1 00:00:05,360 --> 00:00:09,860 Cherchons maintenant la solution du conflit de lois dans le temps 2 00:00:10,060 --> 00:00:14,080 en présence de dispositions transitoires dans la loi nouvelle. 3 00:00:15,320 --> 00:00:19,060 La première chose à faire lorsque l'on cherche la solution d'un conflit 4 00:00:19,260 --> 00:00:23,420 de lois dans le temps est de regarder si le législateur l'a donné lui-même 5 00:00:23,620 --> 00:00:25,620 dans la loi qu'il a votée. 6 00:00:25,820 --> 00:00:30,360 Car il suffira alors de suivre ce qu'a dit le législateur qui 7 00:00:30,560 --> 00:00:32,560 est en principe souverain sur le sujet. 8 00:00:33,140 --> 00:00:37,160 On verra cependant que de curieuses limites sont aujourd'hui apportées 9 00:00:37,360 --> 00:00:38,940 par le juge à cette souveraineté. 10 00:00:39,140 --> 00:00:42,040 Mais d'abord, la souveraineté du législateur. 11 00:00:43,020 --> 00:00:48,220 Le législateur contemporain règle très souvent lui-même le conflit 12 00:00:48,420 --> 00:00:52,340 de lois dans le temps dans ce que l'on appelle des dispositions 13 00:00:52,540 --> 00:00:55,840 transitoires de la loi nouvelle qui en fixent le domaine d'application 14 00:00:56,040 --> 00:01:00,280 dans le temps et qui figurent en général vers la fin de la loi dans 15 00:01:00,480 --> 00:01:03,720 un chapitre intitulé dispositions transitoires et diverses ou 16 00:01:03,920 --> 00:01:06,500 dispositions finales et transitoires, des choses comme ça. 17 00:01:07,340 --> 00:01:12,680 Et le législateur le fait en principe comme il le veut, il est souverain 18 00:01:12,880 --> 00:01:13,860 à cet égard. 19 00:01:14,240 --> 00:01:18,680 Alors, bien sûr, l'article 2 du Code civil pose, comme on le verra 20 00:01:18,880 --> 00:01:22,600 dans le paragraphe suivant, un principe de non-rétroactivité 21 00:01:22,800 --> 00:01:23,560 des lois. 22 00:01:23,760 --> 00:01:27,080 Mais en matière civile, ce principe n'est que de valeur 23 00:01:27,280 --> 00:01:29,520 législative et non pas constitutionnelle. 24 00:01:30,060 --> 00:01:34,160 Il en va différemment en matière pénale avec l'article 8 de la 25 00:01:34,360 --> 00:01:37,000 Déclaration des droits de l'homme qui proclame que "nul ne peut être 26 00:01:37,200 --> 00:01:42,360 puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit", 27 00:01:42,560 --> 00:01:43,320 c'est très important. 28 00:01:43,720 --> 00:01:48,820 Mais cette non-rétroactivité des lois s'impose donc au législateur, 29 00:01:49,020 --> 00:01:51,240 sauf pour les lois pénales plus douces puisque justement, 30 00:01:51,440 --> 00:01:54,360 on va moins punir ou même ne pas punir un fait qui précédemment 31 00:01:54,560 --> 00:01:57,360 a été puni donc là, ça va bien, mais les lois pénales plus dures, 32 00:01:57,560 --> 00:02:00,440 elles ne peuvent pas être rétroactives, ça s'impose au législateur. 33 00:02:00,640 --> 00:02:06,120 En revanche, cette non-rétroactivité de principe ne s'impose pas au 34 00:02:06,320 --> 00:02:10,220 législateur civil puisqu'en matière civile, elle n'est prévue que par 35 00:02:10,420 --> 00:02:11,180 une loi ordinaire. 36 00:02:11,500 --> 00:02:16,880 Par une autre loi, le législateur peut dans des dispositions spécifiques 37 00:02:17,080 --> 00:02:20,020 préciser, adopter une position différente. 38 00:02:20,220 --> 00:02:24,100 Du moins, le législateur au sens strict le peut-il, c'est-à-dire 39 00:02:24,300 --> 00:02:29,800 le Parlement, la non-rétroactivité, en revanche, s'impose au pouvoir 40 00:02:30,000 --> 00:02:33,560 réglementaire en tant que principe fondamental relevant du domaine 41 00:02:33,760 --> 00:02:34,520 de la loi. 42 00:02:35,200 --> 00:02:40,140 Un décret ne peut donc pas être rétroactif, sauf s'il s'agit d'un 43 00:02:40,340 --> 00:02:44,100 décret d'application d'une loi qui s'est dite elle-même rétroactive. 44 00:02:44,440 --> 00:02:47,940 Auquel cas, c'est la rétroactivité de la loi qui va imprimer, 45 00:02:48,140 --> 00:02:50,500 qui va donner ce même caractère au décret. 46 00:02:51,740 --> 00:02:54,960 Le pouvoir législatif, en tout cas, peut tout faire dans 47 00:02:55,160 --> 00:02:57,120 des dispositions transitoires d'une loi. 48 00:02:57,380 --> 00:02:58,140 Qu'est-ce qu'il peut faire ? 49 00:02:58,380 --> 00:03:01,760 Il peut prévoir qu'une loi sera rétroactive, c'est-à-dire qu'elle 50 00:03:01,960 --> 00:03:05,680 s'appliquera à certaines situations qui ont déjà produit tous leurs 51 00:03:05,880 --> 00:03:08,120 effets et qu'elles désignent. 52 00:03:08,580 --> 00:03:12,560 Alors, évidemment, ceci a des inconvénients qui ont été évoqués, 53 00:03:13,120 --> 00:03:14,760 c'est l'insécurité juridique. 54 00:03:14,980 --> 00:03:19,580 Les inconvénients sont ici au maximum et le législateur n'adopte que 55 00:03:19,780 --> 00:03:24,280 très rarement des dispositions rétroactives, du moins en matière 56 00:03:24,480 --> 00:03:25,240 civile. 57 00:03:25,820 --> 00:03:28,360 En matière fiscale, ça, il le fait souvent, il le fait 58 00:03:28,560 --> 00:03:31,480 même presque chaque année, s'agissant de l'impôt sur le revenu, 59 00:03:32,460 --> 00:03:38,120 celui qui sera perçu dans une année N sera relatif aux revenus de l'année 60 00:03:38,320 --> 00:03:39,080 N-1. 61 00:03:39,280 --> 00:03:42,180 Or, l'impôt de l'année N, il va être voté à la fin de l'année 62 00:03:42,380 --> 00:03:45,520 N-1, donc avec des dispositions concrètement rétroactives. 63 00:03:46,220 --> 00:03:48,580 Mais en matière civile, c'est extrêmement rare. 64 00:03:49,440 --> 00:03:52,540 Nous avons tout de même un exemple célèbre qui est celui de la loi 65 00:03:52,740 --> 00:03:58,060 du 17 nivôse an II, donc en 1794, sur les successions et qui imposait 66 00:03:58,260 --> 00:04:03,520 le partage de toutes les successions ouvertes depuis 1789 et toutes 67 00:04:03,720 --> 00:04:07,520 les successions à venir, bien sûr, sur la base des nouvelles 68 00:04:07,720 --> 00:04:09,660 règles avec plus d'égalité qu'auparavant. 69 00:04:09,860 --> 00:04:14,520 Mais ça a imposé, en fait, de reliquider des successions qui 70 00:04:14,720 --> 00:04:19,660 avaient déjà été partagées entre 1789 et 1794, ce qui a été d'une 71 00:04:19,860 --> 00:04:21,020 complexité considérable. 72 00:04:21,720 --> 00:04:25,720 Le souvenir est tel que le législateur, en fait, n'a quasiment jamais refait 73 00:04:25,920 --> 00:04:30,780 de lois rétroactives en matière civile, sauf à relever l'article 21 de 74 00:04:30,980 --> 00:04:33,780 la loi du 17 mai 2013, que vous pourrez trouver dans votre 75 00:04:33,980 --> 00:04:40,520 Code civil, où le législateur ici a voulu valider des mariages contractés 76 00:04:40,720 --> 00:04:44,000 entre deux personnes de même sexe avant l'entrée en vigueur de cette loi, 77 00:04:44,760 --> 00:04:48,220 alors que s'agissant de Français, à supposer qu'ils aient contracté, 78 00:04:48,460 --> 00:04:51,240 allez mettons à l'étranger, des mariages de ce type, 79 00:04:51,580 --> 00:04:55,680 avant la loi, ces mariages étaient nuls, la loi a voulu les valider 80 00:04:56,500 --> 00:04:57,260 rétroactivement. 81 00:04:57,760 --> 00:05:02,400 Alors, sans aller aussi loin qu'une telle rétroactivité, 82 00:05:03,080 --> 00:05:06,680 les dispositions transitoires d'une loi peuvent la dire applicable 83 00:05:06,880 --> 00:05:10,920 aux situations en cours, qu'il s'agisse de situations légales 84 00:05:11,120 --> 00:05:12,900 ou de situations contractuelles. 85 00:05:13,100 --> 00:05:16,180 Et même, elles peuvent chercher à la dire applicable aux instances 86 00:05:16,380 --> 00:05:21,380 en cours devant les tribunaux, qui ont pourtant commencé à examiner 87 00:05:21,580 --> 00:05:24,080 une affaire à la lumière de la loi ancienne. 88 00:05:24,540 --> 00:05:30,900 Et nous avons ici, à cet égard, l'exemple de la loi du 3 décembre 89 00:05:31,100 --> 00:05:34,940 2001 en matière successorale, avec l'article 25 de cette loi, 90 00:05:35,140 --> 00:05:37,540 vous pourrez regarder ces dispositions transitoires. 91 00:05:38,200 --> 00:05:41,760 Voici que la loi s'est dit en principe applicable aux successions ouvertes 92 00:05:41,960 --> 00:05:44,020 après son entrée en vigueur, tout va bien. 93 00:05:44,960 --> 00:05:50,660 Mais certaines dispositions de la loi de 2001 ont été déclarées aptes, 94 00:05:50,860 --> 00:05:54,200 même aux successions ouvertes avant la publication de la loi, 95 00:05:54,940 --> 00:05:58,280 mais des successions qui n'étaient pas encore partagées à cette date, 96 00:05:58,900 --> 00:06:02,080 donc situations en cours, situations légales en cours. 97 00:06:02,480 --> 00:06:08,040 De même, la loi du 6 juillet 1989 sur les baux, avec son article 25, 98 00:06:08,580 --> 00:06:10,180 a abrogé la loi de 1986. 99 00:06:10,380 --> 00:06:15,900 Mais elle a précisé que les contrats antérieurement conclus et en cours 100 00:06:16,100 --> 00:06:20,320 à cette date demeuraient soumis aux dispositions antérieures, 101 00:06:20,520 --> 00:06:24,600 très bien, sauf un certain nombre d'articles, précisément énumérés, 102 00:06:24,800 --> 00:06:28,280 que le législateur a dit applicable immédiatement aux contrats, 103 00:06:28,480 --> 00:06:31,400 même en cours, à la date d'entrée en vigueur de la loi. 104 00:06:32,880 --> 00:06:39,020 Et on peut relever encore l'article 33 de la loi du 26 mai 2004, 105 00:06:39,260 --> 00:06:43,360 relatif au divorce, où le législateur a dit que la loi s'appliquait aux 106 00:06:43,560 --> 00:06:47,380 procédures de divorce en cours, introduite avant son entrée en 107 00:06:47,580 --> 00:06:51,280 vigueur dès lors qu'elle n'avait pas donné lieu déjà à des décisions. 108 00:06:52,020 --> 00:06:55,400 Et dans ces dispositions transitoires, vous pourrez aller voir aussi, 109 00:06:55,600 --> 00:06:58,180 parce qu'elles sont très intéressantes, les dispositions transitoires de 110 00:06:58,380 --> 00:07:01,680 la loi 17 juin 2008, qui a réformé la prescription, 111 00:07:01,880 --> 00:07:06,080 à l'article 26, où l'on voit que le législateur détaille minutieusement 112 00:07:06,280 --> 00:07:10,920 comment les nouvelles règles qui ont réduit le délai de prescription, 113 00:07:11,120 --> 00:07:13,840 fixé la prescription instinctive en principe à cinq ans, 114 00:07:14,360 --> 00:07:18,540 ont été appliquées aux prescriptions qui étaient déjà en cours, 115 00:07:19,060 --> 00:07:22,100 au moment où la loi a été adoptée. 116 00:07:22,520 --> 00:07:30,580 Alors, un effet voisin de l'application aux situations en cours est atteint 117 00:07:30,780 --> 00:07:36,580 lorsque la loi nouvelle se dite interprétative d'une loi ancienne, 118 00:07:36,880 --> 00:07:38,560 d'une loi antérieure. 119 00:07:38,940 --> 00:07:44,260 Le but est de fixer le sens de cette loi antérieure qui a soulevé 120 00:07:44,460 --> 00:07:49,320 des difficultés et de lever un doute qui est apparu après sa 121 00:07:49,520 --> 00:07:50,280 promulgation. 122 00:07:50,480 --> 00:07:55,540 On considère alors que la loi interprétative fait corps avec 123 00:07:55,740 --> 00:07:59,880 la loi ancienne, qu'elle n'est pas en réalité une loi nouvelle 124 00:08:00,080 --> 00:08:04,440 distincte puisqu'elle explique seulement la loi ancienne. 125 00:08:05,220 --> 00:08:10,280 En conséquence, la loi interprétative rétroagit au jour où la loi ancienne 126 00:08:10,480 --> 00:08:13,500 est entrée en vigueur et elle s'applique même aux instances 127 00:08:13,700 --> 00:08:17,840 judiciaires en cours dans lesquelles la loi obscure doit être appliquée. 128 00:08:18,180 --> 00:08:22,740 Les juges appliqueront la loi antérieure dans l'interprétation 129 00:08:22,940 --> 00:08:26,640 que vient d'en donner le législateur et ça a été spécialement le cas 130 00:08:26,840 --> 00:08:32,800 avec la loi du 3 décembre 2001 qui a voulu donner une interprétation 131 00:08:33,000 --> 00:08:39,260 des articles 734 à 737 nouveaux 132 00:08:39,460 --> 00:08:43,960 du Code civil qui avaient soulevé une difficulté sur le concours 133 00:08:44,160 --> 00:08:47,420 entre le conjoint survivant et certains ascendants, comment fallait-il 134 00:08:47,620 --> 00:08:48,380 interpréter cela ? 135 00:08:49,020 --> 00:08:54,060 L'article 738-1 nouveau du Code civil a voulu préciser les choses 136 00:08:54,260 --> 00:08:57,820 et dans les dispositions transitoires de la loi, c'est l'article 47, 137 00:08:59,860 --> 00:09:04,880 le législateur a dit que le nouvel article 738-1 était applicable 138 00:09:05,080 --> 00:09:08,600 même aux instances en cours et aux successions ouvertes à compter 139 00:09:08,800 --> 00:09:11,100 de l'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001. 140 00:09:11,300 --> 00:09:15,660 C'est exactement le système du caractère interprétatif des lois. 141 00:09:17,980 --> 00:09:21,500 D'ailleurs le législateur aurait très bien pu dire que la loi seulement 142 00:09:21,700 --> 00:09:23,960 était interprétative, sans préciser rien d'autre, 143 00:09:24,160 --> 00:09:26,840 ça aurait eu pour conséquence que son champ d'application dans le 144 00:09:27,040 --> 00:09:30,360 temps aurait été le même que celui de la loi du 3 décembre 2001. 145 00:09:30,800 --> 00:09:33,840 On peut relever aussi que même lorsque le législateur ne dit pas 146 00:09:34,040 --> 00:09:37,420 expressément qu'une loi est interprétative, si le juge estime 147 00:09:37,620 --> 00:09:41,020 qu'un nouveau texte est interprétatif d'un texte antérieur, 148 00:09:41,400 --> 00:09:45,560 alors il lui donnera dans le temps le même champ d'application que 149 00:09:45,760 --> 00:09:46,540 le texte antérieur. 150 00:09:47,080 --> 00:09:51,180 Il n'est pas nécessaire que le législateur l'édicte expressément. 151 00:09:52,460 --> 00:09:55,800 Inversement, les dispositions transitoires spécifiques peuvent 152 00:09:56,000 --> 00:09:58,620 prévoir que des situations contractuelles ou même non 153 00:09:58,820 --> 00:10:02,260 contractuelles en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi 154 00:10:02,460 --> 00:10:05,740 nouvelle resteront régies par la loi ancienne. 155 00:10:06,300 --> 00:10:10,260 Par exemple, nous avons eu avec la loi du 6 juillet 1989 toute 156 00:10:10,460 --> 00:10:13,620 une série de textes antérieurs qui sont restés applicables et 157 00:10:13,820 --> 00:10:17,040 qui n'ont pas été modifiés pour les contrats en cours par la loi 158 00:10:17,240 --> 00:10:18,000 nouvelle. 159 00:10:18,920 --> 00:10:21,940 Enfin, il arrive que les dispositions transitoires d'une loi se contentent 160 00:10:22,140 --> 00:10:26,500 de dire que celle-ci sera applicable pour l'avenir seulement et qu'elle 161 00:10:26,700 --> 00:10:27,860 ne rétroagira pas. 162 00:10:28,180 --> 00:10:31,200 Ça, ça ne sert pas à grand-chose, c'est une évidence. 163 00:10:31,700 --> 00:10:34,660 Il n'est pas nécessaire de le dire expressément, mais lorsque le 164 00:10:34,860 --> 00:10:37,420 législateur l'indique par exemple dans une loi du 14 novembre 2006 165 00:10:37,620 --> 00:10:39,500 à l'article 10, on voit exactement cela. 166 00:10:40,160 --> 00:10:45,520 Lorsqu'il l'indique, cela révèle au fond que les 167 00:10:45,720 --> 00:10:49,060 dispositions transitoires ont acquis une importance très grande aujourd'hui 168 00:10:49,260 --> 00:10:53,080 dans l'esprit du législateur, que les dispositions transitoires 169 00:10:53,280 --> 00:10:57,820 sont un élément de la politique législative, que lorsque le législateur 170 00:10:58,020 --> 00:11:02,520 opère une réforme, il ne se désintéresse pas de savoir à qui 171 00:11:02,720 --> 00:11:04,160 cette réforme va s'appliquer. 172 00:11:04,520 --> 00:11:08,020 Il éprouve le besoin au fond de le préciser, même lorsqu'au fond 173 00:11:08,220 --> 00:11:13,090 s'il ne disait rien, la solution serait la même. 174 00:11:13,290 --> 00:11:15,460 La question du droit transitoire fait un partie intégrante aujourd'hui 175 00:11:15,660 --> 00:11:16,460 de la réforme. 176 00:11:16,820 --> 00:11:19,980 Et le législateur lui apporte la réponse qu'il juge appropriée. 177 00:11:20,180 --> 00:11:21,120 Et il est souverain. 178 00:11:21,360 --> 00:11:25,680 Il est souverain, sauf que cette souveraineté est aujourd'hui combattue 179 00:11:25,880 --> 00:11:28,940 à certains égards par le juge contemporain. 180 00:11:29,300 --> 00:11:32,140 Et ce sont les limites jurisprudentielles au pouvoir du 181 00:11:32,340 --> 00:11:33,700 législateur que nous voyons maintenant. 182 00:11:34,480 --> 00:11:38,580 Alors, ces limites ne proviennent guère en matière civile d'exigence 183 00:11:38,780 --> 00:11:42,060 constitutionnelle, parce que le principe de rétroactivité n'est 184 00:11:42,260 --> 00:11:47,060 que de valeur législative, le pouvoir législatif peut donc 185 00:11:47,260 --> 00:11:48,200 s'en affranchir, on l'a dit. 186 00:11:48,920 --> 00:11:51,960 Tout au plus, le Conseil constitutionnel a-t-il rappelé 187 00:11:52,160 --> 00:11:56,520 que certaines limites pouvaient exister dans cette rétroactivité. 188 00:11:56,820 --> 00:11:57,620 Ah, tout de même ! 189 00:11:58,000 --> 00:12:02,400 Ainsi, le principe d'indépendance des juridictions s'opposerait à 190 00:12:02,600 --> 00:12:07,440 ce qu'une loi préjudicie aux personnes dont les droits ont déjà été reconnus 191 00:12:07,640 --> 00:12:10,680 par une décision passée en force de choses jugées. 192 00:12:11,260 --> 00:12:15,240 Mais précisément, le législateur ne va jamais jusque-là, 193 00:12:15,440 --> 00:12:17,140 en tout cas aujourd'hui. 194 00:12:18,440 --> 00:12:21,760 Des limites aussi, le Conseil constitutionnel en a tracé pour 195 00:12:21,960 --> 00:12:25,880 les lois de validation, c'est-à-dire des lois destinées 196 00:12:26,080 --> 00:12:30,720 à reconnaître la validité d'actes qui, en réalité, sont promis à une 197 00:12:30,920 --> 00:12:35,060 annulation inéluctable par le juge, car les conditions de leur validité 198 00:12:35,260 --> 00:12:38,600 n'ont pas toutes été respectées lors de la formation de ces actes. 199 00:12:39,040 --> 00:12:42,940 Des lois de validation peuvent être prises, mais dans certaines 200 00:12:43,140 --> 00:12:43,900 limites seulement. 201 00:12:44,100 --> 00:12:47,520 Elles doivent reposer sur des motifs d'intérêt général et ne pas 202 00:12:47,720 --> 00:12:50,560 compromettre le droit à un recours effectif. 203 00:12:50,960 --> 00:12:55,200 Alors, il est assez rare qu'une loi rétroactive soit censurée par 204 00:12:55,400 --> 00:12:58,960 le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire que celui-ci estime 205 00:12:59,160 --> 00:13:02,020 que les limites qu'il a posées sont dépassées. 206 00:13:02,220 --> 00:13:08,620 C'est assez rare, mais nous avons des limites qui sont plus prégnantes 207 00:13:08,820 --> 00:13:16,240 maintenant, qui sont celles tirées d'exigences de la Convention européenne 208 00:13:16,440 --> 00:13:17,200 des droits de l'homme. 209 00:13:18,420 --> 00:13:20,320 C'est le juge qui va les tirer. 210 00:13:20,560 --> 00:13:21,320 Pourquoi ? 211 00:13:24,120 --> 00:13:28,980 Ces limites concernent surtout les lois qui se veulent applicables 212 00:13:29,180 --> 00:13:30,560 aux instances en cours. 213 00:13:30,880 --> 00:13:35,080 Or, dans le prolongement de la Cour européenne des droits de l'homme, 214 00:13:35,280 --> 00:13:40,460 la Cour de cassation décide maintenant que le principe de prééminence 215 00:13:40,660 --> 00:13:45,580 du droit et la notion de procès équitable consacrée par l'article 216 00:13:45,780 --> 00:13:49,900 6 de la Convention européenne des droits de l'homme s'opposent, 217 00:13:50,100 --> 00:13:54,660 sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir 218 00:13:54,860 --> 00:13:58,220 législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur 219 00:13:58,420 --> 00:14:00,480 le dénouement judiciaire des litiges. 220 00:14:01,340 --> 00:14:05,000 Alors, la Cour européenne des droits de l'homme avait initialement eu 221 00:14:05,200 --> 00:14:09,620 en vue des lois de validation intervenant pour orienter l'issue 222 00:14:09,820 --> 00:14:13,380 de procès dans lesquels l'État est partie, mais la Cour de cassation 223 00:14:13,580 --> 00:14:17,680 est allée plus loin puisqu'elle fixe la même limite quels que soient 224 00:14:17,880 --> 00:14:20,780 les parties au procès, c'est-à-dire même si l'État n'est 225 00:14:20,980 --> 00:14:21,740 pas partie. 226 00:14:23,320 --> 00:14:26,380 Et finalement, la Cour européenne des droits de l'homme a fini par 227 00:14:26,580 --> 00:14:28,720 suivre aussi la Cour de cassation dans cette voie. 228 00:14:29,040 --> 00:14:33,020 On voit toute la subjectivité qui est en jeu derrière ce contrôle 229 00:14:33,220 --> 00:14:36,860 qui conduit le juge à examiner si les motifs d'intérêt général 230 00:14:37,060 --> 00:14:43,260 qui ont conduit à cette loi de validation sont suffisamment impérieux. 231 00:14:43,740 --> 00:14:47,020 Alors, le contrôle du juge sur les lois rétroactives est même 232 00:14:47,220 --> 00:14:49,880 en train de dépasser le cas des lois de validation. 233 00:14:50,640 --> 00:14:54,080 C'est l'affaire de la loi dite anti-Perruche que nous avons déjà 234 00:14:54,280 --> 00:14:58,220 évoquée ensemble où nous avons vu la Cour de cassation dans cet 235 00:14:58,420 --> 00:15:02,980 arrêt du 24 janvier 2006 écarter les dispositions transitoires de 236 00:15:03,180 --> 00:15:08,300 la loi en raison de la contrariété à l'article 1 du protocole additionnel 237 00:15:08,500 --> 00:15:10,780 numéro 1 et du droit au respect des biens. 238 00:15:11,320 --> 00:15:14,440 Pour la Cour européenne des droits de l'homme et pour la Cour de 239 00:15:14,640 --> 00:15:17,900 cassation, dira applicable aux instances en cours l'article 1 240 00:15:18,100 --> 00:15:22,400 de la loi du 4 mars 2002 qui exclut la réparation d'un préjudice du 241 00:15:22,600 --> 00:15:26,780 seul fait de la naissance et il renvoyait à la solidarité nationale 242 00:15:26,980 --> 00:15:30,160 comme avait voulu le faire le législateur, la compensation d'un 243 00:15:30,360 --> 00:15:33,460 handicap non décelé pendant la grossesse, c'est méconnaître le 244 00:15:33,660 --> 00:15:36,600 droit au respect des biens de ceux qui détenaient une créance de 245 00:15:36,800 --> 00:15:38,920 réparation lorsque la loi est survenue. 246 00:15:40,040 --> 00:15:47,780 Alors, la rétroactivité d'une loi méconnaît ici l'interprétation 247 00:15:47,980 --> 00:15:52,300 que les juges donnent de la Convention européenne des droits de l'homme 248 00:15:52,500 --> 00:15:58,840 et le juge accepte aujourd'hui, au nom de la primauté de la Convention 249 00:15:59,040 --> 00:16:03,360 sur la loi, d'écarter les dispositions transitoires de la loi. 250 00:16:05,120 --> 00:16:10,420 Cette montée du contrôle judiciaire des dispositions transitoires ne 251 00:16:10,620 --> 00:16:13,580 laisse pas d'étonner, et un remarquable article a été 252 00:16:13,780 --> 00:16:17,120 écrit par Monsieur Malinvaux, l'étrange montée du contrôle du 253 00:16:17,320 --> 00:16:21,980 juge sur les lois rétroactives où certains, celui-ci, 254 00:16:22,300 --> 00:16:28,560 note que le contrôle porte en réalité sur l'opportunité et c'est donc 255 00:16:28,760 --> 00:16:32,840 un contrôle en réalité politique que le juge opère sur ces lois 256 00:16:33,040 --> 00:16:37,140 et au nom de la Convention européenne des droits de l'homme. 257 00:16:37,680 --> 00:16:41,120 C'est une dérive qui est dénoncée volontiers par un certain nombre 258 00:16:41,320 --> 00:16:42,420 d'auteurs. 259 00:16:42,720 --> 00:16:46,640 Alors, il faut remarquer cependant, il ne faut pas exagérer, 260 00:16:46,920 --> 00:16:52,460 que le phénomène ne concerne que les lois de validation et il faut 261 00:16:52,660 --> 00:16:56,900 le remarquer aussi, cette loi qui était relative à la réparation 262 00:16:57,100 --> 00:17:01,300 du préjudice d'un enfant né handicapé mais en dehors de ces domaines, 263 00:17:01,500 --> 00:17:06,540 le contrôle n'existe pas et reste la souveraineté du législateur.