00:12:22,728 --> 00:12:26,330 ce qui va vraiment constituer les obligations essentielles. 168 00:12:27,560 --> 00:12:31,650 Il y a des tentatives doctrinales pour apprécier cette solution, 169 00:12:31,725 --> 00:12:33,300 pour en apprécier la portée 170 00:12:34,008 --> 00:12:38,586 et d'après ses auteurs, on devrait distinguer deux types de prérogatives. 171 00:12:39,500 --> 00:12:42,400 Les prérogatives contractuelles tout d'abord, 172 00:12:43,377 --> 00:12:48,980 qui sont des pouvoirs d'essence unilatérale accordés à une des parties. 173 00:12:50,290 --> 00:12:54,100 Et on peut donner des exemples : clause de dédit, clause de repentir, 174 00:12:54,790 --> 00:13:00,328 fixation unilatérale du prix, clause résolutoire ou de résiliation unilatérale. 175 00:13:00,862 --> 00:13:07,617 Ici, l'usage de ces prérogatives contractuelles peut et doit être contrôlé par le juge. 176 00:13:08,290 --> 00:13:11,020 Elles seront sanctionnées s'il y a une déloyauté. 177 00:13:11,973 --> 00:13:16,417 Et puis à côté de ces prérogatives contractuelles, on a la substance du contrat, 178 00:13:16,577 --> 00:13:19,660 le cœur du contrat, et ça, on ne peut pas y toucher. 179 00:13:20,800 --> 00:13:27,324 Il s'agit ici du fait que le créancier, même de mauvaise foi, reste créancier 180 00:13:27,780 --> 00:13:30,850 et le juge, en conséquence, ne peut pas, 181 00:13:30,950 --> 00:13:34,780 au seul motif que la créance a été mise en œuvre de mauvaise foi, 182 00:13:35,502 --> 00:13:42,417 porter atteinte à l'existence même de celle-ci, en dispensant le débiteur de toute obligation. 183 00:13:44,570 --> 00:13:49,217 Problème donc d'identification de ce cœur du contrat, de cette substance du contrat. 184 00:13:49,582 --> 00:13:53,440 Mais à la différence des prérogatives unilatérales qui sont contrôlées, 185 00:13:53,830 --> 00:13:57,325 les obligations essentielles ne sont pas finalement atteintes 186 00:13:57,375 --> 00:13:58,600 par l'exigence de bonne foi 187 00:13:58,648 --> 00:14:02,640 et l'idée, c'est que le créancier, même de mauvaise foi, doit rester créancier 188 00:14:02,986 --> 00:14:08,960 et en cela, la bonne foi également d'un débiteur ne constitue pas une excuse 189 00:14:09,706 --> 00:14:12,622 qui lui permettrait d'échapper à ses obligations 190 00:14:12,995 --> 00:14:16,360 et aux sanctions qu'entraîne leur inexécution. 191 00:14:18,660 --> 00:14:22,150 On a dans la jurisprudence d'autres limites qui ont été apportées, 192 00:14:22,240 --> 00:14:25,150 d'autres précisions données par des arrêts 193 00:14:25,200 --> 00:14:28,125 sur les limitations de cette obligation de bonne foi. 194 00:14:28,213 --> 00:14:32,800 Au nom de la bonne foi, on ne peut pas, il ne faut pas aller trop loin. 195 00:14:33,280 --> 00:14:37,870 Ainsi, dans un arrêt de la chambre commerciale du 19 mars 2013, 196 00:14:38,590 --> 00:14:43,960 la Cour précise que la bonne foi n'impose pas à un associé de s'abstenir 197 00:14:44,410 --> 00:14:48,340 d'exercer une activité concurrente de celle de sa société. 198 00:14:49,430 --> 00:14:51,991 Dans un arrêt de la chambre commerciale du 6 mai 2002, 199 00:14:52,453 --> 00:14:55,795 limite alors qu'on est dans un contrat d'intérêt commun, 200 00:14:56,480 --> 00:15:01,120 il n'y a pas d'obligation d'assistance entre un concédant et un concessionnaire. 201 00:15:01,555 --> 00:15:06,240 Le concédant ne doit pas aider à l'assistance du concessionnaire. 202 00:15:06,284 --> 00:15:09,760 Il n'y a pas d'obligation dans la reconversion de ce dernier. 203 00:15:11,500 --> 00:15:18,880 Enfin, précisons que la bonne foi, en principe, prend fin avec le terme du contrat. 204 00:15:19,360 --> 00:15:21,850 Elle est limitée à la durée de vie du contrat. 205 00:15:22,060 --> 00:15:26,400 Les auteurs estiment ainsi qu'il n'y a pas de bonne foi dans la période post contractuelle. 206 00:15:26,942 --> 00:15:29,980 On peut apporter cependant une limite à cette idée. 207 00:15:30,460 --> 00:15:33,146 Dans l'arrêt qui est souvent cité par la doctrine, 208 00:15:33,697 --> 00:15:35,902 le contrat avait pris fin de manière pathologique, 209 00:15:35,928 --> 00:15:40,097 si bien qu'il avait été effacé de manière rétroactive. 210 00:15:40,750 --> 00:15:43,777 On peut estimer que si on a un contrat qui a été correctement exécuté, 211 00:15:43,795 --> 00:15:47,493 le contrat est susceptible de laisser des traces entre les parties 212 00:15:47,520 --> 00:15:51,520 et donc aura une influence sur la période post contractuelle. 213 00:15:51,970 --> 00:15:54,933 Et notamment, on peut estimer que le contrat passé 214 00:15:55,262 --> 00:15:59,075 aurait par exemple une incidence sur des obligations post contractuelles, 215 00:15:59,102 --> 00:16:03,608 comme par exemple sur la confidentialité qui serait due par une partie 216 00:16:03,920 --> 00:16:05,920 à l'égard de l'autre partie. 217 00:16:07,430 --> 00:16:10,930 Précisons, pour terminer sur la notion de bonne foi, 218 00:16:11,591 --> 00:16:17,262 qu'il y a une règle générale de preuve qui est fixée à l'article 2268 du Code civil, 219 00:16:17,848 --> 00:16:19,180 la bonne foi est toujours présumée. 220 00:16:19,870 --> 00:16:23,380 Règle du droit des biens qui vaut également pour le droit des contrats 221 00:16:23,413 --> 00:16:28,030 et donc celui qui prétend que l'autre est de mauvaise foi, 222 00:16:28,660 --> 00:16:30,380 la mauvaise foi devra être établie. 223 00:16:30,497 --> 00:16:32,844 On est toujours présumé être de bonne foi. 224 00:16:33,680 --> 00:16:38,711 Et puis, la sanction qui peut être attachée à un manquement à la bonne foi, 225 00:16:40,025 --> 00:16:42,080 il est acquis d'après la jurisprudence 226 00:16:42,106 --> 00:16:45,600 que celui qui n'a pas un comportement conforme à la bonne foi, 227 00:16:46,475 --> 00:16:50,880 il ne pourra pas réclamer le bénéfice des droits nés du contrat 228 00:16:51,680 --> 00:16:55,191 et il ne pourra pas par exemple invoquer le droit à exécution 229 00:16:55,751 --> 00:17:00,550 ou le droit à des dommages et intérêts ou encore la résolution du contrat. 230 00:17:01,484 --> 00:17:04,870 Et enfin, il faut préciser, et c'est quelque chose qu'on reverra 231 00:17:05,350 --> 00:17:08,062 lors de l'étude de la responsabilité contractuelle, 232 00:17:08,746 --> 00:17:12,151 c'est un droit qui prend en compte le dol du débiteur 233 00:17:12,826 --> 00:17:16,600 et le dol du débiteur est en lien évidemment avec l'idée de mauvaise foi. 234 00:17:17,050 --> 00:17:19,191 Et dans ce cas-là, quand il y a un dol du débiteur, 235 00:17:19,662 --> 00:17:24,151 on va réparer le dommage imprévisible et de même, 236 00:17:24,168 --> 00:17:30,648 on va exclure les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, 237 00:17:31,120 --> 00:17:33,700 ce qui déroge au droit qui est normalement applicable. 238 00:17:35,530 --> 00:17:38,410 Enfin, précisons, en lien avec cette idée de bonne foi, 239 00:17:39,013 --> 00:17:44,151 qu'on a l'article 1194 qui fait référence aux suites du contrat 240 00:17:44,500 --> 00:17:51,120 et qui reprend ici l'article 1135 du Code civil, l'ancien article 1135 du Code civil. 241 00:17:52,320 --> 00:17:56,808 Il s'agit de compléments du contrat qui vont donc compléter la volonté des parties 242 00:17:57,724 --> 00:18:00,773 et les compléments peuvent être d'origine légale 243 00:18:00,880 --> 00:18:05,340 ou s'imposer d'après les usages ou encore sur la notion d'équité. 244 00:18:06,577 --> 00:18:09,031 Pour les compléments d'origine légale, 245 00:18:09,928 --> 00:18:14,250 on doit distinguer les lois supplétives et les lois impératives. 246 00:18:15,546 --> 00:18:18,017 Les lois impératives vont évidemment s'appliquer 247 00:18:18,488 --> 00:18:20,040 quelle que soit la volonté des parties. 248 00:18:20,168 --> 00:18:23,880 Les parties ne peuvent pas les écarter, donc elles vont compléter le contrat 249 00:18:24,364 --> 00:18:28,115 alors même qu'elles n'auraient pas été reprises expressément par les parties. 250 00:18:29,100 --> 00:18:33,235 En revanche, les lois supplétives, elles, ne s'appliquent 251 00:18:33,813 --> 00:18:36,240 qu'à défaut de choix contraire par les parties. 252 00:18:36,880 --> 00:18:42,097 Là, on garnira le contrat par des lois supplétives s'il n'y a pas de choix contraire, 253 00:18:42,124 --> 00:18:47,368 si elles n'ont pas été écartées expressément par les parties qui sont libres de le faire. 254 00:18:48,600 --> 00:18:52,380 De même, les usages peuvent compléter le contrat, les usages, 255 00:18:52,830 --> 00:18:57,457 la jurisprudence rajoute une condition, il faut qu'ils soient connus des deux parties 256 00:18:58,060 --> 00:19:00,568 et on fait la distinction entre les usages de droit 257 00:19:01,253 --> 00:19:05,271 qui vont être assimilés à une norme juridique objective 258 00:19:05,300 --> 00:19:11,671 et qui vont avoir une force identique à la loi et les usages conventionnels, 259 00:19:12,373 --> 00:19:15,146 l'autorité naît alors de la volonté des parties 260 00:19:15,697 --> 00:19:18,968 et ce sont les règles suivies de manière habituelle 261 00:19:19,004 --> 00:19:21,520 par des professionnels d'une même spécialité. 262 00:19:23,226 --> 00:19:26,850 Mais surtout, sur le fondement de l'article 1135 du Code civil 263 00:19:27,270 --> 00:19:32,657 et du pouvoir de complément du contrat, le juge a créé ici, 264 00:19:33,066 --> 00:19:37,697 le juge a eu vraiment un pouvoir créateur sur certaines obligations, 265 00:19:38,430 --> 00:19:40,657 alors même qu'elles n'avaient pas été prévues par les parties, 266 00:19:40,684 --> 00:19:44,100 le juge a de lui-même créé ces obligations. 267 00:19:45,030 --> 00:19:49,688 C'est ce qu'on a appelé, d'après Josserand, le forçage du contrat. 268 00:19:50,524 --> 00:19:55,128 Et il y a notamment deux obligations qui ont fait ainsi l'objet de ce forçage du contrat : 269 00:19:55,760 --> 00:20:01,048 l'obligation de sécurité et l'obligation d'information. 270 00:20:02,177 --> 00:20:03,457 L'obligation de sécurité, 271 00:20:04,462 --> 00:20:08,008 elle a été découverte par la jurisprudence, par la Cour de cassation, 272 00:20:08,266 --> 00:20:13,860 dans le contrat de transport et dans un arrêt du 21 novembre 1911. 273 00:20:15,030 --> 00:20:17,395 C'est une obligation qui a été créée par le juge 274 00:20:17,466 --> 00:20:22,417 pour réparer les préjudices subis par certaines victimes 275 00:20:23,431 --> 00:20:27,330 qui ne pouvaient pas bénéficier d'un régime légal favorable. 276 00:20:28,270 --> 00:20:31,635 La Cour de cassation a créé une obligation de sécurité 277 00:20:31,653 --> 00:20:34,480 qui était souvent une obligation de résultat, 278 00:20:35,155 --> 00:20:38,728 c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de faute du transporteur à prouver. 279 00:20:40,230 --> 00:20:45,626 Cette obligation de sécurité, elle a été étendue du contrat de transport à d'autres contrats, 280 00:20:46,320 --> 00:20:48,080 notamment par exemple le contrat de vente 281 00:20:48,800 --> 00:20:52,860 ou le contrat également de bail ou alors le contrat de travail. 282 00:20:54,950 --> 00:20:58,790 Aujourd'hui, on considère, avec l'extension de cette obligation, 283 00:20:59,760 --> 00:21:03,040 que c'est une obligation qui devient une obligation légale 284 00:21:03,137 --> 00:21:05,630 et non plus une obligation conventionnelle. 285 00:21:06,257 --> 00:21:09,310 Et dans le projet de réforme du droit de la responsabilité civile, 286 00:21:09,342 --> 00:21:13,330 on reviendra sur cette idée de sécurité parce que le dommage, 287 00:21:13,368 --> 00:21:18,142 notamment le dommage corporel, est traité avec des règles spécifiques. 288 00:21:18,800 --> 00:21:22,613 L'obligation de sécurité dans les contrats de transport à l'origine 289 00:21:22,897 --> 00:21:24,800 et qui a été étendue à d'autres contrats, 290 00:21:25,191 --> 00:21:28,186 c'est une manifestation du forçage du contrat, 291 00:21:28,506 --> 00:21:33,020 de la création de certaines obligations directement par le juge. 292 00:21:34,280 --> 00:21:36,266 De la même façon, le juge va créer 293 00:21:36,711 --> 00:21:40,346 une obligation d'information qui est susceptible de différents degrés, 294 00:21:40,951 --> 00:21:43,591 l'information assez neutre ou le renseignement, 295 00:21:44,204 --> 00:21:47,733 qui devient plus subjective et plus approfondie dans le devoir de conseil, 296 00:21:48,160 --> 00:21:52,186 voire le devoir de mise en garde, avec comme limite l'immixtion, 297 00:21:52,231 --> 00:21:57,022 la non immixtion plutôt dans les affaires du client pour ce qui concerne le banquier. 298 00:21:57,920 --> 00:21:59,300 Cette obligation d'information, 299 00:21:59,350 --> 00:22:04,425 elle est mise à la charge d'un professionnel dans ses rapports avec un profane, 300 00:22:04,900 --> 00:22:07,850 ça va être l'obligation pour le médecin, l'obligation pour le banquier, 301 00:22:08,075 --> 00:22:10,375 l'assureur, le vendeur, le fabricant. 302 00:22:11,324 --> 00:22:15,080 Attention, il s'agit ici bien d'obligation contractuelle, 303 00:22:15,866 --> 00:22:18,770 trouvant une application dans l'exécution du contrat, 304 00:22:19,460 --> 00:22:23,210 à bien distinguer de l'obligation précontractuelle d'information 305 00:22:23,270 --> 00:22:25,375 qu'on avait vue au tout début du semestre 306 00:22:25,725 --> 00:22:30,410 et qui a été consacrée par l'ordonnance de 2016 avec une portée générale. 307 00:22:31,600 --> 00:22:36,500 Ici, c'est le juge qui va directement créer ces obligations. 308 00:22:37,857 --> 00:22:41,930 Ce pouvoir créateur du juge, on a parlé d'interprétation créatrice, 309 00:22:42,590 --> 00:22:46,355 c'est le degré le plus important de l'interventionnisme du juge dans le contrat. 310 00:22:47,270 --> 00:22:49,253 En réalité, si on reprend un peu cette idée, 311 00:22:49,920 --> 00:22:52,737 le juge, normalement, c'est un tiers neutre dans le contrat, 312 00:22:52,764 --> 00:22:58,960 il doit interpréter mais pour interpréter, il va rechercher quelle a été la volonté des parties. 313 00:22:59,960 --> 00:23:02,625 Dans certains cas, le juge s'est reconnu le pouvoir 314 00:23:02,900 --> 00:23:05,750 d'aller plus loin en modifiant certaines obligations, 315 00:23:06,450 --> 00:23:08,900 notamment le juge va par exemple corriger l'excès. 316 00:23:10,060 --> 00:23:13,430 Et puis le juge, ici on le voit, dans certains cas exceptionnels, 317 00:23:13,460 --> 00:23:16,924 va véritablement créer de nouvelles obligations, 318 00:23:17,608 --> 00:23:24,160 va se mettre à côté des parties et va se reconnaître un pouvoir créateur. 319 00:23:28,220 --> 00:23:31,982 L'exigence de bonne foi, l'exigence de force obligatoire du contrat, 320 00:23:32,017 --> 00:23:35,540 ce sont deux exigences qui peuvent apparaître antinomiques 321 00:23:36,270 --> 00:23:39,608 et le conflit entre ces deux principes d'égale importance 322 00:23:40,773 --> 00:23:44,551 va notamment trouver une illustration particulière 323 00:23:45,244 --> 00:23:47,680 dans un principe longtemps débattu en droit français 324 00:23:47,715 --> 00:23:51,031 et auquel l'ordonnance de 2016 semble avoir mis fin, 325 00:23:51,360 --> 00:23:57,040 c'est le débat autour de l'admission en droit français de la révision pour imprévision.