1 00:00:05,240 --> 00:00:06,000 b. 2 00:00:06,400 --> 00:00:10,720 Les erreurs de qualification juridique des faits. 3 00:00:10,960 --> 00:00:14,460 Le contrôle de la qualification juridique des faits va déjà un 4 00:00:14,660 --> 00:00:19,320 peu plus loin dans le contrôle exercé par le juge sur 5 00:00:19,520 --> 00:00:20,280 l'administration. 6 00:00:21,340 --> 00:00:25,280 L'administration qualifie des faits en permanence pour son activité. 7 00:00:25,920 --> 00:00:30,020 Tel comportement d'un fonctionnaire constitue une faute disciplinaire. 8 00:00:31,240 --> 00:00:35,500 Telle manifestation présente un risque de trouble à l'ordre public. 9 00:00:36,720 --> 00:00:41,080 Tel bâtiment est dans un état de dégradation que l'on peut qualifier 10 00:00:41,280 --> 00:00:43,540 de ruine. 11 00:00:43,920 --> 00:00:48,500 Tel candidat à un concours administratif n'a pas les qualités 12 00:00:48,700 --> 00:00:49,460 requises. 13 00:00:49,840 --> 00:00:52,780 Telle opération d'aménagement est d'utilité publique. 14 00:00:52,980 --> 00:00:56,300 Bref, vous le voyez, l'administration qualifie des faits, 15 00:00:56,500 --> 00:01:00,680 leur donne une appellation juridique, ce qui permet à l'administration 16 00:01:00,880 --> 00:01:03,720 d'en faire découler un certain régime. 17 00:01:04,660 --> 00:01:09,320 Le juge ne peut pas toujours apprécier la qualification des faits par 18 00:01:09,520 --> 00:01:16,020 l'administration, car parfois cela pourrait le conduire à se mettre 19 00:01:16,220 --> 00:01:18,840 à la place de l'administration, ce qui n'est pas admissible, 20 00:01:19,040 --> 00:01:19,820 je vous l'ai déjà dit. 21 00:01:20,020 --> 00:01:25,980 L'administration doit parfois avoir une liberté de choix totale ou 22 00:01:26,180 --> 00:01:27,620 très étendue. 23 00:01:28,220 --> 00:01:32,140 Cette liberté de choix dépend des textes qui s'appliquent à elle. 24 00:01:32,700 --> 00:01:36,560 Plus les textes sont précis, moins l'administration a de marges 25 00:01:36,760 --> 00:01:39,760 de manœuvre, et donc plus le juge peut la contrôler. 26 00:01:40,660 --> 00:01:44,760 Plus les textes sont vagues, au contraire, plus l'administration 27 00:01:44,960 --> 00:01:50,720 a de marges de manœuvre et moins le juge ne doit intervenir. 28 00:01:51,340 --> 00:01:54,320 En d'autres termes, plus l'activité administrative est encadrée, 29 00:01:54,560 --> 00:01:56,700 plus le juge exerce son contrôle sur la qualification. 30 00:01:57,960 --> 00:02:05,160 Et inversement, plus le juge contrôle l'administration, plus son activité 31 00:02:05,360 --> 00:02:06,680 est encadrée. 32 00:02:08,000 --> 00:02:16,830 Jusqu'aux années 1910, le Conseil d'État ne contrôlait 33 00:02:17,030 --> 00:02:17,790 pas l'appréciation des faits par l'administration. 34 00:02:17,990 --> 00:02:20,840 Il a fallu attendre un arrêt très important du Conseil d'État, 35 00:02:21,040 --> 00:02:25,520 très célèbre, un arrêt Gomel du 4 avril 1914. 36 00:02:26,120 --> 00:02:31,840 En l'espèce, Monsieur Gomel demandait la délivrance d'un permis de construire 37 00:02:32,040 --> 00:02:34,380 d'un immeuble sur la place Beauvau. 38 00:02:34,900 --> 00:02:39,860 Le préfet lui a refusé cette autorisation, au motif que la place 39 00:02:40,060 --> 00:02:46,840 constitue une perspective monumentale, au sens d'une loi de 1911. 40 00:02:48,540 --> 00:02:54,780 En plus de cela, le préfet a estimé que le projet de Monsieur Gomel 41 00:02:54,980 --> 00:02:57,680 portait atteinte à cette perspective monumentale. 42 00:02:58,800 --> 00:03:02,620 Dans son arrêt, le Conseil d'État contrôle la qualification retenue 43 00:03:02,820 --> 00:03:03,600 par l'administration. 44 00:03:04,180 --> 00:03:08,500 Il contrôle non seulement que la place Beauvau constitue bien une 45 00:03:08,700 --> 00:03:12,360 perspective monumentale, et deuxièmement, il vérifie que 46 00:03:12,560 --> 00:03:19,540 le projet de Monsieur Gomel porte atteinte à cette perspective 47 00:03:19,740 --> 00:03:20,500 monumentale. 48 00:03:20,700 --> 00:03:24,500 Et en l'espèce, le Conseil d'État estime que l'administration s'est 49 00:03:24,700 --> 00:03:25,620 méprise sur ces deux points. 50 00:03:26,100 --> 00:03:28,620 La place Beauvau n'est pas une perspective monumentale au sens 51 00:03:28,820 --> 00:03:34,040 de la loi de 1911, et le projet de Monsieur Gomel ne porte pas 52 00:03:34,240 --> 00:03:38,340 atteinte à cette absence de perspective monumentale. 53 00:03:38,540 --> 00:03:39,940 Donc la décision était illégale. 54 00:03:40,140 --> 00:03:43,240 La décision de refuser le permis de construire était illégale. 55 00:03:45,000 --> 00:03:48,380 Le contrôle de la qualification juridique des faits est donc plutôt 56 00:03:48,580 --> 00:03:51,480 ancien, mais il ne s'est pas imposé d'un coup. 57 00:03:52,580 --> 00:03:57,380 En effet, le juge a longtemps refusé d'opérer tout contrôle sur certaines 58 00:03:57,580 --> 00:04:00,900 qualifications, donc des qualifications qui restent en dehors de tout contrôle 59 00:04:01,100 --> 00:04:01,860 juridictionnel. 60 00:04:02,920 --> 00:04:06,080 Et d'ailleurs, il existe encore aujourd'hui quelques actes, 61 00:04:06,280 --> 00:04:09,760 très rares, qui ne peuvent pas faire l'objet d'un contrôle sur 62 00:04:09,960 --> 00:04:10,720 ce point. 63 00:04:10,920 --> 00:04:15,660 C'est-à-dire que le juge ne vérifie pas l'appréciation des faits par 64 00:04:15,860 --> 00:04:16,620 l'administration. 65 00:04:17,260 --> 00:04:20,360 C'est le cas, par exemple, de l'appréciation des mérites d'un 66 00:04:20,560 --> 00:04:24,810 candidat à un concours, ou alors de l'appréciation de la 67 00:04:25,010 --> 00:04:26,130 note à un examen. 68 00:04:26,330 --> 00:04:31,180 Le juge ne se met jamais à la place d'un jury de spécialistes. 69 00:04:31,380 --> 00:04:39,460 Il laisse ces jurys totalement libres de porter leur appréciation. 70 00:04:42,980 --> 00:04:47,160 À côté de ces actes qui ne peuvent pas du tout être contrôlés — qui sont, 71 00:04:47,360 --> 00:04:50,980 je vous l'ai dit, très peu nombreux, très rares dans la jurisprudence 72 00:04:51,180 --> 00:04:54,680 administrative —, à côté de ces actes qui ne peuvent pas faire 73 00:04:54,880 --> 00:04:57,640 l'objet d'un contrôle, il y en a d'autres qui font l'objet 74 00:04:57,840 --> 00:05:00,420 d'un contrôle que l'on appelle restreint. 75 00:05:00,820 --> 00:05:05,160 Dans ces hypothèses, le juge n'annule l'acte de 76 00:05:05,360 --> 00:05:10,380 l'administration que si celle-ci s'est gravement méprise lorsqu'elle 77 00:05:10,580 --> 00:05:12,380 a qualifié juridiquement un fait. 78 00:05:13,280 --> 00:05:18,880 Ces erreurs graves sont qualifiées d'erreurs manifestes d'appréciation. 79 00:05:21,360 --> 00:05:25,460 Dans les hypothèses de contrôle restreint, le juge laisse passer 80 00:05:25,660 --> 00:05:28,440 certaines erreurs, celles qui ne sont pas graves, celles qui ne 81 00:05:28,640 --> 00:05:30,420 sont pas manifestes. 82 00:05:30,660 --> 00:05:34,600 Ces erreurs-là, le juge considère qu'elles font partie de la marge 83 00:05:34,800 --> 00:05:36,080 d'appréciation de l'administration. 84 00:05:36,920 --> 00:05:40,760 Le juge, lui, se contente de sanctionner les erreurs graves. 85 00:05:41,000 --> 00:05:45,440 Celles-ci, il ne les laisse pas passer, ce qui peut entraîner donc la censure 86 00:05:45,640 --> 00:05:46,940 de la décision de l'administration. 87 00:05:48,400 --> 00:05:52,080 Les hypothèses de contrôle restreint sont assez ambivalentes. 88 00:05:52,280 --> 00:05:53,040 Pourquoi ? 89 00:05:53,660 --> 00:05:56,700 Parce qu'on peut les voir comme des avancées, d'un côté. 90 00:05:57,400 --> 00:06:02,940 En effet, lorsque le juge accepte de faire un contrôle limité à l'erreur 91 00:06:03,140 --> 00:06:06,120 manifeste d'appréciation, c'est qu'il accepte de faire un 92 00:06:06,320 --> 00:06:07,080 contrôle. 93 00:06:07,280 --> 00:06:10,860 C'est-à-dire que les actes qui passent dans cette catégorie du 94 00:06:11,060 --> 00:06:14,400 contrôle restreint sont des actes qui viennent de la catégorie des 95 00:06:14,600 --> 00:06:15,480 actes non contrôlés. 96 00:06:15,680 --> 00:06:19,140 Finalement, il y a un certain progrès entre les actes non contrôlés et 97 00:06:19,340 --> 00:06:22,410 ceux qui font l'objet d'un contrôle restreint. 98 00:06:22,610 --> 00:06:24,720 Au moins, il y a un contrôle, les erreurs manifestes d'appréciation 99 00:06:24,920 --> 00:06:25,680 ne passent pas. 100 00:06:26,500 --> 00:06:31,280 Mais aujourd'hui, à une époque où le contrôle de l'administration 101 00:06:31,480 --> 00:06:36,280 s'est approfondi, ces hypothèses de contrôle restreint sont perçues 102 00:06:36,480 --> 00:06:43,500 comme des reliquats d'une période durant laquelle le juge administratif 103 00:06:43,700 --> 00:06:46,140 n'exerçait pas un contrôle complet sur l'administration. 104 00:06:47,420 --> 00:06:51,780 Le contrôle restreint est de plus en plus rare aujourd'hui. 105 00:06:51,980 --> 00:06:57,940 Il concerne notamment l'appréciation des réponses des entreprises aux 106 00:06:58,140 --> 00:06:59,700 appels d'offres de l'administration. 107 00:07:00,920 --> 00:07:04,040 Le contrôle restreint concerne également par exemple la fixation 108 00:07:04,240 --> 00:07:08,560 d'un tarif de l'électricité, une décision de classement. 109 00:07:08,760 --> 00:07:11,780 Par exemple, classement d'un terrain comme inconstructible. 110 00:07:12,040 --> 00:07:16,760 Le juge ne sanctionne pas toutes les erreurs, il ne sanctionne que 111 00:07:16,960 --> 00:07:18,980 les erreurs manifestes d'appréciation. 112 00:07:19,180 --> 00:07:22,040 Pareil, par exemple, pour la fixation d'un programme 113 00:07:22,240 --> 00:07:23,100 scolaire. 114 00:07:23,400 --> 00:07:27,200 Cette décision-là ne fait l'objet que d'un contrôle restreint. 115 00:07:27,860 --> 00:07:33,320 Le problème de ces contrôles restreints, c'est justement qu'il 116 00:07:33,520 --> 00:07:38,960 n'y a pas de critère particulier sur lequel se fonderait le juge 117 00:07:39,160 --> 00:07:42,700 pour dire que le contrôle doit être limité à l'erreur manifeste 118 00:07:42,900 --> 00:07:43,660 d'appréciation. 119 00:07:43,860 --> 00:07:47,980 Il y a une liste, qu'il n'y a évidemment aucun besoin d'apprendre. 120 00:07:48,340 --> 00:07:51,900 Il y a simplement des exemples que je vous ai cités ici, 121 00:07:52,200 --> 00:07:55,620 cette liste n'étant absolument pas exhaustive. 122 00:07:57,220 --> 00:07:59,880 Dans toutes les autres hypothèses, c'est-à-dire celles qui ne sont 123 00:08:00,080 --> 00:08:04,180 pas des hypothèses de contrôle restreint ou celles qui ne sont 124 00:08:04,380 --> 00:08:07,900 pas des hypothèses de non-contrôle, d'absence totale de contrôle, 125 00:08:09,700 --> 00:08:12,900 le juge réalise un contrôle que l'on qualifie de normal, 126 00:08:13,320 --> 00:08:19,540 c'est-à-dire qu'il vérifie l'exactitude de la qualification retenue par 127 00:08:19,740 --> 00:08:20,500 l'administration. 128 00:08:20,700 --> 00:08:22,500 Et sur ça, il n'y a rien à dire de spécial. 129 00:08:22,800 --> 00:08:26,960 Le juge censure toute erreur et pas seulement les erreurs graves. 130 00:08:28,860 --> 00:08:33,720 À côté du contrôle de la qualification, le contrôle de l'adéquation. 131 00:08:33,920 --> 00:08:34,680 c. 132 00:08:34,880 --> 00:08:39,460 Le défaut d'adéquation entre la décision et les faits. 133 00:08:39,660 --> 00:08:43,060 C'est le dernier aspect du contrôle de l'administration, et c'est même 134 00:08:43,260 --> 00:08:45,440 l'aspect le plus poussé de ce contrôle. 135 00:08:46,260 --> 00:08:51,240 Le juge peut aller au-delà du contrôle de la qualification des faits par 136 00:08:51,440 --> 00:08:56,220 l'administration, en vérifiant si la décision prise par 137 00:08:56,420 --> 00:08:59,720 l'administration est adaptée à ces faits. 138 00:09:00,540 --> 00:09:04,020 Pour le dire d'une autre manière, un requérant peut demander au juge 139 00:09:04,220 --> 00:09:08,680 de dire que l'administration aurait pu prendre un acte plus adéquat, 140 00:09:08,880 --> 00:09:14,840 plus satisfaisant pour atteindre son but, plus susceptible d'atteindre 141 00:09:15,040 --> 00:09:20,560 ce but en préservant les droits des administrés, donc prendre un 142 00:09:20,760 --> 00:09:24,940 acte plus adéquat, voire que l'administration aurait mieux fait 143 00:09:25,140 --> 00:09:28,640 de s'abstenir de prendre tout acte administratif. 144 00:09:29,980 --> 00:09:39,520 Dans ces cas-là, le requérant invite le juge administratif à se mettre 145 00:09:39,720 --> 00:09:41,500 un peu à la place de l'administration. 146 00:09:42,100 --> 00:09:44,800 Et on retrouve ici un contrôle que vous connaissez en réalité, 147 00:09:45,120 --> 00:09:47,780 il s'agit du contrôle de proportionnalité que nous avons 148 00:09:47,980 --> 00:09:50,580 vu à plusieurs reprises au premier semestre. 149 00:09:50,840 --> 00:09:53,080 Contrôle de proportionnalité des mesures de police. 150 00:09:53,680 --> 00:09:58,360 Le juge vérifie que la décision de police prise par l'administration, 151 00:09:58,560 --> 00:10:04,040 la mesure de police prise par l'administration est nécessaire 152 00:10:04,240 --> 00:10:05,240 pour atteindre son but. 153 00:10:06,080 --> 00:10:11,020 Le juge vérifie que cette mesure de police est celle qui est la 154 00:10:11,220 --> 00:10:15,440 moins contraignante pour assurer la sauvegarde de l'ordre public. 155 00:10:16,280 --> 00:10:18,440 Donc contrôle de proportionnalité des mesures de police. 156 00:10:19,100 --> 00:10:21,760 Contrôle de proportionnalité des mesures de réquisition. 157 00:10:22,020 --> 00:10:23,280 Je vous en ai parlé également. 158 00:10:24,400 --> 00:10:30,560 2013, Fédération FO Énergie et Mines, l'administration ne peut avoir 159 00:10:30,760 --> 00:10:35,260 recours à la réquisition de salariés que si l'atteinte à la continuité 160 00:10:35,460 --> 00:10:39,660 du service public risque d'entraîner des conséquences particulièrement 161 00:10:39,860 --> 00:10:40,620 graves. 162 00:10:40,820 --> 00:10:43,060 Encore une fois, il s'agit d'un contrôle de l'adéquation entre 163 00:10:43,260 --> 00:10:50,940 la mesure, la réquisition et les faits, la gravité de l'atteinte à l'intérêt 164 00:10:51,140 --> 00:10:51,900 général. 165 00:10:53,700 --> 00:10:57,500 Troisième exemple : le contrôle des différences de traitement qui 166 00:10:57,700 --> 00:11:00,800 sont mises en place par l'administration sur le fondement 167 00:11:01,000 --> 00:11:03,400 d'un but d'intérêt général. 168 00:11:04,180 --> 00:11:07,580 Ces différences de traitement doivent être proportionnées à ce but d'intérêt 169 00:11:07,780 --> 00:11:08,540 général. 170 00:11:08,740 --> 00:11:12,940 Ici encore, le juge administratif vérifie que la décision qui est 171 00:11:13,140 --> 00:11:17,320 prise est adéquate par rapport aux faits. 172 00:11:18,260 --> 00:11:23,500 Autre excellent exemple de contrôle de l'adéquation de la décision 173 00:11:23,700 --> 00:11:26,400 aux faits : le contrôle des sanctions disciplinaires. 174 00:11:29,060 --> 00:11:37,940 Depuis 2013, le Conseil d'État juge de la proportionnalité des 175 00:11:38,140 --> 00:11:41,460 sanctions qui sont prononcées à l'encontre des fonctionnaires. 176 00:11:42,160 --> 00:11:48,940 Le juge peut vérifier que la sanction infligée à un agent public est 177 00:11:49,140 --> 00:11:52,340 proportionnée à la gravité de la faute qu'il a commise. 178 00:11:52,620 --> 00:11:55,380 Et d'ailleurs, j'évoquerai ici un autre point pour faire le lien 179 00:11:55,580 --> 00:11:58,160 avec la qualification juridique des faits dont j'ai parlé avant. 180 00:11:59,040 --> 00:12:02,740 Prenons une sanction disciplinaire, disons une suspension de trois 181 00:12:02,940 --> 00:12:09,040 mois prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire qui a commis une faute. 182 00:12:09,240 --> 00:12:16,240 D'abord, l'administration qualifie les faits de faute disciplinaire. 183 00:12:16,720 --> 00:12:19,540 C'est la première étape, qualification juridique des faits. 184 00:12:19,740 --> 00:12:23,100 Et sur cette qualification juridique des faits, le juge administratif 185 00:12:23,300 --> 00:12:24,400 exerce un contrôle normal. 186 00:12:24,800 --> 00:12:28,700 Il vérifie que les faits constituent bien ce que l'administration a 187 00:12:28,900 --> 00:12:31,560 qualifié de faute. 188 00:12:33,100 --> 00:12:38,300 Et deuxièmement, deuxième étape du contrôle, le juge vérifie que 189 00:12:38,500 --> 00:12:45,040 la sanction de trois mois de suspension est proportionnée à la gravité 190 00:12:45,240 --> 00:12:46,000 de la faute. 191 00:12:46,200 --> 00:12:51,040 Et là, c'est l'étape contrôle de l'adéquation entre la décision prise, 192 00:12:51,580 --> 00:12:56,540 la sanction de trois mois de suspension, et la gravité de la faute, 193 00:12:56,740 --> 00:12:58,620 c'est-à-dire les faits. 194 00:12:59,400 --> 00:13:03,740 Le contrôle de l'adéquation prend parfois une forme très particulière. 195 00:13:03,940 --> 00:13:10,920 C'est ce que l'on appelle le contrôle du bilan coûts/avantages. 196 00:13:12,000 --> 00:13:16,300 C'est un arrêt important qui a créé ce bilan coûts/avantages : 197 00:13:16,580 --> 00:13:22,560 Ville Nouvelle-Est, 28 mai 1971, arrêt du Conseil d'État. 198 00:13:23,740 --> 00:13:27,620 Dans cette affaire, le Conseil d'État a jugé que le juge administratif 199 00:13:27,820 --> 00:13:32,400 devait réaliser un contrôle du bilan coûts/avantages pour les 200 00:13:32,600 --> 00:13:35,960 projets d'aménagement urbains, les grands projets commerciaux, 201 00:13:36,360 --> 00:13:39,480 les constructions d'infrastructures, voies routières, ferrées, 202 00:13:39,680 --> 00:13:42,780 ponts, tunnels, barrages, lignes à haute tension, 203 00:13:43,040 --> 00:13:43,800 etc. 204 00:13:44,860 --> 00:13:48,900 Le juge, dans ces différentes hypothèses, peut être saisi d'un 205 00:13:49,100 --> 00:13:52,280 recours pour excès de pouvoir contre un acte qui relève de la procédure 206 00:13:52,480 --> 00:13:54,180 préalable à l'autorisation. 207 00:13:54,900 --> 00:13:59,420 Par exemple, contre une déclaration d'utilité publique préalable à 208 00:13:59,620 --> 00:14:07,280 l'expropriation pour la construction d'un quartier ou pour la construction 209 00:14:07,480 --> 00:14:09,180 d'une voie ferrée. 210 00:14:09,560 --> 00:14:14,720 Dans la procédure qui conduit à l'expropriation des particuliers 211 00:14:14,920 --> 00:14:19,820 permettant le passage de la voie, il y a des décisions qui sont prises. 212 00:14:20,020 --> 00:14:23,040 Et les particuliers, les propriétaires concernés peuvent 213 00:14:23,240 --> 00:14:25,740 contester ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir. 214 00:14:25,940 --> 00:14:29,120 Et ils peuvent invoquer, devant le juge de l'excès de pouvoir, 215 00:14:29,320 --> 00:14:36,000 le moyen tiré de l'absence d'adéquation entre la décision et les faits 216 00:14:36,200 --> 00:14:40,220 dans un cadre particulier qui s'appelle le bilan coûts/avantages. 217 00:14:40,440 --> 00:14:43,380 En quoi consiste ce bilan coûts/avantages ? 218 00:14:44,020 --> 00:14:50,580 Si les inconvénients d'un projet dépassent largement les avantages 219 00:14:50,780 --> 00:14:54,640 qui sont attendus de ce projet, l'acte est illégal. 220 00:14:55,300 --> 00:14:59,500 Le juge tient compte notamment du coût financier du projet, 221 00:15:00,260 --> 00:15:05,740 de ses inconvénients environnementaux, mais aussi et surtout presque du 222 00:15:05,940 --> 00:15:08,580 risque d'atteinte aux droits des administrés. 223 00:15:08,920 --> 00:15:18,300 Parce que, je vous l'ai justement cité, la construction d'une voie ferrée 224 00:15:18,500 --> 00:15:19,260 sur des propriétés privées implique au préalable leur expropriation. 225 00:15:19,460 --> 00:15:21,200 Il est possible qu'en raison de l'importance des expropriations 226 00:15:21,400 --> 00:15:30,420 en cause, du nombre de propriétaires concernés, les inconvénients du 227 00:15:30,620 --> 00:15:33,880 projet dépassent les intérêts qu'il présente. 228 00:15:34,260 --> 00:15:37,300 Et dans ce cas-là, le juge peut annuler la décision. 229 00:15:39,100 --> 00:15:44,000 Cette jurisprudence est tout à fait satisfaisante, elle est 230 00:15:44,200 --> 00:15:48,700 convaincante dans son esprit, etc., mais il faut bien noter que 231 00:15:48,900 --> 00:15:53,660 le juge administratif annule très rarement des grands projets 232 00:15:53,860 --> 00:15:54,660 d'infrastructure. 233 00:15:55,940 --> 00:15:58,720 Cette jurisprudence, Ville Nouvelle-Est, a notamment 234 00:15:58,920 --> 00:16:03,100 été appliquée pour des projets d'envergure départementale ou 235 00:16:03,300 --> 00:16:05,780 régionale, mais jamais pour des projets d'envergure nationale. 236 00:16:06,220 --> 00:16:10,920 Le juge exige vraiment qu'il y ait beaucoup d'inconvénients pour 237 00:16:11,120 --> 00:16:13,580 censurer un projet de ce type. 238 00:16:14,440 --> 00:16:18,340 Il faut bien voir que c'est très important, et je terminerai par là, 239 00:16:18,780 --> 00:16:24,420 aucun grand projet d'infrastructure est dépourvu d'inconvénients. 240 00:16:24,920 --> 00:16:26,980 Tout est question d'équilibre en la matière. 241 00:16:27,180 --> 00:16:29,160 Et c'est justement tout l'intérêt de cette jurisprudence, 242 00:16:30,180 --> 00:16:37,190 faire le bilan entre d'un côté la satisfaction des besoins d'intérêt 243 00:16:37,390 --> 00:16:39,320 général — besoin en transport, en énergie, en assainissement, 244 00:16:39,620 --> 00:16:40,380 etc. 245 00:16:40,580 --> 00:16:43,000 —, et de l'autre côté, les inconvénients pour la population 246 00:16:43,200 --> 00:16:45,380 et pour l'environnement tout entier. 247 00:16:46,020 --> 00:16:49,200 L'équilibre entre les deux n'est jamais simple à faire.