1 00:00:05,810 --> 00:00:09,050 C : l'autorité de chose jugée. 2 00:00:10,100 --> 00:00:14,720 Dès qu'il est élu, c'est-à-dire avant même sa notification aux parties, 3 00:00:15,060 --> 00:00:18,410 le jugement est doté de l'autorité de chose jugée. 4 00:00:19,130 --> 00:00:23,360 En d'autres termes, ce qui a été jugé ne peut être remis en question, 5 00:00:23,560 --> 00:00:31,140 ni par la juridiction qui a statué sur litige, ni par une autre juridiction ; 6 00:00:31,780 --> 00:00:33,980 sauf dans le cadre, nous le verrons, 7 00:00:34,260 --> 00:00:40,580 d'une voie de recours dont l'exercice est soumis à des conditions précises. 8 00:00:42,000 --> 00:00:47,200 Tout l'enjeu de l'autorité de la chose jugée est de mettre un terme au litige. 9 00:00:48,400 --> 00:00:53,500 Pour le dire très simplement, il faut à un moment que le différend s'éteigne. 10 00:00:53,800 --> 00:00:58,780 Ce qui a été jugé doit être considéré comme intangible. 11 00:00:59,170 --> 00:01:03,420 On le dit parfois, ce doit être tenu pour vrai, 12 00:01:03,760 --> 00:01:09,200 même si le jugement est entaché d'une erreur de droit ou de fait. 13 00:01:09,790 --> 00:01:10,740 En d'autres termes, 14 00:01:10,800 --> 00:01:13,960 l'autorité de chose jugée fait obstacle 15 00:01:14,080 --> 00:01:19,320 à la résurgence de différends qui ont déjà été réglés. 16 00:01:19,540 --> 00:01:28,800 Il s'agit ici d'empêcher qu'un même litige donne lieu à de nouveaux procès. 17 00:01:29,860 --> 00:01:32,028 Examiner l'autorité de la chose jugée 18 00:01:32,085 --> 00:01:35,700 conduit donc à étudier l'effet qu'elle produit. 19 00:01:36,190 --> 00:01:39,260 Et l'effet qu'elle produit principalement, 20 00:01:39,520 --> 00:01:45,910 c'est l'interdiction faite aux juges de rejuger le litige déjà jugé. 21 00:01:46,570 --> 00:01:52,090 Le respect de cette prohibition suppose également l'identification 22 00:01:52,540 --> 00:01:55,220 non seulement de l'affaire déjà jugée, 23 00:01:55,400 --> 00:01:59,620 mais également de l'étendue de la chose jugée. 24 00:02:00,620 --> 00:02:02,500 Précisons, tout d'abord, 25 00:02:02,720 --> 00:02:09,250 ce que signifie la notion de jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée. 26 00:02:10,420 --> 00:02:13,720 En effet, quelles sont les décisions de justice 27 00:02:13,780 --> 00:02:16,840 concernées par une telle autorité de la chose jugée ? 28 00:02:17,410 --> 00:02:21,490 Ce sont, pour l'essentiel, les jugements rendus au principal. 29 00:02:21,780 --> 00:02:26,085 En effet, dans la mesure où l'autorité de la chose jugée 30 00:02:26,257 --> 00:02:29,657 rend intangible ce qui a déjà été jugé, 31 00:02:29,914 --> 00:02:32,742 elle ne concerne que les décisions de justice 32 00:02:32,800 --> 00:02:36,130 par lesquelles le juge a statué sur la demande, 33 00:02:36,560 --> 00:02:41,830 qu'il ait accueilli cette demande ou qu'il ait rejeté cette demande, 34 00:02:42,180 --> 00:02:44,000 qu'il se soit déclaré incompétent 35 00:02:44,240 --> 00:02:48,060 ou qu'il ait rejeté la requête pour irrecevabilité. 36 00:02:48,860 --> 00:02:54,920 Tous ces jugements, dont on dit qu'ils ont été rendus au principal, 37 00:02:55,210 --> 00:02:59,020 sont revêtus de l'autorité de la chose jugée. 38 00:03:00,200 --> 00:03:00,980 Par contraste, 39 00:03:01,380 --> 00:03:05,380 les ordonnances prononcées par le juge des référés en urgence 40 00:03:05,780 --> 00:03:09,680 ne sont pas rendues au principal, 41 00:03:10,000 --> 00:03:12,340 et c'est la raison pour laquelle ces ordonnances 42 00:03:12,720 --> 00:03:16,690 ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée. 43 00:03:19,540 --> 00:03:21,560 Pour mieux comprendre encore 44 00:03:21,860 --> 00:03:25,620 les jugements revêtus de l'autorité de la chose jugée, 45 00:03:25,800 --> 00:03:27,740 deux précisions doivent être faites. 46 00:03:28,410 --> 00:03:29,440 En premier lieu, 47 00:03:30,280 --> 00:03:34,480 il faut distinguer jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée 48 00:03:34,540 --> 00:03:36,480 et jugement définitif. 49 00:03:37,340 --> 00:03:37,800 Pourquoi ? 50 00:03:38,220 --> 00:03:44,730 Parce que le juge prend fréquemment soin de préciser que le jugement, 51 00:03:45,160 --> 00:03:50,220 dont il affirme l'autorité de la chose jugée, est devenu définitif. 52 00:03:50,850 --> 00:03:53,980 Dire d'un jugement qu'il est devenu définitif 53 00:03:54,200 --> 00:03:58,040 signifie qu'il est insusceptible de recours : 54 00:03:58,700 --> 00:04:02,120 soit qu'aucun recours n'ait été exercé dans le délai, 55 00:04:02,700 --> 00:04:06,500 soit que ce recours exercé dans le délai ait été rejeté. 56 00:04:07,650 --> 00:04:13,600 Une telle précision, c'est-à-dire dire d'un jugement qu'il est définitif, 57 00:04:14,020 --> 00:04:15,740 laisse entendre parfois 58 00:04:16,120 --> 00:04:21,750 que l'autorité de la chose jugée serait subordonnée à ce caractère définitif. 59 00:04:22,640 --> 00:04:24,900 Il n'en est pourtant rien. 60 00:04:26,010 --> 00:04:28,240 Je vous l'ai déjà dit, je le répète ici : 61 00:04:28,620 --> 00:04:33,720 un jugement acquiert l'autorité de la chose jugée dès sa lecture. 62 00:04:34,350 --> 00:04:38,920 Il ne faut pas attendre l'expiration des délais de recours, 63 00:04:38,960 --> 00:04:40,920 par exemple, d'une voie de recours, 64 00:04:40,980 --> 00:04:47,100 pour considérer qu'un jugement est revêtu de l'autorité de chose jugée. 65 00:04:47,520 --> 00:04:51,450 En d'autres termes, un jugement n'a pas besoin d'être irrévocable, 66 00:04:51,690 --> 00:04:53,960 n'a pas besoin d'être définitif, 67 00:04:54,320 --> 00:04:58,530 pour être revêtu de l'autorité de chose jugée. 68 00:04:59,100 --> 00:05:04,890 Dès sa lecture, ce qui a été jugé ne peut pas être défait. 69 00:05:05,760 --> 00:05:06,960 Seconde précision. 70 00:05:07,410 --> 00:05:10,640 Il convient de distinguer donc, en second lieu, 71 00:05:10,980 --> 00:05:14,020 les jugements revêtus de l'autorité de la chose jugée 72 00:05:14,320 --> 00:05:18,840 et les jugements passés en force de chose jugée. 73 00:05:20,190 --> 00:05:21,600 On dit également, 74 00:05:21,640 --> 00:05:25,920 pour ces jugements passés en force de chose jugée qu'ils sont définitifs. 75 00:05:27,080 --> 00:05:31,930 Initialement, étaient considérés comme passés en force de chose jugée, 76 00:05:32,440 --> 00:05:33,980 tous les jugements irrévocables, 77 00:05:34,420 --> 00:05:39,560 c'est-à-dire tous les jugements contre lesquels ni l'appel, ni la cassation, 78 00:05:39,860 --> 00:05:41,780 ne pouvaient être formés. 79 00:05:42,020 --> 00:05:46,900 Je le répète, soit du fait de l'expiration du délai de recours, 80 00:05:47,100 --> 00:05:51,100 soit en raison du rejet d'un tel recours. 81 00:05:52,270 --> 00:05:57,720 Depuis l'arrêt (Matio) du 27 octobre 1995, 82 00:05:57,780 --> 00:06:01,460 sont également regardés comme passés en force de chose jugée, 83 00:06:01,760 --> 00:06:04,860 les jugements rendus en dernier ressort, 84 00:06:05,180 --> 00:06:09,320 c'est-à-dire ceux qui, bien que non susceptibles d'appel, 85 00:06:09,680 --> 00:06:13,960 peuvent néanmoins faire l'objet d'un pourvoi en cassation. 86 00:06:14,380 --> 00:06:19,280 Vous le savez, c'est le cas d'un arrêt d'une cour administrative d'appel, 87 00:06:19,600 --> 00:06:23,500 mais c'est également le cas d'un jugement d'un tribunal administratif 88 00:06:23,560 --> 00:06:27,340 rendu en premier et dernier ressort. 89 00:06:28,000 --> 00:06:32,520 Il faut bien comprendre que l'intérêt de la solution ne peut être comprise 90 00:06:32,740 --> 00:06:36,160 qu'au regard de la question des lois rétroactives, 91 00:06:36,620 --> 00:06:39,520 que sont notamment les lois de validation. 92 00:06:40,160 --> 00:06:44,300 En effet, la portée rétroactive d'une loi de validation 93 00:06:44,640 --> 00:06:47,680 ne doit pas affecter les droits reconnus 94 00:06:47,720 --> 00:06:51,760 par une décision passée en force de chose jugée. 95 00:06:52,140 --> 00:06:57,200 C'est à cette condition que l'on a subordonné la constitutionnalité 96 00:06:57,440 --> 00:06:59,860 de la loi de validation. 97 00:07:00,970 --> 00:07:04,210 Et lorsque la loi ne prend pas soin de le préciser, 98 00:07:04,500 --> 00:07:07,340 le juge interprète la loi de validation 99 00:07:07,600 --> 00:07:12,130 comme ayant implicitement réservé de tels jugements. 100 00:07:13,620 --> 00:07:17,600 Or, si l'on considère que les jugements rendus en dernier ressort 101 00:07:17,680 --> 00:07:20,600 ne sont pas passés en force de chose jugée, 102 00:07:21,140 --> 00:07:25,630 ils se trouveraient être atteints par la loi de validation. 103 00:07:26,180 --> 00:07:26,820 Par exemple, 104 00:07:26,900 --> 00:07:31,460 un arrêt d'une cour administrative d'appel annule une décision individuelle 105 00:07:31,560 --> 00:07:34,870 au motif qu'elle est prise sur le fondement d'un décret illégal. 106 00:07:35,500 --> 00:07:38,890 Ce décret fait, plus tard, l'objet d'une loi de validation. 107 00:07:39,400 --> 00:07:42,180 Le législateur pose qu'il est désormais 108 00:07:42,460 --> 00:07:46,680 impossible d'invoquer l'illégalité dont le décret est affecté, 109 00:07:47,220 --> 00:07:51,550 pour obtenir l'annulation des décisions prises sur son fondement. 110 00:07:52,300 --> 00:07:56,080 L'arrêt de la Cour administrative n'étant pas regardé 111 00:07:56,140 --> 00:08:00,680 comme passé en force de chose jugée avant l'arrêt (Matio), 112 00:08:00,980 --> 00:08:06,560 l'annulation prononcée en appel était remise en cause 113 00:08:06,700 --> 00:08:08,040 par le juge de cassation. 114 00:08:08,860 --> 00:08:12,340 Au stade de la cassation, l'état du droit a changé. 115 00:08:12,730 --> 00:08:16,600 Ce qui devait être tenu pour illégal ne peut plus l'être 116 00:08:16,780 --> 00:08:20,470 du fait de l'intervention de la loi de validation. 117 00:08:21,220 --> 00:08:25,420 Peu favorable à la modification rétroactive de la règle de droit, 118 00:08:25,840 --> 00:08:30,280 le juge administratif considère donc, depuis l'arrêt (Matio), 119 00:08:30,800 --> 00:08:34,260 que les arrêts et jugements rendus en dernier ressort 120 00:08:34,560 --> 00:08:38,980 doivent être regardés comme passés en force de chose jugée. 121 00:08:39,960 --> 00:08:43,640 Ainsi, qualifier ces jugements échappe 122 00:08:45,300 --> 00:08:49,030 au champ d'application des lois de validation. 123 00:08:50,860 --> 00:08:54,060 Comprenez bien, ces deux précisions étant faites, 124 00:08:54,680 --> 00:08:56,960 qu'en vertu de l'autorité de chose jugée, 125 00:08:57,340 --> 00:09:02,740 ce qui a été jugé doit être considéré comme définitivement réglé, 126 00:09:03,100 --> 00:09:07,200 je le répète, sous réserve de l'exercice d'une voie de recours. 127 00:09:07,840 --> 00:09:11,670 Cette intangibilité est assurée par l'interdiction, 128 00:09:12,160 --> 00:09:16,080 interdiction faite au juge de rejuger le litige. 129 00:09:16,620 --> 00:09:21,460 Saisi, par exemple, d'un recours tendant à un tel re-jugement, 130 00:09:22,080 --> 00:09:24,540 le juge est tenu de le rejeter. 131 00:09:25,140 --> 00:09:25,860 Techniquement, 132 00:09:26,460 --> 00:09:32,430 ce rejet résultera de l'irrecevabilité dont la requête est entachée. 133 00:09:33,020 --> 00:09:34,140 Je vous donne un exemple : 134 00:09:34,440 --> 00:09:38,740 si un tribunal administratif rejette un recours en responsabilité, 135 00:09:39,320 --> 00:09:45,360 exercé par un patient contre un hôpital, et que ce patient, ce requérant, 136 00:09:45,880 --> 00:09:48,920 saisit de nouveau le tribunal d'une même demande, 137 00:09:49,840 --> 00:09:52,680 l'autorité de la chose jugée va s'opposer 138 00:09:52,940 --> 00:09:55,380 à un tel re-jugement de l'affaire. 139 00:09:55,650 --> 00:09:58,950 Le juge doit s'abstenir d'examiner ce litige. 140 00:09:59,500 --> 00:10:03,800 Cette seconde requête sera, par voie de conséquence, irrecevable. 141 00:10:04,440 --> 00:10:08,100 C'est donc sur le juge que pèsent les conséquences 142 00:10:08,720 --> 00:10:11,160 principalement de l'autorité de la chose jugée, 143 00:10:11,580 --> 00:10:13,880 même si, indirectement, 144 00:10:13,980 --> 00:10:17,560 les parties en supportent les conséquences et les effets 145 00:10:18,060 --> 00:10:22,210 par l'intermédiaire de l'irrecevabilité qui leur est opposée. 146 00:10:22,980 --> 00:10:27,460 À ce titre, il faut bien comprendre que l'autorité de la chose jugée 147 00:10:28,120 --> 00:10:31,760 se distingue de la force obligatoire du jugement qui, 148 00:10:31,980 --> 00:10:38,070 comme je vous l'ai expliqué, pèse directement sur les parties. 149 00:10:38,610 --> 00:10:39,460 En ce sens, 150 00:10:39,640 --> 00:10:43,720 vous devez distinguer force obligatoire et autorité de la chose jugée. 151 00:10:44,100 --> 00:10:50,020 L'autorité de la chose jugée ne découle pas de la force obligatoire du jugement. 152 00:10:50,400 --> 00:10:53,880 Le jugement s'impose à ses destinataires, 153 00:10:54,240 --> 00:10:57,280 au même titre qu'une simple décision administrative, 154 00:10:57,720 --> 00:11:00,620 parce qu'il est doté de la force obligatoire. 155 00:11:01,260 --> 00:11:04,300 Pour autant, cette propriété ne suffit pas 156 00:11:04,560 --> 00:11:08,580 à rendre le jugement intangible à l'égard des juges. 157 00:11:08,980 --> 00:11:12,400 De même qu'une décision administrative est susceptible 158 00:11:12,460 --> 00:11:15,420 d'être remise en question par son auteur, 159 00:11:15,820 --> 00:11:18,780 un jugement dépourvu de l'autorité de la chose jugée 160 00:11:19,280 --> 00:11:21,680 pourrait être défait par le juge. 161 00:11:22,020 --> 00:11:26,790 Il en va ainsi, par exemple, pour les ordonnances de référé, 162 00:11:27,020 --> 00:11:30,420 ou encore pour certains jugements avant-dire droit, 163 00:11:30,860 --> 00:11:34,140 qui sont dépourvus de l'autorité de chose jugée. 164 00:11:35,160 --> 00:11:36,660 Il faut donc, au jugement, 165 00:11:36,940 --> 00:11:42,990 cette propriété supplémentaire pour empêcher le juge de le défaire. 166 00:11:43,280 --> 00:11:48,840 Cette propriété réside précisément dans l'autorité de chose jugée.