1 00:00:05,290 --> 00:00:06,050 Mesdames, messieurs, bonjour. 2 00:00:07,180 --> 00:00:09,730 Nous allons maintenant étudier quelles sont les circonstances 3 00:00:09,930 --> 00:00:13,540 exceptionnelles, la théorie des circonstances exceptionnelles dans 4 00:00:13,740 --> 00:00:16,660 la Constitution du 4 octobre 1958. 5 00:00:17,590 --> 00:00:22,360 Dans la Constitution de 1958 adoptée pendant le contexte de la guerre 6 00:00:22,560 --> 00:00:28,390 d'Algérie, les auteurs de la Constitution, le général de Gaulle, 7 00:00:28,900 --> 00:00:33,880 Michel Debré souhaitaient qu'il y ait un régime d'état d'urgence 8 00:00:34,080 --> 00:00:35,260 qui soit inscrit dans la Constitution. 9 00:00:35,980 --> 00:00:39,010 Il y a donc deux régimes qui ont été inscrits dans la Constitution, 10 00:00:39,210 --> 00:00:41,800 le premier, qui est très propre à notre Constitution de la Cinquième 11 00:00:42,000 --> 00:00:46,150 République et le deuxième qui est finalement un aveu de lucidité. 12 00:00:46,660 --> 00:00:50,710 La première donc le premier article qui concerne les pleins pouvoirs 13 00:00:50,910 --> 00:00:52,660 concerne l'article 16. 14 00:00:53,260 --> 00:00:57,010 C'est l'article 16 qui consiste à remettre les pleins pouvoirs 15 00:00:57,460 --> 00:00:58,600 au président de la République. 16 00:00:59,980 --> 00:01:03,160 Le deuxième article que je vous présenterai après, c'est l'article 36. 17 00:01:03,790 --> 00:01:07,600 Commençons par l'article 16 de la Constitution qui permet de remettre 18 00:01:07,800 --> 00:01:09,520 les pleins pouvoirs au président de la République. 19 00:01:11,140 --> 00:01:16,720 Cet article 16 de la Constitution organise la remise des pleins pouvoirs 20 00:01:17,020 --> 00:01:20,140 au président de la République en cas de circonstances exceptionnelles. 21 00:01:20,620 --> 00:01:26,380 C'est donc bien évidemment un très fort symbole de la Cinquième 22 00:01:26,580 --> 00:01:29,500 République, de notre régime présidentiel et du pouvoir très 23 00:01:29,700 --> 00:01:31,120 fort du président de la République. 24 00:01:31,630 --> 00:01:33,820 C'est ce que voulait le général de Gaulle. 25 00:01:34,390 --> 00:01:37,270 Que prévoit cet article 16 ? 26 00:01:38,110 --> 00:01:42,760 "Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la 27 00:01:42,960 --> 00:01:48,550 nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements 28 00:01:48,750 --> 00:01:54,490 internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que 29 00:01:54,690 --> 00:02:01,780 le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels 30 00:02:01,980 --> 00:02:05,440 est interrompu, le président de la République prend les mesures 31 00:02:05,640 --> 00:02:09,820 exigées par les circonstances, mais après consultation officielle 32 00:02:10,300 --> 00:02:13,750 du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi 33 00:02:13,950 --> 00:02:15,190 que du Conseil constitutionnel. 34 00:02:16,120 --> 00:02:18,130 Il en informe la nation par un message. 35 00:02:18,940 --> 00:02:22,660 Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs 36 00:02:22,860 --> 00:02:26,980 publics constitutionnels les moyens d'accomplir leur mission et le 37 00:02:27,180 --> 00:02:31,540 Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet, le Parlement se réunit 38 00:02:31,740 --> 00:02:35,080 deux plein droit et pendant cette durée, l'Assemblée nationale ne 39 00:02:35,280 --> 00:02:36,040 peut pas être dissoute". 40 00:02:38,380 --> 00:02:41,920 En 2008, un paragraphe a été ajouté à cet article 16, dont je vous 41 00:02:42,120 --> 00:02:43,120 parlerai juste après. 42 00:02:43,780 --> 00:02:46,770 Cette procédure des pleins pouvoirs au président de la République, 43 00:02:46,970 --> 00:02:49,900 voyez, c'est une procédure absolument exceptionnelle qui donne un pouvoir 44 00:02:50,320 --> 00:02:56,380 extrêmement fort au président de la République, et qui n'a été utilisée 45 00:02:56,580 --> 00:03:00,970 qu'une seule fois par son auteur finalement, qui s'était servi, 46 00:03:01,170 --> 00:03:07,030 c'est-à-dire il a été utilisé qu'une seule fois, le 21 avril 1961, 47 00:03:07,510 --> 00:03:11,020 à la suite de la tentative de putsch militaire en Algérie. 48 00:03:12,310 --> 00:03:18,490 Donc l'article 16 a déjà été utilisé, il n'a jamais été utilisé par la suite, 49 00:03:18,690 --> 00:03:25,330 aucun des présidents successifs n'ont voulu utiliser cet article 16, 50 00:03:25,810 --> 00:03:28,540 même si parfois nous avons été dans des périodes troubles mais 51 00:03:28,740 --> 00:03:33,400 aucun d'entre eux n'a pris le risque d'utiliser cet article 16. 52 00:03:33,880 --> 00:03:36,760 L'article 16 a fait l'objet de beaucoup de critiques au début 53 00:03:36,960 --> 00:03:38,260 de la Cinquième République. 54 00:03:38,920 --> 00:03:43,120 Dans son ouvrage "Le coup d'État permanent", François Mitterrand 55 00:03:43,320 --> 00:03:47,890 stigmatisait cette disposition en disant qu'elle marquait l'exercice 56 00:03:48,090 --> 00:03:50,980 d'un pouvoir personnel et qui permettait au président de la 57 00:03:51,180 --> 00:03:55,510 République, pour un temps illimité, de se substituer au Parlement avec 58 00:03:56,290 --> 00:04:00,190 des moyens vagues relatifs aux circonstances de ce moment-là, 59 00:04:00,880 --> 00:04:06,860 mais lorsqu'il devint président en 81, il ne supprima pas cette disposition. 60 00:04:07,060 --> 00:04:15,100 Et puis c'est seulement en 1993 61 00:04:15,350 --> 00:04:19,510 qu'il se pencha sur la question, vous savez que, j'ai déjà vu avec vous, 62 00:04:19,710 --> 00:04:27,310 en 1993, il y a eu un projet de révision de la Constitution qui 63 00:04:27,510 --> 00:04:30,910 a été très important pour la révision du 23 juillet 2008, notamment 64 00:04:31,110 --> 00:04:33,220 s'agissant de la question prioritaire de constitutionnalité, 65 00:04:33,420 --> 00:04:38,590 fortement inspiré du projet de 1993, et ce qui est intéressant, 66 00:04:39,580 --> 00:04:45,250 c'est que le projet de 1993 prévoyait l'abrogation pure et simple de 67 00:04:45,450 --> 00:04:46,210 l'article 16. 68 00:04:46,480 --> 00:04:50,170 Mais ce projet de révision constitutionnelle de 1993 n'a pas 69 00:04:50,370 --> 00:04:53,980 abouti en raison de l'opposition du Sénat. 70 00:04:54,180 --> 00:04:57,040 Donc jamais l'Assemblée nationale et le Sénat ne se sont mis d'accord 71 00:04:57,370 --> 00:04:58,750 sur une même version. 72 00:04:59,790 --> 00:05:05,370 Ensuite la question, lorsque la Constitution a été révisée 73 00:05:05,570 --> 00:05:09,540 le 23 juillet 2008, vous savez que la révision a été précédée 74 00:05:09,740 --> 00:05:13,590 des travaux du comité Balladur, présidé par le Premier ministre, 75 00:05:13,920 --> 00:05:17,070 l'ancien Premier ministre qui a réfléchi sur toutes les dispositions 76 00:05:17,270 --> 00:05:21,000 de la Constitution et notamment sur l'existence des articles 16 et 36. 77 00:05:21,850 --> 00:05:27,750 Or, le comité Balladur, en toute lucidité, a constaté qu'il 78 00:05:27,950 --> 00:05:32,820 y a des très fortes diversités de menaces potentielles, 79 00:05:33,020 --> 00:05:36,930 et on était pourtant avant la vague d'attentats terroristes qui pèsent 80 00:05:37,410 --> 00:05:40,980 sur la sécurité nationale à l'ère du terrorisme mondialisé, 81 00:05:41,460 --> 00:05:45,870 et qui justifient le moyen, le maintien de dispositifs d'exception. 82 00:05:46,410 --> 00:05:49,680 Donc les menaces potentielles qui pèsent sur la sécurité nationale 83 00:05:49,880 --> 00:05:53,280 comme le terrorisme, ont justifié le maintien de ces 84 00:05:53,480 --> 00:05:54,420 dispositions d'exception. 85 00:05:55,440 --> 00:05:58,970 C'est une grande lucidité par rapport à l'état du monde. 86 00:05:59,170 --> 00:06:04,350 Il faut savoir que le 11 mars 2004, l'Espagne était frappée en plein 87 00:06:04,550 --> 00:06:07,860 cœur avec les attentats terroristes de la gare d'Atocha avec 192 victimes 88 00:06:08,430 --> 00:06:11,190 donc la France savait qu'elle était menacée et la France a été touchée 89 00:06:11,390 --> 00:06:12,150 par la suite. 90 00:06:12,350 --> 00:06:16,410 Mais c'est la raison pour laquelle, lucidement et avec toute objectivité, 91 00:06:16,610 --> 00:06:20,070 il faut garder dans la Constitution un régime d'état d'urgence. 92 00:06:20,270 --> 00:06:24,390 Simplement, la seule chose que la révision du 23 juillet 2008 93 00:06:24,590 --> 00:06:26,820 a ajoutée, c'est un contrôle parlementaire renforcé, 94 00:06:27,870 --> 00:06:31,200 un contrôle parlementaire renforcé qui fait qu'il y a désormais un 95 00:06:31,400 --> 00:06:33,390 paragraphe, un dernier paragraphe à l'article 16. 96 00:06:33,990 --> 00:06:38,340 Il prévoit qu'après 30 jours des pouvoirs exceptionnels, 97 00:06:38,850 --> 00:06:43,110 le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de 98 00:06:43,310 --> 00:06:46,200 l'Assemblée nationale, par le président du Sénat, 99 00:06:46,400 --> 00:06:50,430 par 60 députés ou 60 sénateurs, pour examiner si les conditions 100 00:06:51,600 --> 00:06:54,510 énoncées au premier alinéa pour mettre en œuvre l'article 16 sont 101 00:06:54,710 --> 00:06:55,470 toujours réunies. 102 00:06:55,950 --> 00:06:59,820 Le Conseil constitutionnel se prononce par un avis public dans les délais 103 00:07:00,020 --> 00:07:04,230 les plus brefs, et il est prévu également que le Conseil 104 00:07:04,430 --> 00:07:07,260 constitutionnel peut s'auto-saisir, c'est-à-dire qu'il peut procéder 105 00:07:07,590 --> 00:07:11,830 de plein droit à cet examen dans les mêmes conditions, 106 00:07:12,030 --> 00:07:16,080 dès lors que la mise en œuvre des pleins pouvoirs a dépassé 60 jours 107 00:07:16,280 --> 00:07:17,040 d'exercice. 108 00:07:19,320 --> 00:07:23,220 Donc il y a un contrôle parlementaire, enfin un contrôle institué, 109 00:07:23,820 --> 00:07:25,890 initié par les parlementaires, qui est fait par le Conseil 110 00:07:26,090 --> 00:07:26,850 constitutionnel. 111 00:07:27,120 --> 00:07:31,950 Le comité présidé par Edouard Balladur avait relevé l'insuffisance des 112 00:07:32,150 --> 00:07:34,800 mécanismes de contrôle en cas de mise en œuvre de l'article 16, 113 00:07:35,130 --> 00:07:39,060 et c'est d'ailleurs le reproche qui avait été adressé en 1961 au 114 00:07:39,260 --> 00:07:43,140 général de Gaulle, c'est qu'il avait été utilisé donc du 23 avril 115 00:07:43,340 --> 00:07:48,240 61 au 29 septembre 61, la durée avait paru excessive et 116 00:07:48,440 --> 00:07:51,900 donc désormais, il est possible donc à 60 députés ou 60 sénateurs, 117 00:07:52,100 --> 00:07:55,590 au-delà d'un délai de 30 jours, de saisir le Conseil constitutionnel. 118 00:07:56,040 --> 00:07:58,530 Le Conseil se prononce dans les délais les plus brefs. 119 00:07:59,410 --> 00:08:06,060 Donc l'idée, c'est que l'avis soit rendu très rapidement. 120 00:08:06,360 --> 00:08:10,800 Cet avis est public et le Conseil d'État, comme je vous l'ai dit, 121 00:08:11,000 --> 00:08:12,300 peut s'auto-saisir. 122 00:08:13,380 --> 00:08:18,990 Donc l'idée, c'est d'avoir une position officielle de la part 123 00:08:19,190 --> 00:08:20,280 du Conseil constitutionnel. 124 00:08:20,480 --> 00:08:25,170 Bon, on peut se poser bien sûr la question de savoir ce qu'il 125 00:08:25,370 --> 00:08:27,870 en serait si un président décidait de maintenir l'état d'urgence malgré 126 00:08:28,070 --> 00:08:30,360 l'avis contraire du Conseil constitutionnel, ce qui est une 127 00:08:30,560 --> 00:08:35,710 situation qui pourrait se produire puisque tout est toujours possible 128 00:08:35,910 --> 00:08:39,210 et que la réalité dépasse la fiction, dans cette hypothèse-là, 129 00:08:39,410 --> 00:08:42,750 je ne sais pas, je ne peux pas vous dire quelle serait la solution 130 00:08:43,830 --> 00:08:44,590 possible. 131 00:08:47,310 --> 00:08:50,280 Pour mettre en œuvre l'article 16 donc c'est indiqué mais je vous 132 00:08:50,480 --> 00:08:54,120 l'ai dit, le président consulte le Premier ministre, 133 00:08:54,320 --> 00:08:56,400 le président de l'Assemblée et le Conseil constitutionnel. 134 00:08:56,730 --> 00:08:57,660 Ce n'est pas contraignant. 135 00:08:58,200 --> 00:09:00,540 Et je vous rappelle, ça, vous l'avez vu en droit 136 00:09:01,050 --> 00:09:05,220 administratif l'année dernière, que la décision de mettre en œuvre 137 00:09:05,420 --> 00:09:08,040 l'article 16 est ce qu'on appelle un acte de gouvernement, 138 00:09:08,240 --> 00:09:11,950 vous vous rappelez, c'est l'arrêt de 1962 Rubin de Servens, 139 00:09:12,150 --> 00:09:16,170 l'arrêt d'assemblée du Conseil d'État du 2 mars 1962, 140 00:09:16,770 --> 00:09:19,980 l'article 16, la mise en œuvre de l'article 16, la décision de 141 00:09:20,180 --> 00:09:24,090 mettre en œuvre l'article 16 échappe au contrôle du juge administratif. 142 00:09:24,290 --> 00:09:27,900 Bien, voilà, nous avons terminé cette partie sur les circonstances 143 00:09:28,100 --> 00:09:30,690 exceptionnelles en droit interne, c'était la première sous-section. 144 00:09:30,890 --> 00:09:34,230 Maintenant, dans une deuxième sous-section, je vais vous présenter 145 00:09:34,470 --> 00:09:36,810 la théorie des circonstances exceptionnelles en droit européen.